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Le cri des uns, le grand silence des autres

par El Yazid Dib

Les derniers événements qu'avaient connus certaines régions renseignent bien sur la nécessité d'un débat national. Pourquoi quand les uns crient, les autres gardent le silence et inversement ? Si un cri n'est pas un chahut,

le silence n'est pas une perte de voix.

Les affrontements, les émeutes, les routes coupées, les incendies, les saccages, le pillage ont été de tout temps enrobés d'une définition purement pénale omettant au passage la lecture politique qui s'impose. Ces « transgressions » de la loi et à son sens sont plus condamnables que la morale sociale s'en réprouve et s'en lave les mains notamment quand la violence s'encourage à la propagation et à l'exhortation. Il est indéniables dans ces cas de parler d'actes isolés ou spontanés. Derrière chaque regroupement, il y a une adhésion précédée d'une concertation quels que soient les modes de son organisation. Il n'est nullement affaire de lois de finances, de surtaxes ou de grève générale. Le mobile est à rechercher dans les cavités et les arcanes des officines, des partis et des laboratoires. D'ici ou d'ailleurs.

Le cri des uns

Aucune personne pourvue de ses facultés mentales et citoyennes ne peut cautionner ni exacerber l'usage de la violence. Attitude inhumaine et à contre-courant du vivre ensemble ; la violence n'est qu'une déchirure et une grosse douleur dans la relation sociale. Cependant dans la nature comme dans la physique une action entraine toujours une réaction de la même force. Rien ne justifie le recours à des actions que l'on blâme au motif que l'on les contrecarre. La contre violence est-elle un acte de légitime défense ? Voilà un débat qui n'a jamais fini de se faire. La légalité et la légitimité ont connu depuis la nuit des temps des frontières tantôt inamovibles, tantôt flexibles. C'est dire que tout ce qui est légal n'est forcement pas légitime. Bref.

Dans cette époque où les peuples ont pris plus de maturité, autant que leurs gouverneurs ; les lois se font, sinon devraient se faire selon le desideratum d'une majorité qui par ailleurs n'a pas toujours raison. La dictature du nombre, de la multitude commence ainsi à être remise en cause. Le débat encore reste ouvert.

Ce qui s'est passé depuis longtemps comme marches, sit-in, contestations, colères n'étaient et le sont que des expressions d'un état social qui veut dire quelque chose. Chez certains, la manipulation devient une forme de gérer et de gouverner. Chez les autres la manifestation est une forme de décrier et de rejeter cette forme de percevoir les choses. L'une et l'autre, sans se circonscrire se rejoignent. La manifestation est le fruit de la manipulation. L'emploi tacite justement de cette stratégie de l'ombre tend à encourager ou décourager, selon la circonstance, la tendance de l'expression. Les émeutes ont pris de façon polymorphe l'habit d'une contestation généralisée de l'ordre établi. Avec cependant des cibles et des mires définies à l'aide de slogans bien agencés. La rue est le présentoir du bonheur et de la liesse et malheureusement aussi de la mal-vie et de la révolte.

Elle accueille la casse et les actes de saccage mais aussi le bruit et les klaxons d'une victoire sportive ou électorale. Ceci est sans doute le produit d'une mal représentativité populaire. Les citoyens ne trouvent pas d'échos chez leurs « représentants ». Ceux-ci, voilà qui est dit, manquent de légitimité et se trouvent directement coupés, une fois élus de leurs électeurs.

Comme les élections sont à la porte, on les verra intervenir pour calmer un tant soit peu les esprits des manifestants s'ils ne sont pas à leur ombre. Mais en principe cardinal leur rôle n'est pas celui d'un sapeur pompier. Il devrait se jouer dans l'hémicycle et non dans la rue. Je me rappelle d'un député (LR) alors UMP, vu à l'Assemblée française, répondant à son contradicteur socialiste qui lui demandait de voir et d'écouter la rue (3 millions de français ont marché pour dénoncer la loi sur la retraite d'Eric Werth), l'autre de répondre « mais mon cher collègue, c'est ici que s'exerce la démocratie et non dans la rue ! »

Il est du devoir des pouvoirs publics, afin d'éviter de telles entorses d'alléger les manifestations publiques, de laisser les gens crier pacifiquement leur désarroi, dire leurs soucis, décrire leurs malaises, dessiner leurs projets. L'on n'a pas cessé de brailler depuis 1989 que la démocratie se construit et ne se décrète pas. Que l'on aille au fond des constructions. Crier ne doit déranger personne tant que la loi dans sa dimension légitime est égale et applicable pour tous. Tant que les cris sont compris et écoutés, tant que la tranquillité de ceux qui ne crient pas est assurée, tant que la sécurité de tous est garantie , la démocratie ira de l'avant.

