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Candidatures : l'assaut final

par El Yazid Dib

C'est à minuit de ce 05 mars que sonnera le glas pour des avenirs inespérés. C'est à cet instant que naitront les rêves et les appétits ou mourront les ambitions et les illusions. Assaut vital ou mortel.

Une inscription et un classement détermineront la tangente personnelle d'un nom chanceux ou d'un mérite reconnu ou créeront la haine, la sédition ou l'oubli. Les sièges où se dressent ces listes verront des mains se frotter à d'autres et des avc dessiner leur première apparition. La chance y sera pour beaucoup, plus que ne l'est l'intercession ou le parrainage. Le sou également sera un référentiel d'initial classement. L'on verra de larges sourires venir briser de fortes déceptions. La frustration côtoiera la réjouissance. Un bon classement à cet instant va ressembler à un ticket d'accès garanti aux étages supérieurs du paradis que l'on imagine.

Candidature pour emploi

Se porter candidat a été toujours un acte libre et volontaire. Pour les uns, s'il n'était pas maturé et trituré soit bien organisé et calculé depuis les dernières élections, il pourrait être une réaction d'ultime désir, une tentative spontanée. L'envie d'y être est accrocheuse à plus d'un titre. Puisque se dit-on, l'on ne fait rien que l'on aille faire quelque chose.

Nous allons voir circuler dans des listes soumises à nos yeux des hommes, des anciens et des nouveaux et autant de femmes. Cette armada de personnes avait bel et bien manifesté l'expresse volonté de se présenter aux élections. C'est-à-dire ce sont elles qui aspirent à devenir des députés. Elles ont toutes pris la peine d'aller chercher un extrait de naissance, se photographier, s'octroyer un casier judiciaire et un certificat de nationalité, de facsimiler leur diplômes, leurs carrières, leurs profils et parapher leurs engagements. Soit un dossier superbement complet qui ressemble à l'excès à celui d'une embauche ou d'une demande d'emploi. Personne ne les a contraints pour ce faire. Pour les uns, habitués aux concours de circonstances et invétérés à de telles formalités, il ne suffisait que d'aller tirer de leurs archives les documents exigés, pour les autres c'est une envie irrésistible d'essayer de faire le rien à perdre. Tenter et attendre. Et c'est ainsi que se confectionne administrativement l'embryon d'un futur homme appelé sournoisement homme politique.

Les listes qui font joie et malheur

La grogne, la vindicte, la rébellion, le cri à l'outrage, l'appel à la désobéissance partisane, les tentatives de redressement, les grosses déceptions apparaitront tout juste après ce minuit fatidique. Au même moment, la réassurance, l'extase, les éloges, le réengagement, la ferveur, les embrassades, la naissance des promesses feront aussi des leurs.

Dès le lendemain du 05 mars, le jubilé est ouvert. L'évasion ou l'éclipse pour les non retenus va se joindre au ressentiment de rejet, à la satire et la résignation tout court. Pour les autres, heureux pré-élus, l'opération des grands charmes, les techniques de séduction, l'affichage eternel du sourire vont renouer les pâles cravates et les costumes neufs ou repassés que l'on arborera déjà comme uniformes de victoire. Ils s'attèleront dans l'immédiat toute affaire cessante à se placer dans le cœur de la société. Dans chaque individu, dans chaque passant, citoyen, marchand, voisin ils n'en verront qu'une voix, qu'un électeur. Ils découvriront un nouveau langage bienséant et loquace, flexible et prometteur, facile et tolérant. Le diable en personne ne pourra qu'en être persuadé.

Alors que ceux mal rangés ou en queue de liste, désabusés et blessés ne vont plus nourrir le rêve de cajoler les faveurs angéliques des bureaux, des coulisses et des entremises parlementaires. Ils ne vont pas se rallier à la décision politique de la direction nationale mais feront en sorte que sans eux l'échec reste en bout de scrutin. La zizanie au sein de l'électorat sera une folle rumeur sur les accointances du premier, du second et des suivants.

La liste en fait, va constituer un menu électoral. Les lecteurs pris par métaphore comme clients potentiels auront à choisir le bon mets. Un choix difficile et obligatoire car en tout état de cause il est limité.

Candidat ou militant ?

La mesquinerie aura à atteindre son paroxysme lorsque la fourberie et l'imposture deviendront des vertus à arborer à chaque début d'échéance candidaturale. Le moins idéal candidat est censé provenir de la matrice du militant. Cette personne qui n'a de cure que son engagement par conviction ou idéologie à un programme, à une feuille de route politique sans égard à ce qu'il adviendra de sa pauvre petite personne. Chez lui, celle-ci se devait de s'effacer totalement par-devant la solennité du message qu'elle semble transporter. Le candidat ne reste que ce chercheur de siège, ce chasseur de position et le militant que ce combattant sans solde ni rétribution.

Les partis et les partillons ainsi que les listes confectionnées indépendamment vont aussi avoir le moment de jubilation. Chez ces organisations là , l'on recrute à l'heure près. La transhumance politique d'un bord à l'autre tellement devenue un sport facile qu'elle ne résiste plus à des chartes d'adhésion ou à des critères endogènes de capitalisation de militantisme. On n'y vient pas pour de l'action politique pérenne et continue. On vient pour être candidat.

Le FLN, un parti du peuple ?

