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L'Algérie veut déterrer le plan Valhyd avec l'aide de la France

par Reghis Rabah*

Depuis le début de cette année 2017, l'Italie principal client de Sonatrach en gaz souffle le chaud et le froid au sujet du renouvellement du contrat gazier long terme qui devra venir à échéance en 2019.

Cela devait commencer         avec le ministre italien du développement, Carlo Calenda. Ce dernier annonce que le contrat gazier signé entre l'Algérie et l'Italie (par gazoduc) qui prendra fin en 2019 ne sera pas renouvelé. L'Italie prévoit un déficit de 14 milliards de mètres cubes d'approvisionnement de l'Italie en gaz d'ici 2019-2020 qu'elle comblera par un contrat à long terme avec les Pays-Bas en 2020, puis avec la Norvège en 2026. Il y aura lieu de tenir compte également de la concurrence de la Russie, l'entrée de l'Iran, bientôt de la Libye, du récent accord Europe Israël pour l'acheminement d'importants volumes de gaz à travers la construction d'un nouvel oléoduc. Il a évoqué une des raisons de cette décision par la capacité de son fournisseur clé de ne plus satisfaire la demande italienne en gaz à cause principalement de l'augmentation effrénée de sa consommation interne. En d'autres termes devant les députés de ce pays, ce ministre a mis en doute la fiabilité de Sonatrach de satisfaire la demande dans un proche à venir. Cette maladresse d'un membre du gouvernement italien allait être corrigée d'une manière politiquement correcte d'abord par l'ambassadeur de l'Italie en Algérie qui a nuancé les propos du ministre ensuite par le premier responsable de l'ENI qui a confirmé son intention de renouer cet accord en rappelant le lien historique qui uni l'entreprise qu'il gère avec l'Algérie depuis Enrico Mattei. Ce que cache cette sortie italienne n'est certainement pas un fait anodin mais une offensive pour faire pression sur Sonatrach afin de réduire le prix de son gaz en dépit de l'accord très controversé de le découpler de son indexation des prix du brut pour le référencer à un point virtuel dit PSV afin de le rapprocher au marché spot qui est pour le moment en baisse.

Le gaz vaut 2,4 dollars par million de BTU (british thermal unit, l'unité de référence) aux Etats-Unis, 4,7 dollars en Europe, et 6,5 dollars en Asie, donc très loin des prix qui figurent sur les anciens contrats long terme. Pourquoi parle t- on d'une maladresse de la stratégie italienne ? Certainement en s'appuyant sur le contentieux entre Sonatrach et la Française Total et la brouille avec Engie les Italiens ont cru que la France abandonnait l'Algérie pour se tourner vers le gaz Libyen et qatari. Pour eux, la déclaration du ministre de l'énergie de l'intention de l'Algérie de traiter son gaz sur place dans le cadre du développement d'un pôle pétrochimique n'est qu'un vœu pieux. Le dernier déplacement du premier ministre Français, Bernard Cazeneuve et l'offensive économique de Total a changé la donne. Ceci explique le revirement des Italiens. Toute la question reste à savoir ce que impacteront les cicatrices laissées par cet incident fortement médiatisé. Les entreprises françaises ne peuvent se passer de l'Algérie, même dans un scénario d'un FN au pouvoir.

Le retard pris pour diversifier son économie nationale a contraint l'Algérie d'opter pour des alternatives de valorisation de la rente gazière à l'exportation avec des partenaires étrangers en affectant des contrats de long terme à des usines de transformation de gaz dans le domaine de la pétrochimie. Le prix de cession du gaz est inférieur à son coût de production et de transport et, partant ce genre de contrat est devenu de facto non rentable. Les propos du 1er ministre au moment où il posait la première pierre pour la réalisation de l'unité de production des lubrifiants de Total Algérie à Bethioua, dans la wilaya d'Oran en disent long. « Nous ne pouvons plus exporter notre gaz par conséquence nous devons aller vers la transformation, la France a accepté de nous aider » Total renforce sa présence en Algérie. L'entreprise française qui est l'un des principaux producteurs d'hydrocarbures du pays a lancé, la semaine dernière, la construction de cette usine qui vient parer au modules anciens qui n'ont rien fait pour sortir de la production des lubrifiants de base sans ajout d'aditifs capables de leur donner les spécifications commerciales reconnues qui reste de l'officine de Total.