Le grand silence des autres

Le silence n'est pas une perte de voix, ni une résignation en face d'un sort ou envers un tord. C'est une forme de traitement et d'emmagasinage. Une espèce de sourire en sourdine, un rire sous cape. Il arrive de temps en temps quand l'on cultive le silence comme mode d'expression, d'avoir fermement la mine de ne rien dire, de ne pas choisir un camp, de fuir pour ne pas reproduire le vacarme ou d'adoucir son ardeur pour ne pas crier. En s'interdisant la parole, l'écrit et même le soupir, il reste le regard, ce regard perçant et destructeur qu'aucune allocution d'à propos ou de circonstance ne peut acheter. Voyez-vous dans le regard d'un enfant palestinien, sahraoui, syrien ou éthiopien, pourtant silencieux et présent une quelconque trahison ou un défaut d'idéal ? Il n'a pas perdu sa voix, il ne cherche que la voie de la tendresse pour traverser la rudesse et l'incompréhension de son siècle. Voyez-vous dans le mutisme cathédral d'un lion pour sa survie ou en guet de sa nourriture une passivité suicidaire ou une faiblesse actionnaire ? Ainsi, c'est dans les grands silences que naissent les grands dangers et se nourrissent les grands complots. Le silence assourdit l'assistance et la masse autant que l'on y déchiffre l'effroi et les futurs émois.

L'on ne peut rendre aphasique et d'une façon éternelle une voix qui ne cesse de quêter son expression. L'on peut coudre momentanément les bouches et garroter les gosiers. Que ce soit par volontarisme, canular ou mauvais serments. Mais, comme un liège qui au fond de l'eau soumis à une lourde main finira par refaire surface, la voix redécouvrira un jour son plein débit expressif et déroulera les inaudibles et inédits récits de son stock. L'on saura ainsi apprécier à juste titre et au plus haut degré l'intensité de tels moments d'éclatement où les aléas de la vie, du carriérisme et de la cupidité possessive ne peuvent en rien affecter les lois de la nature.

Il y a de ces hommes qui changent au gré des décrets, des temps, des postures et des ascensions. Il y a aussi de ces hommes qui par manque d'étalonnage sont éternellement à la conquête d'un label sociable et potable. Il est donc impossible de pouvoir persévérer à considérer que leur civilité est une nature. En fait elle n'est qu'une apparence qui s'effrite vite, une fois rattrapée par la nuisance de son égo. Le rhésus finira toujours par vaincre l'oubli et le rapt, comme le gène finira toujours par rattraper le fuyard de ses origines. Il n'appartient pas à une cravate dorée et bariolée ou à un tailleur slim de faire le bon mannequin si la corpulence idoine arrive toujours à vous faire des tours. Le podium ne peut seul faire d'un speaker un bon leader de parti. L'élégance ou l'éloquence n'est-elle pas une belle parole avant qu'elle ne soit une image à imposer ? Vous pouvez extorquer l'admiration du monde qui vous entoure mais pas celle du monde qui vous contient. Vous pouvez éteindre la lumière, voiler l'avenir, verrouiller les serrures. Vous échouerez là où l'éclairage se fera voir, quand l'espoir resplendira et lorsque les cadenas, d'eux-mêmes se fracasseront. Alors, il vaudrait mieux laisser tranquilles les artistes œuvrant en total silence à rendre la laideur en beauté et l'amertume en espérance. Eviter cependant le saccage demeure salutaire.

Si les tableaux de maitres, œuvres artistiques de grande valeur s'exposent, s'achètent et se vendent parfois par des apparences de bluff, de frime et d'exhibition, il est de ces plumes, de ces voix, de ces poésies qui empruntent le même circuit. La différence réside cependant dans l'âme d'un auteur qui le fait par engagement et d'un autre qui le reçoit comme concession. Alors que la nature interdirait par essence, par philosophie la concession dans les valeurs humaines elle permet, si besoin y est de la faire dans l'avis, le goût et l'envie. Mais casser pour avoir une chose est contre-nature.

Mes cris et mes silences, à moi

Je peux quant à moi garder mon silence quand un mal me ronge, j'ai bien envie aussi de crier mon mal quand le même mal me fait atrocement mal. Je peux me passer de mes penchants vers la chose que je désire si quelqu'un la voudrait ou de mon âme si un autre voudrait l'habiter. Je peux abdiquer devant le charme et la beauté exposés par un autre sans chercher à les kidnapper. Je laisse toujours entr'ouverte la porte à l'espoir pour pénétrer et prendre le mien. Je ne suis pas un casseur d'amitié, ni un bruleur de bus, ni un rupteur de contrat. Je ne peux par contre admettre le versatile, l'enrôlement et la mise en bière de mon inspiration. Je crie parfois en silence et je me tais lorsque je dis des choses.