« Que ceux qui un jour au l'autre ont été soit contre le président ou contre le parti ne seront pas portés sur nos listes ». Une sentence exceptionnelle de l'engagement politique que prédit Ould Abbes. C'est l'éthique politique qui lui donne tout à fait raison. Je ne saurais traduire « yakoul fel ghala ouiseb el mala » (Il se réjouit de la récolte et outrage la semence). C'est tout aussi comme « il se délecte du jus et insulte le fruit »

Beaucoup d'Algériens non partisans aiment le FLN. L'aimer ne passe pas forcement par l'obligation d'avoir une carte d'enrôlement, être présent dans une salle ou applaudir quiconque. Encore loin de se laisser embarquer par ceux là même qui lui causent énormément de mal et de souffrance. Il y a des gens qui savent aimer en silence. Éloignés des vacarmes exhibitionnistes et des démonstrations de fausses popularités, ils cultivent l'amour des martyrs et vénèrent leur mémoire. D'autres, affiliés, le plus souvent inactifs ou bleus criant à hurle voix l'adhésion se prennent sans rougir pour les « six historiques ».

Le peuple n'adore pas le parti, il le respecte. Il adore cependant son histoire, son long parcours rédempteur et salutaire à travers sa lutte contre un colonialisme sans visage et un néocolonialisme récent et à visage découvert. Depuis sa glorieuse épopée, le FLN au fil des successives directions s'est transformé en un tremplin pour les uns et en échafaud pour les autres. Il a connu durant toutes ses péripéties d'innombrables dissensions, de défections, de trahison et de faux amours. Le pire était dans cette comédie tragique qui a mis le parti dans le sac de la bourgeoisie nationale. Belkhadem et Saidani se doivent des excuses. Ould Abbes, par souci de sauvegarder la mémoire des chouhadas est condamné par l'histoire à assainir les rangs en rendant le parti à son peuple.

Le défi des têtes de listes

Un seul. Glaner plus de sièges que l'on a. Dans les gros partis qui se reconnaissent, un fervent mabrouk précoce est sûr et assuré à ceux qui sont placés au chapeau de l'inventaire. Ils sont déjà élus haut la main. A chacun d'eux, nous souhaitons de franches félicitations, de chacun d'eux, nous exigeons une Algérie heureuse.

En principe un candidat qui se sait volontaire, se trouvant installé au haut d'une liste est supposé tracter tous ses colistiers vers la victoire et l'accaparement du plus grand nombre possible de sièges. Il doit à cet effet mesurer le risque auquel il se confronte. Encore que tous ses colistiers doivent être du même gabarit et qu'une liberté lui soit permise de donner un avis ou jeter son dévolu sur un autre. Sinon il frôlerait un aventurisme anonyme. A l'exemple d'opter pour un Général de mener une bataille marine en l'encensant de ses exploits, de sa compétence de grand navigateur et ne mettre à sa disposition que quelques petits canoës, des rameurs épuisés ou vétérans, des canons rouillés et des munitions mouillées.

Ainsi par devoir politique un challenge est mis à charge de ces « têtes de liste ». Le défi majeur qui doit leur être imposé c'est de remporter plus de sièges que ceux obtenus lors des élections précédentes. Sinon, rien n'aurait à justifier cette hiérarchisation. C'est aussi comme une locomotive appelée à tracter le plus grand nombre de wagons. Pourvu que ceux-ci ne soient pas grippés, trop pesants ou ankylosés.

De l'avis du modeste observateur, le choix d'un « tête » de liste se fait une fois les autres concurrents ont choisi le leur. Un ministre candidat peut facilement être battu par une nouvelle figure vierge comme il peut l'emporter face à une autre usée, rabâchée et lacérée par tant de mandats. Mais quand la scène locale est vide, les antagonistes mous et insipides, la réussite manquerait toutefois de mérite. « A vaincre sans péril on triomphe sans gloire » disait Pierre Corneille dans le « Cid ».

Pourquoi aller voter ?

C'est d'abord s'affirmer et dire par opération physique son existence. C'est ensuite une indication de présence de contrôle et de suivi de la vie publique. Un comportement responsable de « leur » dire que la voix est aussi un œil. Peu importe le souci des suspicions, des approches soupçonneuses ou parfois des pires ou légitimes inquiétudes. Le devoir s'il est dans l'exercice de la citoyenneté ne sera pas uniquement une pratique de son droit mais un devoir de choisir le moins mauvais ou le plus acceptable. A la limite, refuser la totalité du menu presenté. S'abstenir d'aller déposer son bulletin peut apparaitre comme un refus de caution, une boutade ou une colère face à ces élections que l'on prend, comme étant une mise en scène, voire une mascarade. Mais là, comprendre mordicus que sa voix ne compte pas sera le premier signe d'un abandon de soi et d'une auto-négation. La nature dit-on a toujours horreur du vide. Alors, en mettant son enveloppe dans l'urne, l'on participe à exprimer ce que l'on ressent. L'urne, sachant bien qu'elle sera « dépouillée » fera office de boite aux lettres et le message y émis sera bien lu. « Fais entendre ta voix », étant une invitation à sens impératif lancée par publicité que cette « voix » soit entendue une fois extériorisée. Chaque voix émise reçoit un accusé de réception. Fiez-vous à votre voix et laissez-là s'entendre.