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Good bye Mr Obama

par Ammar Koroghli

Le monde inscrira sur ses tablettes qu'un sénateur alors âgé de 47 ans, Barack Hussein Obama, est devenu le premier président noir des Etats-Unis. Il est vrai, après 143 ans après l'abolition de l'esclavage? Quel bilan après deux mandats totalisant 8 ans d'exercice du pouvoir ?

Au plan interne, parmi ses réussites : le taux de chômage s'établissait en janvier 2009 à 7,9 % ; il est aujourd'hui de l'ordre de 4,7 %. Votée en 2010, la réforme de l'assurance-maladie, priorité absolue de son premier mandat, a vu le nombre d'Américains sans couverture santé se réduire (de 16 % en 2010 à 8,9 %). Ne voulant pas apparaître comme le président de la minorité afro-américaine, il a déçu sur la question des inégalités raciales alors qu'il a été élu grâce au soutien massif des minorités. Et, à force de prudence, il y a eu peu d'actions pour permettre de mettre fin aux drames d'hommes noirs tombés sous les balles de policiers blancs.

Concernant le volet international, deux dossiers retiennent l'attention : d'une part, le rapprochement pour le moins inattendu avec Cuba après des décennies de tensions nées de la guerre froide ; d'autre part, l'accord conclu avec Téhéran visant à neutraliser l'Iran (qui tenterait de se doter de l'arme nucléaire) en échange d'une levée des sanctions. Autre point positif, l'accord mondial sur le climat. Il est vrai cependant que d'autres questions sont restées sans réponses adéquates. Ainsi, la fermeture de la prison de Guantanamo comme symbole des excès de l'Administration américaine dans sa lutte contre le terrorisme. De même, le conflit syrien (plus de 300 000 morts et, semble t-il, des millions de personnes jetés dans les bras de l'exil), s'est soldé par une forme d'impuissance des Etats-Unis. Mais pas seulement. La question palestinienne demeure encore une plaie dans ce monde soumis désormais à la mondialisation (1) ; concept pensé et mis en pratique au service des intérêts gargantuesques en hydrocarbures des pays industrialisés.

Dans ce contexte, l'Amérique a accordé ses faveurs comme prochain président à un personnage apprécié par la presse internationale (dont celle des Etats-unis) comme « fantasque, frivole, virevoltant ». Quoique septuagénaire, il apparaît au regard de cette presse comme un vieux et riche gamin auquel ne manquait que le pouvoir pour perpétuer son bonheur. Il est présenté tantôt comme un grand dadais à la mèche faussement rebelle, tantôt comme un immature irresponsable. Les qualificatifs pleuvent à ce jour : islamophobe, homophobe, xénophobe, machiste? Sur le Proche-Orient? Il en ignore, en toute vraisemblance, les tenants et aboutissants ; ne dit-il pas : « Jérusalem sera la capitale éternelle d'Israël »?

La question se pose : durant les deux mandats de M.Obama, y avait-il dans son staff immédiat, parmi ses proches conseillers, un homme ou une femme (voire plusieurs) issu de ce même Proche Orient (dans la veine du Palestinien Edward Saïd par exemple) pour l'aider à mieux l'appréhender. Ce afin de le conseiller au mieux pour que l'Amérique influe réellement pour la paix ? Une interrogation subsiste. Après deux mandants de M. Bill Clinton et deux autres de M. Obama (soit au totale 16 longues années de gouvernement démocrate), la paix n'a pas évolué d'un iota. Pourquoi ? S'agit-il de l'influence négative de ces fameux groupes de pression qui ont pignon sur rue aux Etats-Unis ?

Si, durant huit ans, M. Obama a laissé passer l'opportunité d'installer en cette région du monde la quiétude aux gens qui y habitent, M. Trump réussira-t-il ? L'avenir nous le dira, même si beaucoup demeurent sceptiques. S'il s'entoure de personnes pertinentes et sensées dans son staff immédiat, s'il sait utiliser diplomatiquement la force des Etats-Unis, s'il sait faire la sourde oreille aux lobbies car il a les moyens d'y faire face, il pourra. S'il oublie quelque peu ses promesses qui blessent la conscience de chacun de nous, il pourra. S'il ne se considère pas seulement comme le Président des Américains (pour remettre en cause, par exemple, l'obamacare), mais comme le personnage doté de la première puissance politique du monde adossée à celle économique et militaire, il pourra.

M. Obama s'est quelque peu complu dans son personnage que d'aucuns décrivent comme quelqu'un doué de charisme. A en croire la presse, celui de M. Trump réside dans son incompétence ! Après l'agression des pays arabes tels l'Irak et la Syrie et musulmans tels l'Afghanistan (voire de l'Iran) à l'initiaitive des précédents présidents américains, il était temps de rompre avec la violence qui caractérise tant cette Amérique à la fois admirée et détestée par nombre de pays. Hélas, maintes des déclarations de M. Obama se sont révélées de simples effets d'annonce. Ainsi, « les Etats-Unis livrent lundi à Israël ses premiers avions de chasse furtifs F-35, un bijou de technologie censé aider l'Etat hébreu à préserver son avantage aérien dans une région où il compte nombre d'ennemis, à commencer par l'Iran » (Le Point du 12/12/16). Qu'est-ce-à dire, alors que : « Le vote du Conseil de sécurité de l'ONU fin décembre sur la résolution 2334 et la condamnation de la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est a replacé le projecteur sur la politique de colonisation des territoires palestiniens par Israël » ? (Le Monde du 04/01/2016).

