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LIVRES : POÈTES SUR TOUS LES FRONTS

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres Jumeau, ou un bonheur pauvre.Roman de Hamid Nacer-Khodja. El Kalima Editions, Alger 2016, 600 dinars, 148 pages



Algérie, Alger au début des années 70. On planifie à tout-va. Les moyens comme les esprits, souvent en occultant les traces du passé récent... la langue française, les coopérants techniques français... et égyptiens, des transports publics non encore surchargés, une certaine misère (encore supportable) et une richesse certaine qui commence à se « faire voir ».

Un adolescent encore boutonneux, dix-huit ans, ayant soif de santé, ayant faim d'amour, lycéen de son état, pas beau (il en est certain), amoureux fou, plus que fou, dingue, d'une autre lycéenne d'un autre lycée (du côté de Benak'), Noura, sa Lumière, sa Sainte lumière, recherchée mais inaccesible. Il est trop timide, elle est trop belle. Deux mondes aux moyens différents qui se côtoient, qui se recherchent peut-être, mais qui n'arrivent pas à communiquer. Il se contente de regards et se fait tout un cinéma (assez érotique, ce qui le gêne), elle ose des sourires... c'est tout. Fin de l'année scolaire. Fin de la surveillance amoureuse... mais la souffrance continue, encore plus brûlante. Heureusement il y a la posésie... tout particulièrement grâce à Jean Sénac, Jean Soleil, le Poète, l'Aîné, le Parangon qui traite d'égal à égal.

Une révélation : Pierre Savorgnan de Brazza, l'explorateur, est enterré au cimetière chrétien de Diar Essaâda d'Alger.

L'Auteur : Né le 25 janvier 1953 à Lakhdaria, universitaire (Ena), critique littéraire et poète. Plusieurs publications. Décédé le 16 septembre 2016 à Djelfa.

Extraits : « Alger, belle ville de loin, ville sale de près : immondices, malpropreté, vulgarités « (p 20), « Cette bourgeoisie algérienne semblable à l'autre et déjà obsolète (partisane des cinq V : villa, voiture, vagin, virement, voyage) » (p 36)

Avis : Gymnastique des mots et des phrases. Déroulement théâtral. Mélange des situations. Pour les rêveurs et les amoureux timides

Citations : « Aimer, est-ce encore pleurer, est-ce encore choisir ou souffrir » (p 49), « Nous sommes préjugés Arabes alors que nous n'avons rien à voir avec ceux du Moyen-Orient ; même le Prophète a dû les fuir pour se réfugier à Médine » (p 51), « Les martyrs ont été trahis, les vivants finissent toujours par trahir les morts, ne serait-ce que par l'oubli » (p 115)

Diwan du jasmin meurtri. Une anthologie de la poésie algérienne de graphie française.

Essai de Abdelmadjid Kaouah. Chihab Edtions, Alger 2016, 1 600 dinars, 366 pages

Il était temps qu'un homme de lettres algérien répare un grande injustice commise à l'endroit de la poésie nationale... l'oubli ou la marginalisation. Tout d'abord en présentant plus d'une centaine de poètes algériens, hommes et femmes, s'exprimant en langue (graphie) française. De Noureddine Aba, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Boualem Khalfa, Bachir Hadj Ali et Malek Haddad à Hamid Skif, Jean Sénac, Anna Gréki et Assia Djebbar en passant par Zhor Zerari, Henri Kréa, Jean Pellegri, Lazhari Labter et Mostefa Lacheraf. Des hommes et leurs œuvres ! Réhabilités ? non, ils n'ont en pas besoin tant leurs écrits restent, aujourd'hui encore, pour les plus « anciens », inscrits dans les mémoires et pour les plus jeunes rythment les sentiments et les rêves... tous dressant, dans les nuits d'un monde en perpétuel (r-)évolutions, « le fanal des certitudes ». En 1957, Albert Memmi annonçait que l'esentiel de la littérature maghrébine serait en langue arabe tandis que celle de langue française serait vouée au dépérissement... Il a reconnu par la suite qu'il était allé trop vite en besogne puisqu'elle connaît, aujourd'hui plus qu'hier, une vitalité insoupçonnée. Parallèlement à une littérature de langue arabe (et très bientôt de langue amazighe) dont de beaux fruits commencent à être récoltés.

Le roman a déjà écrit son histoire... la poésie aussi :

D'abord, une littérature profondément imbriquée dans un combat historique déjà avec Jean Amrouche, puis Ait Dajfer, puis Jean Sénac, puis Dib et Feraoun et Mammeri et Kateb Yacine... avec même une prédominance de l'expression poétique. Poésie de de la contestation, de la protestation et de résistance ! Ensuite, après l'Indépendance, une poésie du « mal de vivre et de la volonté d'être ». Enfin, hélas, ces dernières décennies, avec le début d'un cycle tragique avec des poètes assassinés (D'abord Sénac en 1973, puis Tahar Djaout, puis Lâadi Flici, puis Youcef Sebti), une littérature retournant à l'exil... pour toujours mieux créer.

