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La réinvention du Gouvernement en Algérie: Management stratégique et secteur public

par Kamel Garoui*

En Algérie la formulation de stratégies pose problème. Mais le véritable défi se pose lors de l'implémentation des stratégies, en raison principalement des déficiences en matière de communication à l'endroit des principales parties prenantes ainsi que du manque d'implication de ces dernières dans la formulation et l'implémentation des stratégies. Fort justement, le management stratégique permet d'améliorer les performances organisationnelles à travers une meilleure prise de décision ainsi qu'une formulation et une implémentation systématiques des stratégies.

À l'instar des entreprises privées, les organisations publiques existent pour produire, dans leur environnement, de la valeur au profit de diverses parties prenantes en déployant des ressources et des capacités. Cette valeur se manifeste par la production de produits et services (outputs) induisant un impact ou un effet socio-économique (outcome) affectant la société en général. La valeur est déterminée par un environnement -un réseau de parties prenantes avec des intérêts souvent en conflit- octroyant à l'organisation sa puissance. Les ressources propres aux organisations du secteur public incluent des ressources tangibles comme l'argent ou les équipements, et des ressources intangibles comme la puissance publique - l'application des lois, la collecte d'impôts, la protection de l'environnement, etc.- ou la réputation et l'image de marque. L'implication de la puissance publique en tant que ressource est liée au potentiel de gain ou de perte découlant d'un bon ou d'un mauvais emploi de cette puissance. En d'autres termes, la viabilité et la pérennité des organisations publiques en général -des simples agences au gouvernement en tant que tout- dépendent dans une large mesure d'un emploi intelligent, réfléchi et mesuré de leurs ressources.

À l'ère du management centré sur les résultats, une administration publique viable exige de ses organisations (institutions et entreprises économiques) le développement de capacités en management stratégique. Ce dernier intègre tous les processus de management de l'organisation en vue d'aboutir à une approche systématique et cohérente pour l'élaboration et l'atteinte d'objectifs stratégiques. Dans le flot complexe et ininterrompu des activités et les pressions pour la prise de décision en temps réel, se concentrer sur un agenda stratégique -comme source première des actions et initiatives- est d'une importance centrale. Le management stratégique peut être défini comme étant le processus systématique de management d'une organisation et ses futures projections en relation avec son environnement d'une manière qui assure un succès continuel et sécurisé contre les surprises. Il comprend le processus de détermination des objectifs et missions de l'organisation, de formulation de la stratégie, d'implémentation de la stratégie et, enfin, de contrôle de l'implémentation de la stratégie.

Une organisation publique ayant fait sien le management stratégique est une entité au sein de laquelle la budgétisation, la mesure des performances, la gestion de la ressource humaine, le management des projets, ainsi que tout autre processus de management sont guidés par un agenda stratégique développé en étroite collaboration avec les principales parties prenantes et communiqué amplement à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation.

Le management stratégique peut aider une organisation à clarifier sa future direction, développer des stratégies, établir ses priorités, répondre efficacement aux changements de circonstances, favoriser le travail d'équipe et améliorer ses performances. Il permet de lier l'organisation à son environnement.

Le management stratégique en action

L'objectif global du management stratégique est le développement d'un engagement continu de la part des principales parties prenantes (médias, public ou communauté, institutions financières, employés, fournisseurs, gouvernement etc.) vis-à-vis de la mission et de la vision de l'organisation, au niveau interne et de son environnement externe ; l'entretien d'une culture d'identification et de support à la mission et à la vision et, enfin, le maintien de l'attention sur l'agenda stratégique de l'organisation pour tout ce qui concerne ses processus décisionnels, ses activités et ses actions.

Quant ils développent leurs plans stratégiques, les managers doivent être attentifs aux environnements interne et externe de leurs organisations. Ils doivent disposer d'outils d'analyse de l'environnement, d'estimation des forces et des faiblesses de leurs organisations et d'identification des opportunités et menaces pour leurs organisations.

