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«Elle»

par M'hammedi Bouzina Med

«Partout où l'homme a dégradé la femme, il s'est dégradé lui-même» (Charles Fourier)

2.000 ans après et toujours ce même regard où se mêle, encore, cette tendresse qui l'a toujours caractérisée. Le temps ne semble pas avoir d'effet sur elle malgré les épreuves et l'ingratitude de ses enfants et arrière-petits-enfants. Tantôt maman, tantôt fille, sœur, épouse ou fiancée, elle est toujours restée chez elle, sans jamais rien demander aux autres, ni exiger de sa longue et très vieille lignée, autre reconnaissance que celle du respect que doit tout enfant à sa maman. Combien de fois a-t-on conté son histoire, son passé et promis un bel et radieux avenir baigné par les vents de la liberté et du bonheur? Mérite-t-elle le repos dû à toute reine, à la fin de son règne qui laisse un royaume sûr, prospère à son peuple? Ils parlent d'Elle et lui parle. Elle écoute sans dire mot, le sourire dans le regard toujours bienveillant pour ne pas blesser et surtout ne pas laisser place au désespoir à sa nombreuse descendance. Elle remonte ses souvenirs, un par un et ne voit rien de nouveau: peu de réconfort et beaucoup de culpabilité. Depuis l'origine d'ailleurs. N'a-t-elle pas induit en erreur le père de l'humanité en lui offrant la « fruit interdit » qui aboutit à leur expulsion de l'Eden et depuis leur descendance est condamnée à souffrir sur terre avant de finir en poussière? N'est-t-elle pas la dernière à être servie lorsque il s'agit de gains de liberté sur cette terre? 2000 ans après et elle porte seule le poids de l'accusation originelle qui ne flétrit pas » pourtant » sa beauté. Ses fils aînés et tous les autres aussi disent d'Elle tant de mensonges et d'horreur au point d'en être honteux jusqu'à la cacher au regard sous des oripeaux sombres comme les ténèbres auxquelles ils la vouent. Ils ont, tellement multiplié les offenses à son encontre et dit des indignités qu'ils ont fini par ne plus percevoir sa beauté, ni sentir sa générosité. Ils l'ont enlaidie dans leur propre regard jusqu'à ne plus lui manifester le moindre amour. Jusqu'à lui faire violence. Elle, impassible, observe ce malheur qui frappe sa nombreuse descendance qui souffre « d'Elle ».

Le cœur gros comme un lourd nuage précédant l'orage, Elle pleure le malheur de ses enfants qui se font tant de mal à trop la voir comme la source de leurs malheurs à eux. Qu' a-t-elle à offrir de plus que l'immense demeure de son cœur, la chaleur de l'âtre, les trésors secrets de la vie pour qu'elle gagne un peu de considération, de tendresse à son tour? Elle entend, encore, retentir l'écho des appels à la liberté provenant des cimes des Djebels de cet automne dont les cicatrices, encore vivantes, marquent son corps. Elle les portent comme un tatouage sur son front et son sein comme des bijoux ancestraux. Est-ce la raison qui pousse ses fils à la cacher du regard? A la réduire à une ombre furtive, fuyant la lumière du jour? A l'oublier au fond de la mémoire? Et puis, pourquoi avec tant d'humiliations, la sortir discrètement à l'entrée du printemps pour lui rappeler son anniversaire avec de si gros mensonges? » On t'aime quand même, tu es notre sœur, notre mère, notre fille et Bla..Bla... » disent-ils hypocritement, avant de la renvoyer à sa condition de condamnée, enfermée le reste de l'année dans ses peurs, ses craintes et les mille et un anathèmes. Jusqu'à l'année prochaine et ainsi de suite. « Qu'a-t-elle mon image pour qu'elle vous révulse à ce point? » crie-t-elle. « Ma chevelure fleurit vallées et montagnes; mes yeux inondent l'air et le ciel de tendresse; mon sein vous nourrit, bébé sans défense, et ma voix vous berce et rassure votre enfance ». Eux, le savent et en vivent sans manifester le moindre geste ou parole de reconnaissance. Eux prennent tout: pouvoir et espace de vie, honneurs et Honneur. Elle, l'arrière-cour de la demeure, derrière le rideau et le poids de son ventre, neuf mois sur douze. Plus de 2000 ans que ça dure. Que disent les Djebels, les monts et vallées, les oueds et les oasis? Que dit l'écume des vagues de la mer? Se taisent-ils sur quelques secrets de vérité sacrée? Vaste et riche est son royaume pour celui qui sait écouter le chant qui l'habille, répondent les Djebels, les monts et vallées. Elle n'est que miséricorde, pardon et amour pour qui entend sa voix. N'a-t-elle pas toujours ressuscité après bien de coups mortels portant à son sein depuis 2000 ans et plus? Elle est l'éternité face à la mort, l'amour face à la haine. Peut-on enfermer l'éternité dans nos pauvres demeures, la cacher sous de hideux oripeaux? Lui faire peur et en avoir peur? Que serions-nous sans l'éternité, la beauté, l'amour? D'ou venons-nous et où irons nous sans « ELLE »? En ces jours présents, elle est menacée, jalousée par les intentions des ennemis qui envient sa quiétude et l'abondance de ses richesses, répètent-ils entre eux. Et ils postent des cerbères le long de la muraille dans laquelle ils l'enferment jusqu'à ne plus la voir eux-mêmes. Peu à peu, ils ont fini par la soustraire à leur propre regard, puis l'ont oubliée et lorsque sa voix passe les murs de sa prison, ils lui ordonne de se taire: « tu es le risque pour nous! » Et quand arrive le printemps, ils cherchent dans les champs des bouquets de fleurs pour la consoler et n'en trouve point. Les fleurs ne poussent plus, les oueds se sont taris, les Djebels ne répondent plus. Il ne reste que la voix d' ELLE. Comme un ultime appel, une dernière alerte pour que l'on se souvienne d'elle. N'est-elle pas là pour nous depuis plus de 2.000 ans. Faudrait-il encore entendre sa voix, comprendre son message, apprécier sa générosité, admirer sa beauté ? Alors seulement nous serons digne d' ELLE.