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Notre carnaval à nous

par M'hammedi Bouzina

«Au carnaval tout le monde est jeune même les vieillards. Au carnaval tout le monde et beaux mêmes les laids.» ( proverbe populaire).

C'est la semaine du carnaval ou des carnavals en Occident. Les fêtards se maquillent les visages en mille et une créatures fantastiques avant de se laisser aller à des mouvements de foules colorées, dansant au rythme de chants aussi vieux que le monde, se livrant à des agapes gargantuesques jusqu'à l'ivresse et l'illusion de jours meilleurs à l'annonce prématurée du printemps. Les rendez-vous sont pris dans l'entre-soi du peuple: élections pour entamer un nouveau bout de chemin proposé par les uns et les autres comme celui le moins cahoteux et le plus court vers le bonheur.

Comme en occident, l'Algérie fête son carnaval à sa manière, avec le grimage des idées et le maquillage des mots. C'est plus subtil et plus «intelligent» que le déguisement des visages et l'accoutrement vestimentaire inspiré du moyen-âge chez les occidentaux. Voyez le carnaval de Venise, c'est d'un ridicule qui transforme les adultes en clowns. Celui de Rio est une énorme explosion de pulsions honteuses. Le carnaval, tradition du moyen-âge donc ne nous effraie pas, ne nous révulse pas entant que tel. Preuve, notre moyen-âge nous fascine jusqu'à l'obsession, jusqu'à l'irrésistible envie d'y retourner. Le corps et l'esprit enchaînés au moyen-âge, le présent devient un enfer insupportable à vivre et l'avenir une merveilleuse et délicieuse certitude à «vivre» dans l'au delà. Les chantres de cette promesse sont légion et n'ont point besoin de déguisement. ils sont maquillés par instinct et animent chaque rendez-vous national carnavalesque. Les autres sont déguisés au présent: accoutrement dernière mode en vogue, élégance du port, verbe racoleur. Ils ne déguisent pas leur apparence. Ce sont leurs idées qui sont difficiles à deviner tant les couleurs qui les bariolent donnent le vertige d'un arc-en-ciel jusqu'à l'étourdissement. Ils sont difficiles à identifier et donnent un surplus au suspens du carnaval national. Et puis il y a encore les autres, ceux qui ne défilent jamais au carnaval mais qui suent dans l'arrière-scène et les coulisses pour son déroulement dans la joie et la bonne humeur. Et la foule des festivaliers? Que fait-elle dans cet immense moment de communion et de fête? Comme toute les foules des autres pays du monde, elle joue le jeu, admire le défilé du cortège paré de couleurs et de déguisements aussi originaux qu'amusants, applaudit les plus hilarants et puis se regarde comme dans un jeu de miroir déformant avant de se laisser aller à un grand éclat de rire. Ce n'est qu'un jeu, une fête populaire qui nous invitent à un grand moment national de retrouvaille et de détente. Il n'y aucune crainte à se faire de ses déguisements et maquillages aussi fantasques qu'ils paraissent tant ils font partie de nos habitudes.

Combien de fois avant nous vécu de défilés de carnavals qui n'ont pas au final changer nos habitudes, bousculé notre présent, hypothéqué notre avenir? Oui, bien sûr les promesses sont faites par ceux et celles qui y croient, ceux et celles qui défilent lors des carnavals. Elles les engagent eux seuls. Et puis, il ne s'agit que de grimage, de déguisement et de maquillage, soient les règles classiques d'un jeu de carnaval. Autant en profiter, s'amuser et ne pas se faire trop de soucis. Seuls les sceptiques, les soupçonneux craignent le jeu, critiquent la fête du carnaval jusqu'à semer le doute dans la tête et le cœur de la foule. Ils sont tristes par nature et ne sont jamais contents.

Comment peut-on être triste et inquiet dans des moments de fête nationale? D'ailleurs ces derniers temps certains incrédules et tristounets ressortent de vieilles histoires pour gâcher l'apothéose de la fête attendue au printemps: ils dénoncent la mise sur piédestal d'un ancien bachagha supplétif des premier bataillons de l'armée coloniale française, bourreau de ses frères algériens. Qu'est-ce qu'ils ont à aller chercher une histoire d'un bachagha vieille comme le crépuscule colonial de notre pays et en faire un scandale aujourd'hui? N'avons nous pas assez de problèmes actuels à surmonter? De plus il y a ce candidat potentiel à la présidentielle français en visite dans notre pays qui a reconnu les crimes contre l'humanité commis par l'armée de son pays chez nous. Là c'était une occasion à saisir pour demander à la France coloniale des comptes. Oui, évidemment la France à aussi un rendez-vous électoral comme par hasard trois jours après le notre: le 07 mai prochain. Décidément les rendez-vous historiques de l'Algérie et de la France ne finissent jamais. Chez eux le carnaval tourne à l'affrontement dans l'arène d'un cirque. A couteaux tirés mais sans déguisements, ni maquillage: ils s'affrontent à visages découverts. C'est plus violent et nous nous n' aimons pas la violence. Nous en avons assez souffert de la violence pour préférer les combats sauvages des cirques antiques aux carnavals festifs quoi qu'en pensent les sceptiques et boutonneux de la politique. L'avantage d'un carnaval est qu'il invite tout le monde à la fête et permet à chacun un jeu de rôle et un déguisement de son choix: diable, ange, fée, magicien, clown, renard et même prophète avec longue barbe et bâton de pèlerin à la main. Tous s'amusent et tous savent que ce n'est qu'un jeu de carnaval, un moment de détente. Pas de risque et pas de vainqueurs et de vaincus. Que du jeu, que du bonheur. Beaucoup nous observent de loin, au delà de nos frontières avec jalousie et envient, souhaitant la fin de notre bonheur et fantasmant de nous revoir plongés dans la colère, la violence et la guerre. Ils veulent notre fin. La vigilance doit être de mise pour que la fête se poursuive: tous à la fête, acteurs du défilé et spectateurs amusés.

N'oublions pas l'énorme erreur que nous avons commise par le passé, un certain janvier 1992, lorsque les forces du mal ont pris le dessus et annulé le carnaval: ça nous a valu un enfer de 10 ans. C'est vrai que l'idée d'une fête de carnaval en plein hivers cette année là était annonciatrice de malheurs. C'est connu, le printemps est la saison où la nature s'émeut et se réconcilie avec elle même pour enchanter tous les êtres vivants, jusqu'aux fleurs qui s'embrassent dans des bouquets étonnants. Alors pourquoi nous priver d'un tel enchantement auquel la nature nous invite? Fleurissons les chars du défilé du 4 mai prochain, parons-nous de nos meilleurs habits, sortons avec nos femmes et enfants, faisons la fête jusqu'au bout et élisons, comme dans tout carnaval, le chars le plus beau et les acteurs les plus originaux. Cinq dans les yeux des envieux et jaloux, à commencer par cette France qui nous perturbe avec ses mensonges et son atroce histoire chez nous qu'elle maquille comme toujours. Faisons que notre rendez-vous du 04 mai chez nous soit plus beau que leur rendez-vous du 7 mai. Nous avons l'avantage de la nature: il fait plus beau chez nous que chez eux et partout ailleurs dans le monde au mois de mai.