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8 mars : pour un statut digne de la femme

par Ammar Koroghli

Depuis l'Indépendance, des droits élémentaires pour les femmes, tels que la liberté de circuler, consommer dans les cafés et aller au cinéma et autres lieux publics, sont réduits à leur portion congrue. Soucieux de ménager les milieux qualifiés de traditionalistes.

A l'occasion de la Journée de la femme, il m'a semblé utile de verser une modeste contribution sur le statut de cette dernière, la question de la femme constituant sans doute la problématique la plus éprouvante que tente de résoudre le monde musulman contemporain. Cette question agite la société algérienne beaucoup plus qu'ailleurs tant qu'elle occupe l'espace mental obnubilé par le dogme. Le politique et l'économique, comme lieux d'exercice du pouvoir, et le social et le culturel, comme espaces d'expression en sont profondément marqués.

L'historiographie musulmane abonde d'exemples qui attestent du côtoiement entre l'homme et la femme. Ainsi, les audiences délibératives tenues par les femmes - notamment avec les califes - le confirment ; il en est de même des assemblées avec les fouqaha (hommes de loi) dans les dynasties omeyyade et abbasside. Dans ces conditions, il s'avère que la vie publique, conçue comme espace de saines confrontations, n'avait pas de secret pour elles.

Cependant, au contact d'autres civilisations, les Musulmans cherchèrent à éviter la promiscuité censée gêner les femmes, considérées comme mères, épouses, sœurs et filles. Cette préoccupation était également l'apanage de ces mêmes civilisations, la crainte étant la perte de l'identité ; ce qui explique sans doute la prohibition de liens matrimoniaux avec des non-musulmans. Ainsi, pensait-on, l'ordre social serait préservé, considérant qu'il y avait là un réflexe de légitime défense.

Il est constant que cette attitude se retrouve, entre autres, en Europe. De fait, « la condition de l'Occidentale est restée pratiquement inchangée pendant des millénaires : il n'y a guère de différence fondamentale entre la condition de l'Athénienne du IVe siècle avant J.-C. et celle de la Française du XXe siècle » (1). Dans le même ordre d'idées, il semblerait que les théologiens du Moyen-Age, réunis en concile, refusaient à la femme le droit au plaisir ! Elle était également chargée des travaux les plus asservissants pour un salaire dérisoire (inférieur de moitié à celui des hommes).

Cette situation a perduré puisque, dans sa version originale, le code civil français par exemple frappe la femme d'incapacité. Des psychosociologues seraient sans doute mieux à même d'étudier ces schémas mentaux propres, en toute vraisemblance, à tous les peuples et nations qui cherchent à tort ou à raison à se prémunir contre tout élément extérieur censé les remettre en cause. Sans doute est-ce là la raison essentielle ayant conduit, du fait de l'unité du sacré et du temporel, à une conception théologique de la législation relative à la famille, en général, et à la femme, en particulier, et dont la pierre d'angle philosophique semble être le fameux « inna erridjal qaoumoun âla ennisa », c'est-à-dire la prééminence de l'homme sur la femme, selon une interprétation restrictive. A cet égard, deux courants contemporains se partagent la pensée : d'une part, les « fondamentalistes » qui prônent le retour aux sources (el açala) devant aboutir à un ancrage du statut de la femme aux origines de l'Islam dans la tradition des ancêtres (el aslaf) et, d'autre part, les « réformistes » avec Mohamed Abdou, Djamel Eddine El Afghani, Rachid Ridha et Qasim Amin qui préfèrent, quant à eux, parler d'émancipation de la femme (tahrir el mar'a) dans un esprit religieux se situant loin de l'ordre patriarcal.

Cette « querelle philosophico-théologique » est loin de s'estomper, a fortiori, en Algérie où le code de la famille a fait couler beaucoup d'encre. Du régime de l'autogestion à celui de l'économie de marché, en passant par celui des industries industrialisantes, le dossier relatif à la condition de la femme fut des plus délicats.

Droits des femmes depuis l'indépendance ?

Depuis l'Indépendance, des droits élémentaires pour les femmes, tels que la liberté de circuler, consommer dans les cafés et aller au cinéma et autres lieux publics sont réduits à leur portion congrue. Soucieux de ménager les milieux qualifiés de traditionalistes, le Pouvoir a intégré dans sa stratégie la répression policière ; ainsi, celle de 1979 caractérisée comme une « campagne d'assainissement » (hamlat et tathir aux lieu et place de hamlat et tahrir, campagne de libération), avec le harcèlement des couples pour atteinte présumée aux murs avec pour toile de fond un marasme culturel chronique et une incapacité du Pouvoir à juguler le modèle de consommation de type occidental (électroménager, audiovisuel, meubles, vêtements, denrées alimentaires et autres loisirs).