Le management stratégique peut être appréhendé comme plusieurs étapes couvrant :

1/ l'analyse des opportunités et des menaces existantes dans l'environnement externe,

2/ l'analyse des forces et des faiblesses de l'organisation dans son environnement interne,

3/ l'identification des parties prenantes de l'organisation,

4/ l'établissement de la mission et des objectifs de l'organisation,

5/ la formulation de la stratégie en faisant le lien entre les forces & faiblesses de l'organisation et les opportunités & menaces dans l'environnement,

6/ l'implémentation de la stratégie, et finalement

7/ le contrôle et la mesure du progrès de l'implémentation de la stratégie et l'atteinte des objectifs.

Les étapes 1 et 2 constituent ce qui est communément appelé «analyse SWOT», SWOT pour Strenghts, Weaknesses, Opportunities et Threats. Il peut être aussi vu comme un processus à trois phases :

1/ La phase formulation, incluant le choix des projets ou des affaires à poursuivre, l'allocation des ressources, le développement de la mission, l'identification des opportunités et des menaces externes, la détermination des forces et des faiblesses de l'organisation, l'établissement des objectifs de long terme, le développement de stratégies alternatives et le choix de la meilleure stratégie à mettre en œuvre.

2/ La phase implémentation, qui initie les activités en accord avec les plans stratégiques.

3/ La phase évaluation et contrôle, qui compare les informations relatives aux performances stratégiques avec les plans et les standards. L'approche projet en management stratégique, quant à elle, comporte quatre phases : la maturation ou préparation, la planification, l'exécution et le contrôle.

Le modèle de management stratégique d'une organisation publique quelconque peut être perçu comme intégrant quatre groupes de fonctions managériales. Ce modèle est conçu comme une constellation de fonctions managériales tournant autour des valeurs, de la mission et de la vision de l'organisation. Au cœur du modèle nous retrouvons les valeurs les plus importantes pour l'organisation, sa mission au sein du gouvernement et la vision de son devenir dans le futur. Pour la réussite du management stratégique, il y a nécessité d'un engagement partagé pour les valeurs, la mission et la vision au sein de l'organisation ainsi que parmi les principales parties prenantes externes. Ainsi, l'un des points forts du management stratégique concerne le développement et l'inculcation d'un sens aigu des valeurs, de la mission et de la vision.

Le premier groupe de fonctions managériales concerne les relations extérieures, incluant les interfaces client, les relations publiques, les relations intergouvernementales et les lois et règlements. Ces relations doivent êtres menées avec les objectifs, d'une part de recueil d'informations diverses pour la planification stratégique et, d'autre part, de construction de relations coopératives avec les principales parties prenantes pour l'implémentation et l'évaluation de la stratégie. Les responsables en charge du management stratégique doivent s'assurer que la vision et les stratégies sont communiquées efficacement aux parties prenantes externes en vue de construire et d'entretenir du soutien au profit de l'organisation et de sa stratégie. D'un autre côté, des mécanismes doivent êtres mis en place pour solliciter et évaluer des retours d'informations de la part de ces mêmes parties prenantes, permettant ainsi le suivi des forces et des tendances en vue d'anticipation des changements dans l'environnement de l'organisation pouvant affecter ses politiques et ses capacités de concrétisation de ses missions.

Le deuxième groupe de fonctions managériales englobe les fonctions traitant des programmes et services fournis par l'organisation et incluant la planification et l'évaluation de programmes, les systèmes de production de services, le management de projets et la mesure des performances. Ces fonctions doivent êtres guidées par les valeurs, la mission et la vision de l'organisation.

Le troisième groupe de fonctions managériales englobe les fonctions de management interne incluant le management des performances, la gestion budgétaire & finances, les processus administratifs et les structures organisationnelles. Les responsables de la stratégie doivent s'assurer que la gestion budgétaire & finances, le management des performances ainsi que tous les autres processus administratifs sont conçus pour faciliter l'implémentation des stratégies et renforcer la concentration sur les stratégies.

Enfin, le quatrième groupe de fonctions managériales englobe les relations humaines concernant le développement de la ressource humaine, la culture de l'organisation et la communication interne. Les responsables de la stratégie doivent entretenir un climat et une culture au sein de l'organisation qui soient attentifs aux changements et harmonieux avec les valeurs, la mission et la vision de l'organisation.

