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Macron : ses déclarations sur le colonialisme divisent la France en deux

par Pierre Morville

55 ans après l'indépendance de l'Algérie, les débats sur la période coloniale restent très sensibles.

Emmanuel Macron, en déplacement à Alger, a qualifié, le 15 février, la colonisation de « crime contre l'humanité » dans une interview accordée à une chaîne de télévision algérienne : 55 ans après les Accords d'Evian, « le gouvernement français devrait présenter des excuses officielles pour les meurtres et exactions commis durant la colonisation ». Dans des termes moins tranchés, les trois derniers présidents de la République française, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande condamnaient le colonialisme et plus particulièrement tel qui s'était exercé en Algérie, débouchant sur une longue et sanglante guerre d'indépendance. Les trois présidents ont dénoncé, chacun avec leurs termes, l'injustice et la brutalité du système colonial et les souffrances infligées aux Algériens. Ces chefs d'état ont cependant appelé au respect de toutes les mémoires afin de solder un passé historique douloureux mais qui ne puisse empêcher d'accroître une plus grande coopération entre les deux pays. Mais dans le cadre de l'actuelle campagne présidentielle française, l'affirmation de la notion de « crimes contre l'humanité », historiquement apparue pour caractériser et condamner les crimes du nazisme, est d'un usage plus délicat. Les propos du candidat ont soulevé une vive émotion en France où l'opinion est quasiment divisée en deux sur le sujet. Emmanuel Macron semble en avoir pris conscience. Lors de son meeting à Toulon le 18 février, dans une région très à droite, le candidat n'a pas repris les mêmes termes, louant le « travail formidable » fait à l'époque de l'Algérie française par des gens « formidables », les Pieds-noirs qu'il avait « blessés » et à qui il demandait « pardon ». « Il a paru renouer avec ses propos, plus qu'ambigus, de novembre 2016, selon lesquels, dans l'Algérie coloniale, « il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie ». Va-t-il reprendre la théorie des « aspects positifs de la colonisation » qui avait suscité un tollé parmi les historiens, les enseignants et de nombreuses associations quand une loi, du 23 février 2005, avait demandé aux professeurs de les inculquer ? » s'interrogent Gilles Manceron et François Gèze dans une tribune parue dans Le Monde.

Une opinion française toujours très partagée

Dans ce contexte très chargé, le sondage que l'Ifop a mené pour le site d'information algérien TSA suite aux déclarations d'Emmanuel Macron révèle une opinion publique littéralement coupée en deux. 51% des Français se disent d'accord à l'opinion selon laquelle «la colonisation est un crime contre l'humanité» contre 49% qui sont d'un avis contraire. La même opposition tranchée se dessine à propos de savoir si «le gouvernement français devrait présenter des excuses officielles pour les meurtres et les exactions commis durant la colonisation» : 52% sont d'accord, 48% opposés.

Le clivage sur des excuses officielles à l'Algérie est avant tout politique, très fortement structurée selon la proximité partisane. 71% des sympathisants du Front de Gauche et 66% de ceux du PS y sont favorables. En face, les électeurs de droite font massivement bloc contre et le rejet est partagé avec la même intensité à l'UDI (71% d'opposés), que chez Les Républicains (73%) et au FN (74%).

Emmanuel Macron qui se présente, tout au long de sa campagne présidentiel comme n'étant « ni de droite, ni de gauche », a paradoxalement, par sa déclaration, ravivé fortement les clivages droite/gauche tout au moins sur la question historique du colonialisme. « Il est cocasse d'observer, comme le note Jérôme Fourquet de l'IFOP, que le chantre du dépassement du clivage gauche/droite a su l'activer en prenant de telles positions pour envoyer un signal à l'électorat de gauche et tenter ainsi d'en décrocher de nouveaux pans pour conforter sa dynamique et s'imposer comme le deuxième homme de cette campagne. On peut également y voir l'intention de s'afficher comme l'opposant le plus résolu à Marine Le Pen dont l'électorat est vent debout contre toute repentance ».

Fillon repasse devant Macron

Toujours est-il que cette affaire ne conforte pas Emmanuel Macron dans les sondages, son programme général paraissant souvent comme trop flou pour les Français sondés.

Selon un sondage réalisé par l'agence Elabe, publié mardi, François Fillon, en hausse dans les intentions de vote, doublerait Emmanuel Macron, en forte baisse, et arriverait deuxième au premier tour de l'élection présidentielle, derrière Marine Le Pen. La présidente du Front national reste solidement ancrée en tête, progressant à 27% des intentions de vote (+1,5) si François Bayrou est candidat, ou à 28% (+2) si le président du MoDem ne se présente pas, selon cette enquête réalisée pour BFMTV et L'Express. Le centriste Bayrou crédité de 6% des voix, devait donner hier sa position définitive. Rudement affaibli le mois dernier par les polémiques et les soupçons d'emplois fictifs donnés à ses proches, François Fillon reprend un peu de couleurs : le candidat de la droite est crédité de 20% si François Bayrou se présente (21% sans Bayrou), soit un gain de trois points dans les deux cas par rapport aux précédentes enquêtes de cet institut datant des 7 et 8 février. Ce qui lui permet de doubler Emmanuel Macron pour la seconde place, au 1er tour de l'élection. Ce dernier se situe à 17% d'intentions de vote dans l'hypothèse d'une candidature Bayrou (18,5% sans Bayrou), chutant de cinq points dans les deux cas. Le socialiste Benoît Hamon, qui perd 2,5 à 3 points, arrive quatrième ex aequo avec le candidat de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, à 12% avec Bayrou candidat (13% sans Bayrou). Au second tour, François Fillon l'emporterait avec 56% des voix contre 44% à Marine Le Pen. Mais à un peu plus de deux mois de l'élection présidentielle, de nouvelles polémiques et des revirements dans l'opinion publique ne manqueront pas.