De surcroît, la croissance démographique non maîtrisée qui, outre qu'elle obère de façon certaine le développement socio-économique, ne libère pas les mentalités des pesanteurs historiques d'autant plus qu'il faut ajouter à cela le caractère moralisateur des supports pédagogiques dans l'enseignement (ainsi que les « prêches » de certains maîtres d'école, de collège et de lycée aux lieu et place d'instruction civique), l'université étant hélas devenue le théâtre d'affrontements physiques entre « francisants » et « arabisants », entre « progressistes » et « traditionalistes » beaucoup plus qu'un lieu de savoir scientifique et de débats d'idées.

Par ailleurs, prendre comme chef d'illustration un secteur jugé émancipateur (le travail) permet de constater l'une des contradictions sociales les plus aberrantes. Ainsi, sur une population d'environ 25,1 millions de personnes (plus de 30 millions à l'heure actuelle), la population active est de 5 891 000, soit un taux d'activité de 24 % « inégalement réparti selon le sexe car il est de 43 % pour les hommes et de 4,7 % pour les femmes » (2) qui sont techniciennes de la santé (44,5 %), enseignantes (38 %) et employées d'administration (18 %). Le secteur public englobe 85,9 % et le secteur privé 14 %.

Il reste évident que les préjugés constituent l'un des principaux facteurs explicatifs de cette situation. En outre, nonobstant l'appel fait par l'ensemble des textes à caractère doctrinal (cf. les différentes chartes de l'Algérie indépendante) et à caractère juridique (les diverses Constitutions et lois) sur la participation de la femme à l'édification du pays, peu de femmes ont accédé à des postes de commande de la vie publique : ministres, députées, ambassadrices, préfets et sous-préfets, recteurs, présidentes-directrices générales de sociétés, même si certains métiers réservés jusque-là aux hommes - armée et police - ont subi quelque peu le baptême du feu des femmes.

D'ailleurs, il est caractéristique d'observer que près de la moitié de la population est constituée par des divorcées, séparées et veuves (3). La vision déterministe de l'économie ne saurait à elle seule expliquer cette situation car le facteur sociologique s'y adjoint par la tentative de mettre fin à « l'idéologie patriarcale » à travers la scolarisation de la gent féminine qui doit, sans conteste, « négocier » en permanence son rôle dans la vie sociale, économique, culturelle et politique.

Faut-il s'en alarmer ? Nul besoin. En effet, il est admis que cette situation prévaut, toutes proportions gardées, dans les pays avancés, à la tête desquels les Etats-unis d'Amérique et l'Europe. En effet, malgré des textes éminemment protecteurs et égalitaires (ceux de l'Organisation internationale du travail, le Traité de Rome, la Déclaration universelle des droits de l'Homme, les principes constitutionnels), du chemin reste encore à parcourir car « le fond du problème, c'est qu'on n'élimine pas en quelques années des discriminations qui ont cours et sont admises depuis des siècles » (4), d'autant plus que la tendance à l'égalité n'empêche pas de constater, par exemple, que les magistrates sont juges des enfants et que les policières s'occupent des murs. Il est vrai néanmoins que, dans les pays avancés, on est loin de la situation d'infériorité dans laquelle la femme algérienne a été placée par le code de 1984 tant décrié. Le tout est, me semble-t-il, de réfléchir à des solutions graduellement satisfaisantes pour éviter les palliatifs tels que le travail à temps partiel de la femme et l'allocation de la mère au foyer, par exemple. D'où l'exigence de l'infrastructure sociale que constituent les crèches et les garderies d'enfants, entre autres, la question de la « dualité des tâches » pour les femmes : travail professionnel et tâches ménagères demeurant l'apanage de chacun des couples.

Sans doute, pour aboutir à une situation de paix sociale, la société civile doit éviter l'approche de nature conflictuelle (guerre des sexes : maris et femmes, pères et filles, frères et sœurs) et concilier la réalité sociologique avec les textes élaborés par des juristes soucieux d'équilibre social ; cela d'autant plus que les physiologistes nous ont affranchi sur une vérité première : nulle différence physique entre l'homme et la femme, si ce n'est au plan morphologique (le modelé du corps). A ce niveau, il y a sans doute lieu davantage de parler de complémentarité égale que d'égalité dès lors que l'on apprend que si la femme se fatigue plus vite que l'homme au travail, elle résiste mieux que celui-ci à la douleur, à la maladie et au manque de sommeil (hors le cas de la menstruation) ; de même d'aucuns pensent qu'au plan psychologique, elle est plus sensible, moins agressive et moins portée que l'homme sur la rivalité.

