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Les législatives 2017 ne semblent pas susciter un engouement populaire

par Reghis Rabah*

L'appel lancé par le président de la république à l'occasion de la journée du Chahid envers les jeunes pour venir voter en masse lors des prochaines élections du 04 mai 2017 est un signe d'une certaine appréhension du pouvoir à l'égard d'une forte abstention en perspective. Les ministres en poste se retirent un à un de peur d'un échec.

De nombreux candidats, notamment libres n'arrivent pas à mobiliser une base solide en développant le discours classique. En effet, croire ou tenter de faire croire que l'occupation des sièges dans les hémicycles ou les assemblées de wilayas et communes avec les partis de la coalition permettraient de constituer un contre pouvoir est un leurre. C'est une erreur d'appréciation que même les ténors de la révolution ont commis à un moment ou un autre. D'abord Feu Mohamed Boudiaf qui a cru en la sincérité de ses compagnons de lutte a accepté de revenir en Algérie mais lorsqu'il a voulu crée le rassemblement RPN pour contrecarrer le pouvoir et s'est attaqué aux intérêts du système notamment les affaires de corruption, il s'est retrouvé au cimetière. Plus tard, l'historique Ait Ahmed pensait qu'en prenant les rênes de la destinée du pays, il pourrait changer les choses.

Il s'est porté candidat au présidentiel de 1999 mais avant même qu'elle se déroule, il a terminé dans un hôpital. Depuis pratiquement l'ouverture du champ politique après les émeutes d'octobre 88, seul un parti a tenté de chambouler, maladroitement d'ailleurs le système en vain : il s'agit du Front islamique du Salut, le reste et ils sont nombreux se sont contentés de chauffer les sièges en s'accommodant avec l'establishment en place qui mène la barque à tous les niveaux. Si pour les premiers, leur traversée du désert de plus d'une quarantaine d'années ne leur a pas permis de bien inclure dans leurs analyses une distinction claire entre le pouvoir et le système qui le contrôle, les seconds se sont trop focalisés sur la personne de Bouteflika et son clan, une démarche qui non seulement arrange le système mais le met hors de toute turbulence. Quel est le contexte mondial au sujet des systèmes politiques ? Comment est né justement ce système en Algérie ? De quelle manière tisse-il ses liens avec ses différentes constituantes ? Est-il immuable ?

