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Présidentielles : les vraies inquiétudes des Français

par Pierre Morville

Au-delà des turpitudes électorales, le chômage reste le vrai arrière-fond de cette campagne électorale.

L'actualité politique du «bloc occidental», notion floue mais au moins concrétisée         par l'accord militaire et stratégique de l'Otan, ne manque pas de grandes surprises, ces derniers mois. Avant l'élection étonnante du candidat-clown Trump à la tête de la première puissance mondiale, il y a eu, avec un référendum populaire, l'Exit du Royaume-Uni de l'Union européenne. Aujourd'hui, c'est la presse internationale qui regarde avec une certaine consternation, le déroulement de la campagne électorale de l'élection présidentielle française. « Cette campagne présidentielle française de toutes les péripéties est, plus que jamais celle de tous les dangers », résume le quotidien suisse Le Temps, qui reflète bien l'opinion de l'ensemble des médias internationaux devant une élection qui pourrait bien se révéler, selon l'hebdomadaire britannique The Economist « la plus passionnante de l'histoire récente ».

Il est vrai que les polémiques en cours ont surtout abouti à l'effondrement des deux grands partis traditionnels, celui de la droite classique, incarnée aujourd'hui par « Les Républicains », héritiers de l'UMP, de l'UDR?, et celui de la gauche « social-démocrate », représentée par le Parti socialiste.

Ces formations avaient d'ailleurs toutes deux, opté pour des élections « primaires » : c'est-à-dire demander au bon peuple de choisir entre ses différents candidats internes et leurs différentes propositions. Au résultat des sondages actuels, Big bang Bazar ! Ce sont deux candidats hors primaires qui s'imposent selon un sondage Elabe diffusé le7 mars: Emmanuel Macron qui s'est auto désigné candidat réalise, selon un sondage Elabe diffusé le7 mars, un très joli score : 25,5% des intentions de voix soit une hausse de +1,5 sur la semaine. Il fait quasiment jeu égal avec Marine Le Pen toujours en tête avec 26% des intentions de vote. Les deux challengers creusent surtout l'écart avec le candidat de la droite traditionnelle. Après une polémique insensée sur son maintien ou son retrait de la présidentielle qui a occupé l'essentiel des médias, François Fillon qui persiste, continue de stagner à 19% des choix des sondés.

A gauche, Benoît Hamon, le représentant désigné par l'autre grande formation traditionnelle, le Parti socialiste ne décolle pas. Il ne fait que prendre un léger ascendant sur la « gauche de la gauche » incarné par Jean-Luc Mélenchon, avec 13,5% (+1) d'intentions de vote pour le candidat socialiste contre 12% (-0,5) à celui de La France insoumise.

Plusieurs grilles de lecture

The Economist voit dans la montée en puissance de Marine Le Pen et d'Emmanuel Macron des « insurrections, dont les conséquences sont colossales ». Ce duel fait dire à l'hebdomadaire que la vieille division entre droite et gauche est bien moins importante que la nouvelle : « celle entre un monde ouvert et un monde fermé ». Au résultat, le vote des Français « peut relancer l'Union européenne ou la faire couler ».

Droite/ Gauche, Mondialisme / souverainisme ? Contrairement à l'opinion du très libéral (sur le plan économique) hebdomadaire britannique les éléments d'analyses sont plus complexes et plus entremêlées. Mais aussi plus simples et traditionnels.

Le rejet actuel par les électeurs français des deux grands partis traditionnels de pouvoir ((droite classique, élargie aux formations centristes, Parti socialiste et ses alliés de circonstance), est évident . Ces deux formations dominaient la représentation nationale à travers l'exécutif et le parlement, depuis la Constitution de la Vème République française adoptée en 1958 : De Gaulle, Pompidou, Giscard, Sarkozy mais également Mitterrand, Jospin, Hollande? Aujourd'hui on sent le rejet un peu généralisé de l'électorat du système actuel. Bref, les Français semblent en avoir un peu marre des deux grandes formations traditionnelles, qu'elles soient en alternance ou en cohabitation.

1ère raison du rejet : un chômage persistant

Dans les études internationales sur le moral des terriens, les Français apparaissent très souvent comme un peuple très pessimiste. Ce n'est pas par hasard si la France est l'un des pays qui consomme le plus de tranquillisants et d'antidépresseurs au monde ; d'après l'étude du cabinet Pew Research Center publiée en juillet 2015, les Français apparaissaient comme les champions du pessimisme quant à leur avenir et celui de leur pays. A la question « Dans les 12 prochains mois, comment pensez-vous que la situation économique de votre pays va évoluer », 20% des Français répondent qu'elle va s'améliorer, contre 38% qu'elle ne changera pas et 42% qu'elle va s'empirer. Un record de défaitisme parmi les pays développés! A l'inverse, les Israéliens, les Espagnols et les Britanniques étaient en 2015 respectivement 47%, 42% et 38% à penser que leur pays allait être mieux l'année suivante.

En 2016, dans un autre sondage de France stratégie, les Français, plus que tous les autres Européens, ont une vision très négative de la distribution des revenus, 8 sur 19 estiment que les inégalités se creusent, 9 sur 10 se disent personnellement préoccupés par la pauvreté.

Le besoin de protection que l'on peut ressentir dans toutes les échéances électorales touche beaucoup plus la sauvegarde de l'emploi et donc du revenu que par ailleurs l'exigence d'une protection contre une délinquance, certes toujours inquiétante mais qui, en réalité en réduction importante quand on la regarde sur plusieurs décennies.

En revanche, début 2017 , on comptait 3,47 millions de chômeurs soit 10% de la population active. Petits, contrats durée déterminée CDD), missions courtes d'Intérim, stages divers.., si l'on va plus loin, on tombe sur le chiffre de 6,5 millions de personnes privées d'emploi ou travailleurs occasionnels. Et si l'on poursuit l'examen précis des statistiques, on constate que la très légère baisse du chômage officiellement constatée proclamée ne prend pas en compte l'importance des radiations des statistiques, des chômeurs qui ne se sont pas ou plus enregistrés, de ceux qui n'ont plus accès à aucun droit ou les jeunes qui sont des primo-accédant à l'emploi : 23% des chômeurs enregistrés ont moins de 25 ans. Cette triste réalité touche donc toutes les familles, y compris les plus aisées. Si l'on prend en compte tous ces différents publics, on arrive à plus de 10 millions de personnes directement touchés par un problème d'emploi et c'est cela sans compter le très grand nombre de « travailleurs pauvres ».

C'est une tendance durable depuis quatre décennies. Les gouvernements de la droite et de la gauche traditionnelle ont échoué à résoudre ou à réduire cette grande inquiétude. La «mondialisation» présentée comme inéluctable ne fait qu'amplifier les craintes : même si les salariés français sont dans les enquêtes internationales les plus productifs du monde (rapport valeur produite/ coûts salariés), la compétion sera de plus en plus difficile avec des pays aux couts salariaux beaucoup plus faibles. Autre sujet de préoccupation, l'incantation européenne permanente sur une politique économique basée sur la baisse des charges salariales et la réduction des déficits budgétaires, le tout dans l'espérance d'une reprise de l'investissement des entreprises. Relance toujours attendue et toujours déçue depuis deux décennies. Le tout dans le cadre d'une société française déjà très largement « socialisée » : « À partir du moment où les dépenses publiques représentent 56,5 % de la richesse nationale, il est inévitable que la pression soit très forte sur le chef de l'État, l'arbitre en dernier ressort », note Jean-Pierre Robin dans le Figaro.