Dans cet ordre d'idées, l'Algérie a relativement peu emboîté le pas à la modernité au niveau des textes. Ainsi, sur les 199 articles de la Constitution de 1976, seules deux dispositions sont consacrées à la question de la femme. En effet, l'article 42 stipule que « tous les droits politiques, sociaux et culturels de la femme algérienne sont garantis par la Constitution ». L'article 81, quant à lui, souligne que « la femme doit participer pleinement à l'édification socialiste et au développement national ». D'autres dispositions constitutionnelles concernent le statut de la femme dans la société, consacrant l'égalité juridique de celle-ci avec l'homme : l'égal accès à tous les emplois (art. 44), la prohibition de toute discrimination fondée sur le sexe (art. 39, al. 3), la protection de la maternité (art. 65, al. 1er), la garantie et la sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux (art. 164) et l'égalité devant la justice (art. 165).

Hélas, les Constitutions algériennes subséquentes n'ont guère innové. Ainsi, suite au coup de tonnerre opéré début octobre 1988 dans le ciel serein en apparence de la vie politique algérienne, la Constitution de 1989 n'a fait également que consacrer formellement l'égalité des citoyens devant la loi (art. 28), l'égalité en droits et devoirs de tous les citoyens (art. 30), le droit au travail de tous les citoyens (art. 52, al. 1er), l'égalité devant l'impôt (art. 61, al. 1er), la garantie et la sauvegarde des droits fondamentaux de tous et de chacun (art. 130), l'égalité devant la justice (art. 131). Si le constituant algérien s'est montré parcimonieux dans son approche du problème, le code de la famille de 1984 (loi n° 84-11 du 9 juin 1984) est prolixe en la matière. Réparti sur quatre chapitres (228 articles) : du mariage et sa dissolution, de la représentation légale, des successions et des dispositions testamentaires, le code s'inspire de la charia (rite malékite). D'aucuns considèrent ce code comme une « valeur ajoutée » à la société traditionaliste, l'économie du texte est la suivante : la polygamie sous réserve, la tutelle matrimoniale à l'égard de la fille (même majeure), la prohibition du mariage avec un non-musulman pour la femme, le divorce comme faculté exclusive du mari (la répudiation), l'interdiction de l'adoption (tempérée toutefois par le système de la kafala ou recueil légal), l'absence de statut pour la mère célibataire et le droit à la moitié des parts en matière successorale.

Sans être une préoccupation majeure pour les différents régimes successifs, le statut de la femme a fait l'objet d'une première codification en 1966 fondée également sur la charia, le projet ayant été élaboré par le ministère de la Justice. Suite aux protestations qui s'ensuivirent, le gouvernement de Boumediène préféra retirer le projet. Le même scénario eut lieu au cours de l'année 1973. Sous Bendjedid, en 1981, un code similaire quant à ses dispositions vit le jour. Les principaux initiateurs seraient d'anciens ministres : Boualem Baki (Justice), Abderrahmane Chibane (Affaires religieuses) et Boualem Benhamouda (Intérieur). Ce code ne fut pas adopté suite au tollé soulevé dans la rue par des femmes saluées comme des figures de proue de la guerre de Libération nationale - parmi lesquelles Djamila Bouhired, Zohra Drif et Fatouma Ouzegane. En effet, le 24 janvier 1982, le projet fut retiré sur décision de la Présidence, pour réapparaître, toutefois, en 1984.

La femme, un don de dieu ?

A titre comparatif, la Tunisie s'est dotée d'un code dès 1956. Certes, empreint de mimétisme dans ses principales dispositions et en avance bien évidemment sur les pratiques sociales, la modernité fut le levain de ce code. Au plan juridique, le statut de la femme tunisienne apparaît nettement valorisant et valorisé. Reste que l'écart entre la théorie et la pratique doit être mesuré. En tout état de cause, deux exemples parmi d'autres peuvent servir à marquer la différence entre les statuts algérien et tunisien. Ainsi, le divorce par consentement mutuel est inexistant dans le premier cas ; bien plus, l'adultère, les injures et sévices graves ne sont pas constitutifs de faits entraînant le divorce. Par ailleurs, le droit au travail n'existe que si le contrat de mariage le stipule. En Algérie, la femme continue d'être considérée comme « un don de Dieu » à l'homme aux lieu et place de sujet de droit, d'autant plus qu'elle continue d'être une victime socialement observable ; sans doute, en partie du fait d'une interprétation tendancieuse du texte divin.

