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Le gouvernement tétanisé par la peur de l'émeute

par Abed Charef

Face à la crise, le gouvernement se trompe d'époque, de méthode, de moyens et d'objectifs.

Une petite rumeur a suffi à paralyser le gouvernement Sellal. Une petite émeute a suffi pour délégitimer un projet économique. Une petite hausse de la TVA a suffi pour menacer le front social d'un embrasement général. En ce début de 2017, le pouvoir en place en Algérie est si fragile, si incertain, si désorienté, qu'il est contraint à un immobilisme destructeur. Contraint d'avancer de biais, ne jouant jamais cartes sur table, il est obligé de dribbler, de mentir, de nier l'évidence, y compris quand il s'agit de prendre des décisions nécessaires, voire salutaires. Ce faisant, le pouvoir empêche le pays de prendre les virages indispensables, et discrédite, par sa seule présence, des mesures vitales. Il devient alors un sérieux danger pour le pays.

Les pérégrinations de l'équipe dirigée par M. Abdelmalek Sellal ces dernières semaines l'ont clairement illustré. Le Premier ministre a été contraint de monter lui-même au créneau, face à une menace de grève, alors que les mesures annoncées avaient une portée très limitée. Qui a appelé à la grève? Personne ne le sait. Le gouvernement lui-même est dans l'incapacité d'identifier cette source de déstabilisation potentielle.

Et que dit M. Sellal? Il n'assume pas les décisions prises. A peine évoque-t-il leur impact limité, ce en quoi il a raison. Mais sur le reste, il parle de travers. Il nie la crise, il occulte les problèmes du pays, fait du populisme et s'arrête aux limites qui lui sont fixées.

Handicaps

En fait, M. Sellal accumule les handicaps. D'abord, il ne décide pas. Il essaie, tant bien que mal, de traduire en actes de gestion des orientations qu'on lui transmet. Celles-ci se résument à une équation impossible à résoudre : gérer la crise, en évitant à tout prix un embrasement du front social.

Ceci amène M. Sellal à prendre des mesures nécessaires dans l'absolu, mais fragmentées, partielles, sans cohérence entre elles, et qui deviennent à la fois antipopulaires et contre-productives; sa position est si aléatoire qu'il est incapable de convaincre du bien-fondé de ses décisions. Il avance d'un pas, mais recule dès que la rue gronde. Ses ministres font de même, comme l'a confirmé Mme Benghabrit avec cette ridicule affaire de vacances scolaires. Au final, le gouvernement est réduit à l'impuissance, à l'inaction, au mieux à agir à un rythme excessivement lent. Il prend, en un mandat présidentiel, les mesures qui auraient pu être prises en un semestre. Et en plus, il est battu à plate couture par une contre-propagande qui l'accuse de vouloir affamer le peuple.

La TVA ? Une blague

Pourtant, les mesures qu'il prend n'ont qu'un impact très limité. Et contrairement à ce qui s'écrit, l'augmentation de la TVA, par exemple, n'a pas d'impact majeur sur le pouvoir d'achat. En période de crise, non seulement la mesure peut se justifier, mais elle peut être compensée par un effort minime d'amélioration de la gouvernance. Personne ne refuserait de payer deux pour cent de TVA supplémentaire si les rues étaient un peu plus propres, si la connexion internet était un peu plus stable, si les avions d'Air Algérie étaient un peu plus ponctuels, si les coupures d'électricité étaient un peu moins nombreuses, et si l'argent récolté était destiné à autre chose qu'à construire des dos d'âne, à être détourné ou à financer des projets confiés à Ali Haddad.

Allons plus loin. Il y a des secteurs qui ne sont plus gérables aux prix actuels, et où augmenter les prix relève de l'évidence. Vendre le carburant, l'électricité, le lait, l'eau, le pain aux prix actuels est antiéconomique et antisocial. Ce niveau de prix rend certains secteurs totalement ingérables. Une amélioration de la gestion y est impossible : comment améliorer la gestion quand remplacer un compteur désuet par un autre performant coûte trois années de consommation ? Comment lutter contre le gaspillage d'électricité quand on baisse les prix pour une catégorie de consommateurs qui menacent de « couper la route » ?

Erreur sur toute la ligne

Une précision : ceci n'est pas un plaidoyer pour une augmentation des prix. Il s'agit plutôt de dire que le gouvernement se trompe d'époque, de méthode, de moyens et d'objectifs. Il ne s'agit pas, aujourd'hui, de pallier au déficit budgétaire, mais de lancer des réformes de fond pour construire une économie viable. Il ne s'agit pas de prier pour que le baril remonte, mais de mettre en place une démarche qui permette de diminuer progressivement le poids des hydrocarbures dans l'économie du pays, pour s'en défaire sur un délai raisonnable, une ou deux décennies. Il ne s'agit pas de réviser la loi sur la santé pour remédier aux dysfonctionnements criards, mais de remplacer un système obsolète, conçu pour l'Algérie des années 1960, celle où les maladies pandémiques étaient la tuberculose, la malnutrition, la galle, par un autre système en mesure de prendre en charge une population plutôt âgée, avec des pathologies dominées par le diabète, les maladies cardiovasculaires et la malbouffe. Et c'est là que le système Bouteflika échoue, jusqu'à la caricature : alors que l'incubateur des biotechnologies de Sidi Abdallah patauge, alors que Saïdal et les grandes entreprises privées de médicaments sont étouffées, alors que les cliniques privées, pourtant dument installées, sont exclues du système de sécurité sociale, l'Algérie officielle et médiathèque fait la promotion du fameux médicament « Rahmet Rabbi » et du charlatan Bellahmar.

Un système politique qui mène à ces extrémités ne peut que trembler face à la moindre fièvre sociale, car il n'a ni la légitimité, ni la technicité pour gérer la complexité de la société algérienne de ce nouveau siècle.