D'un coût global de 4,5 milliards de       dinars algériens, l'usine sera érigée sur une superficie de 41 000 m² et produira 40 000 tonnes de lubrifiants par an. Il permettra aussi de générer jusqu'à 200 emplois directs et indirects. Cet investissement représentera une importante valeur ajoutée pour l'aval du secteur pétrolier algérien. Par ailleurs, la branche en charge des lubrifiants du groupe énergétique français envisage de profiter de cet investissement pour s'approprier des parts de marché importantes sur ce segment, car la demande locale est de plus en plus croissante. Comme pour Renault, Total qui compte passer d'une part de marché actuel évalué à 14% à plus de 50% vise d'abord le marché algérien tout offrant du travail aux Algériens sans aucun espoir de transfert de technologie ou éventuellement une exportation.

Le retour en force de Total ne peut se consolider sans fracturation hydraulique

L'accord de Total et la compagnie nationale algérienne Sonatrach ne s'arrête pas à l'assainissement de leur contentieux mais s'élargit à de nouveaux projets gaziers. Est notamment concerné le gisement de Timimoune, qui recèle du gaz non conventionnel nécessitant le recours à la fracturation hydraulique. Il y a deux ans, la perspective d'une exploitation du gaz de schiste dans la concession d'Ahnet, également dans le Sud saharien, avait suscité un vaste mouvement de révolte. Parmi ces projets, objet de cet accord, la construction d'une usine pétrochimique, mais aussi la mise en exploitation du gisement de Timimoune, dont Total détient 38% et qui recèle du tight gas, un gaz non conventionnel dont l'extraction requiert, comme le gaz de schiste, le recours à la fracturation hydraulique. Les deux groupes ont également annoncé, selon Le quotidien français Monde, dans livraison du 11/04/2017 qu'ils se lanceraient prochainement ensemble sur un autre gisement, «dont le nom reste confidentiel ».

L'annonce signe donc le retour de la fracturation hydraulique en Algérie, deux ans après le mouvement social inédit qu'avait connu le sud du pays, et un peu plus d'un an après l'annonce officielle de « suspension » de la recherche de gaz de schiste par la Sonatrach. Rappelons que la population du Sud saharien s'était soulevée, de manière inattendue, à l'annonce de forages par fracturation hydraulique à proximité de la ville d'In Salah, dans le bassin d'Ahnet. À l'origine de ce mouvement, les craintes d'une contamination des ressources en eau, cruciales dans cette région désertique. Immédiatement montrée du doigt par les habitants de la région, Total a annoncé d'une manière étrangement tardive et informelle qu'elle s'était en fait retirée de la concession d'Ahnet six mois auparavant, apparemment en raison d'un désaccord fiscal avec le gouvernement algérien. En tout état de cause, la firme française a toujours gardé ses intérêts dans le bassin de Timimoune, au nord de celui d'Ahnet, qui recèle lui aussi du gaz non conventionnel.

C'est ce gisement qui doit être exploité à partir de 2018. Quant à l'identité de l'autre gisement « confidentiel » qui serait exploité conjointement par Total et la Sonatrach, les hypothèses sont ouvertes malgré l'assurance du ministre de l'énergie qui exclu cette éventualité. (01) Les deux firmes ont également annoncé qu'elles allaient régler à l'amiable les litiges qui les opposaient et qui ont donné lieu à des procédures d'arbitrage international État-investisseurs - ces fameuses procédures ISDS très critiquées dans le cadre du débat sur le projet de traité de libre-échange Tafta entre l'Europe et les États-Unis. Total avait poursuivi l'Algérie devant un tribunal arbitral en raison de la taxe sur les « profits exceptionnels » introduite en 2006 par le gouvernement pour récupérer une partie de la manne du boom pétrolier et gazier de l'époque. L'Algérie avait rétorqué en poursuivant Total, notamment, pour l'abandon du gisement d'Ahnet. Maintenant que les choses sont rentrées dans l'ordre, il est logique que l'entreprise française reprenne ses intérêts sur les gisements non conventionnels.

*Consultant, Economiste Pétrolier

(01)- Déclaration de Bouterfa lors de sa conférence à l'IHEC de Koléa