Contexte international et le rejet du politiquement correcte

Que ce soit en Europe ou ailleurs, les populations commencent à se lasser de l'alternance gauche droite qui reste confinée dans un même système. Il n'existe pas d'offre politique en dehors de ces limites. Entre l'existant ou le chaos, les citoyens ont opté ces dernières années pour le langage cru des extrêmes. L'incohérence et l'arrogance paraissent plus crédibles que la promesse électorale qu'on ne tiendra jamais. Il faut préciser par ailleurs que la poussée de l'extrême droite en Europe n'a pas attendu Trump pour se produire mais suit sa cadence progressive depuis prés d'une décennie. Un sondage récent de l'IFOP pour le compte d'une association nationale des conseils d'enfants et des jeunes (ANCEJ), a montré que le 1/3 de la génération future française dont l'âge est compris entre 18 à 25 ans préfère de loin voter frontiste c'est-à-dire Marine le Pen comme présidente. Norbert Hofer, cet extrémiste autrichien a raté de peu une prise de pouvoir dans ce pays en mai dernier. Sa position actuelle le réconforte dans la prise de décision en Autriche L'extrême droite à la tête d'une démocratie européenne? Parfois approché, souvent redouté et encore inédit. Pour Norbert Hofer et son parti, l'Union européenne (UE) est une machine à broyer l'identité autrichienne, et l'islam est à bannir de la république, exactement les idées qu'a développées Trump lors de sa compagne électorale. Créée par des économistes en 2013 afin de sortir de la zone euro, la formation a troqué sa bête noire contre une autre, l'islam, à la faveur de la crise des réfugiés, accueillis en grand nombre outre-Rhin ,plus de 1 million en 2015.Plus au sud, les élections législatives suisses ont confirmé, en octobre, que l'Union démocratique du centre (UDC), partisan de l'interdiction des minarets et de l' immigration de masse , occupe bien la première place dans le cœur des électeurs helvètes. Au Danemark, en juin, le Parti du peuple danois a frôlé le triomphe en se hissant à la deuxième place au sein du « Folketing », le Parlement à Copenhague. Avec 21 % des suffrages, il y a gagné quinze sièges supplémentaires et ainsi, l'occasion d'y faire résonner davantage son euroscepticisme et son nationalisme. En Allemagne comme en Autriche, par laquelle ont transité des centaines de milliers de réfugiés en 2015, l'actualité immédiate de la crise des migrants a tout à la fois nourri et accrédité une rhétorique fondée sur un argument essentiel: l'incompatibilité entre l'Europe et l'islam. Compris comme une culture, celui-ci est perçu comme une menace pour l'identité de l'Europe et des nations qui la composent. Attaquer l'Islam et les islamistes est devenu une rhétorique qui a permis une copieuse récolte électorale car elle a pris sur un terreau labouré depuis plusieurs années. Avec le 11septembre, l'islam est devenu l'ennemi de l'extrême droite. Le rejet de l'islam va de pair avec une idée de la nation présentée comme une référence qu'une ouverture sur l'extérieur pourrait trahir. Il n'y a pas d'extrême droite sans un rapport fort à l'idée de nation. Une attitude de repli sur un passé qu'il faut perpétuer, et de fermeture sur soi à l'intérieur de ses frontières que l'on retrouve aussi dans les discours de certains partis de la droite populiste en Europe centrale, comme Droit et justice, au pouvoir en Pologne, ou le Fidesz, au pouvoir en Hongrie. Pour le continent africain, l'ex candidat à la magistrature suprême de la première puissance mondiale, il le résume de la sorte : certains pays africains sont des imbéciles paresseux, tout juste bon pour manger, faire l'amour et voler. Ensuite la plupart d'entre eux devraient être colonisés pendant des siècles. Pourtant les premiers qui se sont pressés de le féliciter et lui faire des offres sont le président égyptien Al Sissi et celui algérien Abdelaziz Bouteflika. Pour ce dernier en fin diplomate des années 70, il a compris que les républicains ont toujours tendu la main aux Algériens pour ses gisements pétroliers et non pour ce qu'elle représente du point de vue géostratégique. Le seul démocrate qui voulait récupérer l'Algérie indépendante dans son sillage était J.F Kennedy qui avait reçu aux Etats Unis le premier président algérien le feu Ahmed Ben Bella pour lui proposer un accompagnement économique pour son développement suivant une approche américaine. De retour dans son pays, Ben Bella a fait escale à Cuba pour que Fidel Castro le réoriente vers l'union soviétique (URSS), chemin que l'Algérie devait prendre non par idéologie mais par nécessité de développement. Cette démarche a été abandonnée deux décennies après. Plus tard, le président Chadli Bendjedid devait être briffé par un autre républicain, Reagan en 1985 pour ramener dans ses valises l'idée de vendre Hassi Messaoud pour la récupération secondaire et tertiaire dans laquelle les Américains excellent. La loi sur les hydrocarbures des années 1986 devait renforcer la présence américaine dans le régime de partage de production. Enfin deux années après son investiture à la tête du pays, Abdelaziz Bouteflika s'est déplacé aux Etats Unis pour rencontrer George W Bush d'où est née la loi très controversée sur les hydrocarbures de 2005 que les syndicalistes ont assimilé à une privatisation pure et simple du mastodonte Sonatrach de suite amendée par ordonnance. Il n'existe pas de sentiment en politique, les peuples entretiennent des relations d'intérêt. Il suffit donc que chacun des acteurs circonscrit exactement ce qu'il attend d'un tel lien. Souvent de nombreux leaders une fois au pouvoir confondent leurs visions personnelles avec celles de l'intérêt général et c'est là où se produisent des étincelles. Ces changements qui apparaissent ici et là à travers les démocraties les plus aguerries, ne resteront pas sans influences sur les systèmes tels que décrit par Donald Trump plus haut.

Qu'en est-il en Algérie ?