L'exemple le plus éloquent, à cet égard, est relatif à la polygamie. En effet, la sourate 4, verset 3 est claire : « Epousez donc celles qui vous seront plaisantes par deux, par trois ou par quatre ; mais si vous craignez de ne pas être équitables, prenez-en une seule ». La sourate 129 est tout aussi explicite : « Vous ne pourrez traiter équitablement toutes vos femmes, quand bien même vous le désireriez. ». A ce sujet, les rédacteurs du code ont entendu limiter à trois conditions la formation du lien matrimonial : le consentement, la présence obligatoire d'un tuteur et l'obligation d'une dot versée par l'époux. Selon l'article 8 : « Il est permis de contracter mariage avec plus d'une épouse dans les limites de la charia si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies et après information préalable des précédentes et futures épouses. » Ici, l'équité est de mise. Toutefois, comme déjà constaté, la conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial (wali), le père ou un proche parent (article 11), sous réserve de ne pas contraindre la personne placée sous sa tutelle (article 13). Là, l'accent est mis sur le consentement.

La principale obligation qui pèse sur le mari consiste à « subvenir à l'entretien de l'épouse dans la mesure de ses possibilités » (article 37). Telle que rédigée, cette disposition du code laisse sous-entendre que la femme est au foyer. Quant à l'épouse, elle est tenue d'« obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille » et de « respecter les parents de son mari et ses proches » (article 39). Il est à regretter que cet article ne puisse avoir de contrepoids en devoirs équivalents pesant sur l'époux ; et ce d'autant plus que l'on peut légitimement se demander si l'ambiguïté ne vient pas d'une mauvaise interprétation de la sourate 38 selon laquelle « les hommes sont supérieurs aux femmes par le fait qu'Allah en a élevé plusieurs au-dessus des autres et aussi par le fait qu'ils dépendent de leur fortune ».

Autre question d'importance : la filiation qui est établie par le mariage valide (article 40). Quid des enfants extraconjugaux, ceux dits naturels, adultérins ou incestueux ? Quel est le statut et quels sont les droits de ces enfants ? Ainsi, selon l'article 41, seul le mariage légal permet d'affilier l'enfant à son père, c'est-à-dire par la possibilité des rapports conjugaux (« sauf désaveu de paternité selon les procédures légales »). Quid de la fille mère et des subsides qu'elle serait censée demander, par voie judiciaire, au géniteur fuyard ?

Il reste évident que le législateur a entendu, en la matière, évacuer du droit algérien les éléments pouvant présumer - voire certifier - de la paternité extralégale, tels que les actes de notoriété et la possession d'état. Il est navrant que cette question ne puisse trouver de réponse satisfaisante lorsqu'on sait que nombre d'enfants naissent en dehors de tout lien conjugal, enfants recueillis par l'assistance publique et que la délinquance et autres maux sociaux et psychologiques guettent. Enfin, l'adoption (tabbani) est interdite par la charia et la loi (article 46). A cet égard, il est à se demander quelle est l'utilité d'ajouter la loi. En effet, pusillanime s'il en faut, le législateur algérien cherche-t-il, tel un faux dévot, à mêler sa voix à la voie divine ? Toutefois, si l'article 46 interdit l'adoption, le chapitre VII sur la kafala (recueil légal) règle autrement cette question en 10 articles. Ainsi, l'article 116 dispose que « le recueil légal (kafala) est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur au même titre que le ferait un père pour son fils. Il est établi par acte légal ». De même, l'article 119 indique que l'enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue, enfant auquel est reconnu le droit aux prestations familiales et scolaires comme pour l'enfant légitime. Il peut même prendre le nom du kafil. Serait-ce là une reconnaissance déguisée des enfants nés de relations extraconjugales ?

En matière de tutelle, l'article 87 fait du père le tuteur de ses enfants mineurs ; à son décès, l'exercice de la tutelle revient à la mère de plein droit. La question se pose de savoir s'il n'y a pas lieu de réformer cette disposition en instituant l'exercice conjoint de la tutelle (voire de l'autorité parentale) du vivant des époux ? En matière de divorce, s'il est loisible de constater, à la lecture des articles 53 à 55, certaines garanties à l'épouse, force est de constater que « la femme divorcée par ce droit (le domicile conjugal unique) une fois remariée ou convaincue de faute immorale dûment établie » (article 52, alinéa 3). Le législateur n'évoque pas cette situation pour l'homme monogame puisque le polygame jouit dans tous les sens du terme de cette « faute immorale » (l'adultère n'étant plus réprimé pénalement - en France, par exemple -, mais pouvant constituer le fondement d'un divorce pour faute avec toutes conséquences de droit, une fois établi). Pourtant, dans la sourate 2 La Génisse, les versets 231 et 242 sont édifiants à cet égard. Le premier rappelle que lorsqu'il faut répudier des femmes, « gardez-les avec honnêteté ou renvoyez-les avec honnêteté » ; le second : « Un entretien convenable est dû aux femmes divorcées. C'est un devoir pour ceux qui craignent Allah. »