Les cas des collectivités locales et d'Air Algérie

Dans ce qui suit nous présentons les grandes lignes pour l'application du management stratégique aux cas des collectivités locales (wilayas et communes) et de la compagnie nationale Air-Algérie. Pour les wilayas ou communes, nous recourons à l'approche management de projets, telle que nous l'avons développée nous-mêmes et proposée à nombre d'organismes publics -Le Project Management Institute South Africa adopte la même approche. Pour Air-Algérie, nous appliquons le modèle de Harvard.

Les collectivités locales sont responsables aussi bien de la fourniture de services urbains que de l'implémentation -au niveau de leur limite administrative- du développement économique, social, physique et urbain. Elles sont responsables tant du développement économique que de la stabilité politique et sociale. Dans ce cadre, elles devraient mettre en place une stratégie claire comprenant :

1/ Une vision claire pour le service public.

2/ Des objectifs stratégiques collant au contexte national.

3/ Un plan d'action pour la réalisation des ces objectifs.

La vision pourrait, par exemple, porter sur la mise en place d'«une culture de management de la collectivité locale de classe internationale, mettant l'accent sur la centralité du citoyen et des acteurs économiques ainsi que sur la redevabilité sur les résultats».

Pour les objectifs stratégiques, on peut citer : le renforcement et la formation des employés des administrations ; leur inculquer l'esprit d'innovation, de créativité et de prise de risques raisonnables ; l'implication des citoyens et des autres parties prenantes (employés, agences publiques, acteurs économiques, etc.), et amélioration des services offerts, notamment le transport public et les distractions ; l'automatisation et réingénierie des processus de travail ; la rentabilisation des atouts et ressources ; diminution des coûts des moyens & ressources, de l'énergie (électricité, gaz, etc.) et d'utilisation des espaces ; l'amélioration de la gestion des déchets industriels, commerciaux et ménagers et, enfin, le recours aux partenariats public-privé pour la fourniture des services.

Le plan d'action découle des concepts et pratiques de management de projets -maturation, planification, exécution et contrôle se traduisant par la détermination des tâches (formations, veille, relations publiques etc.), l'agencement (priorisation) des tâches, l'élaboration d'un calendrier de réalisation, l'exécution et contrôle.

La stratégie nécessite bien sûr une mise en œuvre. .

Pour ce faire, des tâches de veille et d'intelligence économique, de management, ainsi que de communication et de relations publiques sont mises en branle pour donner vie à cette stratégie et implémenter la vision et les objectifs concrètement dans le terrain.

Pour le cas de l'emblématique compagnie nationale, il y a lieu de souligner que celle-ci traverse aujourd'hui des moments très difficiles engageant sa survie, en raison essentiellement d'un mauvais management. Certes, les compagnies aériennes au niveau mondial opèrent dans un environnement hautement turbulent et concurrentiel, mais le moins que l'on puisse dire est que le leadership d'Air Algérie laisse aujourd'hui à désirer.

S'agissant du modèle de Harvard utilisé pour le management stratégique de la compagnie, celui-ci évalue les forces et les faiblesses internes, identifie les opportunités et les menaces externes et cherche à lier celle-ci à son environnement. Ainsi, Air Algérie est sommée de construire sur ses forces, dépasser les faiblesses, exploiter les opportunités et bloquer les menaces.

Air Algérie est confrontée à de rapides changements dus aux attentes des clients, aux actions des concurrents, aux développements des fournisseurs, ainsi qu'aux dynamismes des employés et de leurs syndicats. Par ailleurs, la compétition avec les autres transporteurs aériens devient de plus en plus féroce. Aujourd'hui, pour la compagnie nationale l'adaptation aux changements est synonyme de survie -il y a besoin qu'elle réponde instantanément aux changements dans l'environnement, qu'il s'agisse d'opportunités ou de menaces. Ainsi, la tâche la plus importante des responsables exécutifs de la compagnie porte sur l'alignement des opportunités et des menaces dans l'environnement extérieur avec les forces et les faiblesses internes.