Il ne faut pas oublier que le parti du Font de la Libération Nationale (FLN) est apparu au lendemain de l'année 1962 comme un creuset de tendances autour d'un consensus qui est l'indépendance politique de l'Algérie. La dynamique de ses affinités a commencé une fois cet objectif atteint. On peut considérer pour faire court la première présidence sous le feu Ahmed Ben Bella comme réservée à cette chamaillade interne du parti et la réorganisation de l'économie nationale suite au départ massif des colons et l'abandon des moyens de production notamment les domaines agricoles. Il a fallu attendre l'année 1965 pour que l'armée sous le guide du feu charismatique Houari Boumediene s'empare du pouvoir pour redresser la ligne et rassembler encore une fois ces différentes approches du FLN autour d'un autre consensus cette fois-ci l'indépendance économique. Jusqu'à sa mort le pays à brillé par la clandestinité des idées, la gestion par des symboliques et surtout la prédominance de la cohésion sociale sur celle politique qui n'était pas d'actualité. A sa mort des technocrates, ont envahi les rangs du parti pour réorienter le modèle et concevoir des règles pour son fonctionnement. Le choix d'un leader qui se conforme à cette base se fait soit au sein de l'armée, des anciens moudjahidines charismatiques par leur historicité ou éventuellement des enfants de Chouhadas. Ceux qui n'ont pas accepté de suivre la ligne de conduite ont été écartés de différentes manières comme Boudiaf, personnalité historique, ceux qui n'ont pas résisté à la pression n'ont pas fini leur mandat comme feu Chadli Bendjedid, Commandant d'une région militaire Lamine Zeroual, officier supérieur de l'armée et fils de Chahid. Peut être que les déclarations de l'ancien ministre des affaires religieuses Bouabdellah Ghlamallah en affirmant que « Boudiaf a été liquidé par ceux qui l'ont ramené », ses paroles dépassent de loin ses pensées mais il n'a pas tord sur la forme. Car depuis le système s'est forgé et durci par l'arrivée d'une oligarchie formée par les nouveaux riches qui ont mélangé l'argent avec la politique et justement le feu Boudiaf s'est attaqué à la corruption qui constitue leur niche de transaction. Aujourd'hui les tendances du vieux parti se sont éclatées en excroissances qui s'unissent sous forme d'alliances au niveau central pour partager le pouvoir sans pour autant sortir de la ligne de conduite tracé par le système. Son endurance durant la décennie noire des années 90 est édifiante. C'est un leurre que de prendre Bouteflika pour un parrain du système et de croire qu'il s'accroche au pouvoir. C'est cet establishment qui s'agrafe à lui pour perpétuer la ligne de conduite tant qu'il est en vie s'il avait réussi à coopter quelqu'un, il l'aurait laissé se reposer. La preuve, avant de se porter candidat libre à la présidence de la république en 1999, on a fait appel à lui comme à Ali Kafi, Youcef Khatib, Ali Haroun pour ne citer que ceux là. De nombreuses voix tentent de ramener les problèmes actuels de l'Algérie sur la personne pour les éloigner du système qui commence à prendre une ampleur inquiétante ces dernières années. Il est formé aujourd'hui d'opportunistes du parti unique et de ses excroissances qui en voulant le perpétuer, refusent, voire même résistent aux changements. Ils s'approprient l'indépendance de l'Algérie et la révolution économique, sociale et culturelle qui s'en est suivie pour asseoir leur pouvoir comme tuteurs du peuple algérien et au nom de cette légitimité, l'empêche de prendre le chemin autre que celui tracé par la révolution qui leur enlève les mamelles de leurs bouches.

Quelles sont les causes de l'affaiblissement du système algérien ?