L'injustice de la succession

L'autre dimension juridique du statut de la famille est constituée par le chapitre relatif aux successions ; question complexe et ardue, s'il en est. Ainsi, des dispositions générales énoncées (articles 126 à 138), celles de l'article 138 paraissent curieuses du point de vue de la formulation. Cet article est ainsi libellé : « Sont exclues de la vocation héréditaire les personnes frappées d'anathème et les apostats. » Quant à l'article 143, il détermine les parts de succession ; la moitié, le quart, le huitième, les deux tiers, le tiers et le sixième.

Les catégories d'héritiers délimitées sont au nombre de trois : les héritiers réservataires (héritiers fard), les héritiers universels (héritiers aceb) et les héritiers par parenté utérine ou cognats (daoui el arham). Or, autant pour la première catégorie, il y a une certaine équité respectée entre hommes et femmes, autant pour la seconde on peut relever quelques observations ; ainsi, l'article 150 du code indique que « l'héritier aceb est celui qui a droit à la totalité de la succession ».

A la tête des héritiers réservataires, ayant droit aux deux tiers de la succession, figurent les filles mais lorsqu'elles sont deux ou plus à défaut de fils du de cujus (donc un fils de cujus - 2 filles ou plus ?). Il en est de même des descendants du fils du de cujus, des surs germaines et des surs consanguines. Quant à la mère, elle fait partie des héritiers réservataires ayant droit à un tiers et encore « à défaut de descendance des deux sexes du de cujus » (article 148, alinéa 1er). Pour les héritiers universels, alors que l'article 152 dispose : « Est aceb par lui-même tout parent mâle du de cujus, quel que soit son degré issu de parents mâles », selon l'article 155 : « L'héritier aceb par un autre » la fille, la fille du fils du de cujus, la sur germaine et la sur consanguine) : « Il est procédé au partage de sorte que l'héritier reçoive une part double de celle de l'héritière. ».

Dans le chapitre V « De l'éviction en matière successorale » (hajb), l'article 160 définit les héritiers bénéficiant d'une double réserve : le mari, la veuve, la mère, la femme du fils et la sur consanguine. Là où le mari reçoit la moitié de la succession (à défaut de descendance), là où les veuves reçoivent seulement le quart et la mère le tiers (à défaut de descendance pour les unes et les autres). Seules la fille du fils et la sur consanguine reçoivent la moitié de la succession (comme le mari donc), mais à condition d'être enfant unique, ce, à défaut de quoi, l'une et l'autre ne reçoivent que le sixième.

Le chapitre VII sur l'héritage par substitution n'est pas pour dégager l'opacité sur la question. En effet, en matière de succession du de cujus (des descendants d'un fils décédé), l'article 172 en son alinéa énonce : « Au partage, l'héritier mâle reçoit une part de succession double de celle de l'héritière. »

Comme on peut le constater, la question de la femme se révèle complexe, telle qu'exposée dans le code de la famille de 1984. Sans doute que, en l'état actuel des choses, la réforme la plus raisonnable à envisager serait d'instituer un système civil qui permettrait de tenir compte des aspirations légitimes de certains segments importants de la société algérienne face à la tendance démesurée d'autres segments de la même société qui s'opposent à tort à l'accession de l'Algérie à une technologie juridique d'autres nations ayant atteint un degré évident d'évolution de la règle de droit telle qu'appliquée à la société.

Il est vrai que le bonheur est une vieille idée, mais ce n'est point une idée vieillie ; encore moins une idée vieillotte. A.K.

Notes

(1) Le Travail au féminin, R. Gubbels ; ed. Marabout, Paris, 1967, p. 23.

(2) La Femme et la loi algérienne, N. Saâdi. Ed. Bouchène, 1991, p. 92.

(3) Selon Algérie-Actualité du 10 mars 1988 : « La demande féminine d'emploi prendra une part de plus en plus importante. Elle est estimée à 220 000 entre 1985 et 1989 ; à 348 950 entre 1990 et 1994 ; à 538 550 entre 1995 et l'an 2000 ; soit un total de 1 108 300. »

(4) Le Travail au féminin, op. cit. p. 100.