L'Amérique donneuse de leçons de démocratie est jalonnée de méchanceté que d'aucuns n'hésiteraient pas de décrire comme une barbarie, une de plus à l'endroit de l'humanité, après celle commise à l'endroit des Amérindiens et des Noirs Américains (deux cent ans après la « conquête » de l'Amérique, les Indiens continuent toujours à lutter pour leurs terres convoitées par les grandes firmes américaines). A inscrire donc dans nos calepins de citoyens démunis face à l'illégitimité de « nos » gouvernants et à l'inutile arrogance de l'Occident conquérant (auteur de la colonisation entre autres).

M. Trump y changera- t-il quelque chose ? Au-delà de sa curiosité pour l'amour du pouvoir qui grise, il se fera griller la politesse par nombre de lobbies qui ne manqueront pas de se manifester, en temps voulu, auprès de lui pour lui tracer des « lignes rouges ». Saura-t-il y faire face avec l'appui d'une Administration débarrassée des oripeaux de l'Establishment ? Peu probable. Le système militaro-industriel et bureaucratique l'en empêchera. A commencer par ce qui constitue un contre-pouvoir : le Congrès qui lui est mathématiquement acquis. La majorité des Républicains dans les deux Chambres ne saurait à elle seule suffire pour lui permettre de se forger la stature d'un chef d'Etat de la trempe des fondateurs de l'Amérique. Déjà, la société civile manifeste sa désapprobation de l'avoir comme Président, même après le vote légitime à l'américaine.

Désormais, l'influence de M. Obama ira en s'amenuisant. Celle des Clinton également. L'Histoire est implacable. Epaulant Madame Hilary Clinton, il a pertinemment ironisé sur la capacité de M. Trump à gouverner l'Amérique miné par la violence armée. Devant les caméras, il a versé quelques larmes sur les victimes de l'Amérique profonde tombées sous les balles de leurs propres compatriotes armés de fusils et d'armes à poings comme du temps du far West (en ce temps- là, ce furent les « Indiens » qui ont fait les frais de cet armement absurde alors même qu'ils ont les vrais Américains autochtones de ce grand territoire soumis à une véritable colonisation de peuplement par les Européens). Ce même,pays a eu à traiter les Noirs d'esclaves, désormais Américains après des décennies de combat, souvent en méconnaissance de leurs droits civiques les plus élémentaires.

Ce combat n'a pas été vain. Gageons qu'il aura permis, entre autres, à M. Obama de pouvoir être élu. Madame Hilary Clinton aurait-elle pu être (une bonne) présidente ? Pourquoi pas ? Elle aurait pu. Pas parce qu'elle est une femme (comme il a eu à le souligner), mais plutôt parce qu'elle est sans doute dotée d'une meilleure connaissance du système politique américain davantage que son outsider aujourd'hui président élu. L'Amérique « profonde » semble avoir obéî au populisme tant décrié. Maintenant, il y aura lieu de reconsidérer davantage l'erreur d'avoir négligé cette Amérique des couches défavorisées et des classes moyennes en privilégiant celle de l'establishment (celle qui pourvoit généreusement au financement aux campagnes électorales). Sans doute, une autre erreur, celle d'avoir trop misé sur l'image en matière de communication et de se laisser tromper par les sondages (la primaire de la droite en France en a démontré l'illusion).

A juste raison, M. Obama s'est abstenu de réclamer la construction d'un mur avec le Mexique et de mettre en place des mesures d'expulsion (que M. Trump chiffre à au moins trois millions). Il confirme que la lutte contre l'immigration est sa priorité, tout comme les partis d'extrême droite d'Europe. Des jours d'angoisse nous attendent contrairement à ceux vécus par Henry Miller (célèbre écrivain américain s'il en est). Par dérision, j'ai eu à pasticher le titre de l'un de ses romans adaptés à l'écran « Jours tranquilles à Clichy » (2). D'ores et déjà, les réseaux sociaux font état d'une recrudescence d'actes racistes et sexistes dans ce vaste Etat de droit qu'est l'Amérique. D'aucuns résument ainsi la «doctrine» du président élu en matière internationale : pulvériser l'État islamique, mater les Iraniens et soutenir mordicus Israël. En interne, la machine est rôdée : faire commerce de l'identité nationale en exacerbant notamment la xénophobie et l'islamophobie, activer en toutes circonstances la démagogie auprès des citoyens de basse conditions et la classe moyenne en lui présentant les élites comme les responsables de leur situation de précarisation grandissante en temps de crise?

En bons pragmatiques, attendons que M. Trump se mette à l'ouvrage, nous pourrons alors apprécier le maçon au pied du mur. On peut lui souhaiter bien des désenchantements. Il est vrai qu'on ne saurait trop se faire d'illusions tant les grandes puissances de ce monde et leurs gouvernants nous ont habitués à leurs méfaits tant à l'endroit de leurs propres citoyens qu'envers « le reste du monde », comme se plaisent encore à le caractériser certains médias des pays (sur) industrialisés au point de corrompre le climat entre autres.

1/ Le Quotidien d'Oran du 08/11/2012 ;

2/ Le Monde diplomatique de mars 1991 (Jours d'angoisse en banlieue).