En dépit du rejet systématique de la politique des systèmes par les populations mondiales et l'hostilité à leur égard, certains régimes se maintiennent contre vents et marrés. En effet, de nombreux pays ont réussi à faire attirer les citoyens à leur démarche. Comment ? Ils ont développé une assise économique forte basée sur une technologie de pointe qui n'a rien à envier à celle du type occidentale. Les exemples ne manquent pas : l'Iran est une dictature qui investit dans la recherche technologique. Elle dispose, rien qu'aux Etats Unis prés d'un million qui forme une diaspora très tournée vers leur pays. Le Kazakhstan est un régime présidentiel autoritaire que les Kazakhs préfèrent de loin à la démocratie classique pour la simple raison qu'ils se sentent heureux. Cuba développe une médecine dont les Américains s'en inspirent. 80% des Russes approuvent Poutine par ses offensives diplomatiques. Et on pourrait citer une centaine de pays de la sorte. Le système algérien n'a rien développé de solide pour tisser un lien avec sa composante. Une économie de rente fortement dépendante des hydrocarbures et des importations, une très faible créativité composée d'assistés qui attendent la bouche ouverte des aides de toutes sortes. Ce système noue ses liens par le noyautage, le clientélisme, le népotisme. Dans les institutions, il existe certes un lien organisationnel basé sur la subordination/coordination mais dans la pratique c'est l'artifice je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette qui l'emporte. Chacun monte des dossiers sur l'autre dans un climat de totale suspicion. De part leur nature, ces liens sont muables mais pour perdurer doivent être constamment entretenus par des moyens matériels. Ces dernières années, la crise des recettes dans laquelle est plongée l'Algérie ne permet plus d'entretenir cet ordre établi qui a commencé à s'effriter. Il aurait pu l'être complètement si l'Instance de Concertation et Suivi de l'Opposition(ISCO) est arrivée à consensus pour laisser les partis au pouvoir seuls face à l'application de leur programme. Par leur participation massive, ceux qui y prennent part ont allongé la durée de vie de ce système qui était au bord de l'étranglement. La preuve, la récente sortie du ministre de l'intérieur au sujet des partis qui boycotteraient les prochaines élections législatives montrent incontestablement la gêne pour ne pas parler carrément de la déroute de l'establishment dans la démarche de leur poursuite dans la stratégie de continuité et surtout leur aveu d'échec de trouver un leader charismatique comme alternative. N'est-il pas allé jusqu'aux menaces ? Cette fois ?ci à en croire le leader islamiste Menasra qui affirmait à la chaine Al Magharibia que c'est le pouvoir qui insiste pour que leur aile s'unisse et c'est ce qu'ils semblent faire pour satisfaire cette sollicitude.

Conclusion

Le sort de l'ordre établi qui arrangeait les différentes constituantes du système est scellé. C'est simplement une question de temps. Les tentatives de fertilisation pour perpétuer le système à travers les générations restent vaines. Les jeunes de facebook sont de plus en plus ouverts au monde extérieur. L'Analyse de l'expert Français, Jean Louis Guigou, ce spécialiste renommé de l'aménagement du territoire qui prédit un avenir prodigieux pour l'Algérie et qui a d'ailleurs emballé les réseaux sociaux a placé ses critères dans une équation vue d'un œil externe et notamment européen. Il est sorti du Forum Europe ?Afrique qui s'est tenu le 4,5 et 6 décembre 2016 impressionné par les bluffs des conférenciers sur les projets pour le développement de l'Afrique comme le fameux gazoduc transsaharien ou celui qui relie le Maroc au Nigeria etc. Des projets stériles qui ne verront jamais le jour. Mais il n'a pas tord sur l'avenir de l'Europe dont uniquement les importations des denrées agroalimentaires des pays riverains qu'il cite font travailler plus de 2 millions d'agriculteurs de la France et des Pays Bas. Elle se robotise certes, mais diverse ses experts dans les pays africains dont l'Algérie. Les chinois quant à eux viennent en Algérie pour travailler dans les secteurs à forte croissance pour la partager avec les Algériens. Ils ne prennent aucun risque. La diaspora algérienne est très dynamique et a effectivement prouvé que l'Algérien dés qu'il quitte son pays, il devient créatif et startuper mais contrairement aux vietnamiens, tunisiens, turcs, iraniens, marocains, elle n'est pas tournée vers son pays. Ce pays non plus ne fait rien pour bénéficier de son expérience. Est-ce cela les signes prometteurs d'un « très grand pays » ?

*Consultant, Economiste Pétrolier