L'Auteur : Né en décembre 1950 à Ain Taya (Alger). Maîtrise de Lettres modernes. Journaliste-chroniqueur littéraire (presse...dont Révolution africaine, Horizons... et radio des deux rives), poète (« poésie discrète, suggestive, limpide, amoureuse, belle que l'exil a rendu quelque peu amère », selon A. Cheurfi), auteur de plusieurs publications et essais sur la poésie algérienne.

Extrait : « Le poète s'est érigé successivement en porte-parole de l'asservissement et de l'insurrection d'un peuple dans le contexte colonial, en partisan de l'espérance post-indépendance se défaisant de la rhétorique du réalisme socialiste, en redresseur de torts au regard des perversions de l'homme nouveau dans la jeune république, en perturbateur du discours dominant autant qu'en annonciateur de vérités à venir, enfin en justicier désarmé condamnant sans appel l'innommable infamie intégriste » (Hamid Nacer-Khodja, préface, p 10), « Le verbe a rythmé avec constance les peines et les drames, les catastrophes ainsi que les allégresses, les jubilations et les heures festives de l'Algérie » (A. Kaouah, liminaire, p 13)

Avis : Une anthologie certes incomplète (« Une anthologie est toujours une œuvre personnelle et de parti pris » » écrit en préface Hamid Nacer-Khodja), tant la poésie algérienne d'expression française est « une Somme, un Parcours, un Vertige » difficile à saisir... pour le lecteur... mais pas totalement pour l'auteur. Livre de chevet des insomniaques et des rêveurs !

Citations : « Journal de bord d'une patrie en mouvement, journal intime d'une identité d'homme, telle est la dualité porteuse de la poésie algérienne » ( Hamid Nacer Khodja, préface, p 10), « En Algérie, non seulement des poètes eurent à rendre compte de leur œuvre mais aussi de leur vie. Poètes brimés, poètes escamotés, poètes exilés, poètes assassinés, autant de stations d'un long supplice » ( p 18) « Poésie et Résistance apparaissent comme les tranchants d'une même lame où l'homme inlassablement affûte sa dignité « (Jean Sénac, 1957, p 45)

L'ivrEscq. Magazine bimestriel littéraire et culturel. Editions L.De Minuit, Alger, n°47, Septembre-Octobre 2016, 250 dinars, 55 pages.

Elle existe déjà depuis un bon bout de temps et elle s'est imposée sur le petit marché de la littérature. Il est vrai que l'équipe de la revue en question s'est aussi investie dans l'organisation de colloques et rencontres de réflexion et de commémoration sur la littérature nationale.

Ainsi, ce numéro est consacrée, en grande partie, au souvenir d'un poète et écrivain, passionné des lettres, chercheur, universitaire (atypique et hostile à tout pouvoir), journaliste aussi, grand spécialiste de Jean Sénac (Yahia el Ouahrani) Hamid Nacer-Khodja, décédé le 26 septembre 2016, à l'âge de 63 ans ... à peine. Sept témoignages d'universitaires et d'auteurs algériens et étrangers sur quatorze pages. Le poète et la poésie à l'honneur !

Bien sûr, il y a d'autres articles intéressants sur l'actualité littéraire du bimestre : le 21e Salon international du livre, les Prix littéraires... des interviews dont la plus intéressante est celle de M'hand Smail, le propriétaire et animateur de la librairie d'El Biar. L'intinéraire d'un jeune étudiant en droit devenu libraire, après le décès de son père. Une interview qui aborde bien des problèmes de l'édition et de la diffusion du livre... l'histoire d'une boutique existant depuis 1965 sur 25 m2 (alors que la Sned allait avoir 70 librairies) et qui, aujourd'hui, occupe 70 m2... et a même créé une maison d'édition.

Un seul défaut, la plupart des ouvrages présentés (12/13) sont édités par la plus grosse maison d'édition de la place.

L'Auteur : Revue L'ivreEScq (Kouba, Alger), www.livrescq.com. Directrice de la publication : Nadia Sebkhi

Extraits : « Dans ma vie, j'ai eu à rencontrer deux encyclopédies vivantes : Ahmed Taleb el Ibrahimi et Hamid Nacer-Khodja. Taleb el Ibrahimi peut conférer pendant des heures sur les savants qui ont fait la civilisation musulmane. Il peut citer leur nom, leur prénom, le lieu et la date de leur naissance, les livres qu'ils ont écrits, les idées nouvelles qu'ils ont apportées à la pensée universelle, le lieu et la date exacte de leur mort... Hamid Nacer-Khodja avait la même capacité à conférer, des heures durant et sans recours à des notes, sur la littérature comparée qui était sa spécialité » (Mourad Brahimi, auteur, p 41)

Avis : C'est (presque) la seule sur le marché. Donc, à ne pas rater. 250 dinars tous les deux mois... à peine.

Citation : « Hamid Nacer-Khodja, le père de la profonde terre du verbe aimer » (Mourad Brahimi, auteur, p 41)