Les opportunités et les menaces externes concernent :

1/ Les nouveaux produits innovants des constructeurs : quand les constructeurs (Boeing, Airbus, etc.) mettent sur le marché de nouveaux produits avancés, Air Algérie (au même titre que ses concurrents) se retrouve devant l'opportunité de modernisation de ses systèmes, signifiant de gros investissements.

2/ La mauvaise réputation : une mauvaise réputation et une publicité négative peuvent causer beaucoup de tort à la compagnie.

3/ La puissance des clients : les managers de la compagnie doivent intégrer dans leur prise de décision les exigences et les préoccupations des clients.

4/ Les compétiteurs et les alliances stratégiques : les compétiteurs et les alliances stratégiques constituent de sérieuses menaces pour Air Algérie.

5/ Les coûts en augmentation : la main-d'œuvre, le fuel et les mesures de sécurité coûtent aujourd'hui très cher dans le domaine du transport aérien.

Pour devenir compétitive, la compagnie nationale doit d'une part mettre en œuvre des stratégies spécifiques et, d'autre part, développer en son sein un certain nombre de facteurs clefs de succès. Ces facteurs ou ces forces (ou au contraire ces faiblesses) internes sont en rapport avec :

1/ Le leadership : la capacité d'organisation, de supervision et de traitement des problèmes. C'est aussi la capacité de voir loin (vision).

2/ La structure : la clarté de l'autorité du top management vers le bas niveau ainsi que le degré de coordination et de communication internes.

3/ La culture : l'ensemble des valeurs et attitudes acceptées par la majorité des employés et conduisant la manière de faire les choses, comme le travail d'équipe ou le degré d'engagement des employés à faire bien les choses.

4/ Les alliances stratégiques : ces alliances mènent à la constitution de groupes stratégiques très compétitifs.

5/ Les nouvelles technologies : ces technologies améliorent la commodité et diminuent les coûts dans les compagnies aériennes.

6/ Le marketing, les stratégies de marque et les relations publiques : pour devenir compétitive, Air Algérie doit se construire une bonne réputation et une image de marque.

7/ L'externalisation : pour atteindre l'excellence, Air Algérie devrait se concentrer sur ses activités principales -pour les autres activités (notamment de soutien) elle devrait les externaliser auprès des meilleurs sous-traitants.

Recommandations et conclusion

Nous concluons la présente contribution par une interrogation : le gouvernement central dispose-t-il aujourd'hui d'une vision pour le futur (pour 2025 ou 2030) concernant le pays ? Comme par exemple : une économie compétitive, une bonne gouvernance publique, une société instruite et bien éduquée, un haut niveau de vie pour les citoyens, la paix et la stabilité. Communique-t-il assez sur cette vision ? Implique-t-il les principales parties prenantes dans la formulation et l'implémentation de cette vision ?

Si la réponse est non, alors il devrait formuler et mettre en œuvre un plan stratégique global, comprenant :

1/ Une vision claire pour les dix à quinze années à venir.

2/ Des objectifs stratégiques collant au contexte national.

3/ Un plan d'action pour la réalisation des ces objectifs.

En outre, les principales organisations publiques (Départements ministériels, agences publiques, collectivités locales, etc.) devraient développer des capacités propres en management stratégique. Dans cette optique, le gouvernement devrait rendre obligatoire le développement par celles-ci de :

1/ Un plan stratégique -répondant au plan stratégique global du gouvernement et de sa vision- s'étalant sur 05 années et identifiant les missions et les objectifs avec description comment les atteindre.

2/ Des plans de performance annuels, identifiant des indicateurs de mesure des sorties, des niveaux de service et des effets socio-économiques de chaque programme ou projet.

3/ Des rapports de performance annuels comparant les performances réelles des programmes aux objectifs fixés.

*Ancien cadre du ministère de la Défense nationale et de l'ex-ministère de la Prospective et des Statistiques. Actuellement manager exécutif de «Intelligence&Prospective» et consultant-formateur en management.

Bibliographie :

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