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Mission Schiaparelli sur Mars: lorsque le ciel reste muet !

par Sid Lakhdar Boumédiene*

L'atterrisseur Schiaparelli s'est posé sur la planète Mars et reste silencieux. Parlez-en avec un scientifique et il vous entretiendra d'interférences des ondes et de gravité. Parlez-en avec un enseignant et il vous contera l'histoire, les mythes et autres rêves dont sa déformation professionnelle est coutumière. En fait, il sait qu'en matière de ciel, surtout lorsqu'il reste muet aux appels des Hommes, mieux vaut prendre des chemins détournés pour que la raison y trouve son compte sans se fracasser sur le mur des vérités célestes.

Le ciel a toujours été la grande frontière rêvée de l'humanité, celle qui est en même temps son grand mystère et son avenir vital. Et lorsque l'inconnu se mêle au questionnement troublant de l'incompréhension, l'Homme manifeste son angoisse par une tentative d'explication qui le rassure en lui fournissant une réponse à ses craintes.

La conquête du savoir, en particulier celle de l'espace, est un parcours semé d'avancées et d'échecs qui nourrissent l'expérience pour aller de l'avant. C'est une considération banale de la science et de la technologie mais à ceci près que le ciel a une place particulière dans le questionnement de l'humanité et que les réponses avancées ne sont pas sans le troubler.

Pour contourner l'embarras de l'auteur à aborder le sujet frontalement, prenons un cheminement beaucoup plus amusant pour donner du sens aux phénomènes qui ne sont pas compréhensibles. Essayons, à travers cette quête de l'imaginaire représentée, de trouver l'explication des ennuis de l'atterrisseur Schiaparelli.

Testons deux explications à l'échec de l'expérience spatiale européenne qui, si elles semblent farfelues au lecteur, ont été pourtant deux thèses énoncées par les Hommes à plusieurs millénaires de distance. C'est, au fond, rappeler la quête de l'explication du monde par des gens qui croyaient pourtant avoir la vérité et étaient les plus grands sages et savants de leur époque.

Les martiens de Schiaparelli

Nous connaissons de longue date le fantasme à propos de la planète Mars qui hante les cauchemars des humains par la culture de la science-fiction, littéraire et cinématographique. Ainsi, on connaît le mythe des petits hommes verts que seraient les martiens et notre crainte de leur invasion guerrière qui nous anéantirait.

La première manifestation de ces créatures apparaît avec le romancier Edgar Rice Burroughs (créateur de Tarzan) dans un livre publié en 1912, A Princess of Mars. En 1946, Harold Sherman récidive avec une nouvelle intitulée «The Green Man» qui fait évoluer un petit personnage de couleur verte, habitant d'une planète lointaine, venu annoncer l'attaque imminente provenant du ciel. En 1947, le mythe est définitivement installé lorsque paraît «The Third Little Green Man» de Damon Knight qui évoque, lui aussi, des petits hommes verts venus d'ailleurs.

Au passage, on notera combien l'être humain persiste à décrire les créatures extraterrestres au travers de son propre schéma de représentation en leur attribuant des apparences humanoïdes. Lorsque le mythe du robot apparu à son tour, ce fut la même projection humanoïde pour les représenter, aujourd'hui encore, plus que jamais. Il est tout aussi étonnant que nous nous imaginions toujours que «l'autre univers» est forcément peuplé de civilisations plus avancées technologiquement et, de ce fait, beaucoup plus menaçantes par un risque de colonisation de la Terre. En fait, nous faisons face à une idée tout à fait cohérente qui représente notre crainte, justement celle qui a engendré le fantasme. Le ciel est manifestement plus fort que nous puisqu'il nous est mystérieux et inaccessible dans la connaissance de son immensité noire et silencieuse.

Mais avec cette histoire de petits bonhommes verts, la mémoire collective retient très rarement la véritable origine du mythe qui remonte à une période bien plus antérieure que l'époque hollywoodienne. Elle prend naissance lors d'une observation très scientifique et sérieuse du brave Giovanni Schiaparelli auquel la planète Mars va réserver une grosse surprise.

Giovanni Schiaparelli obtient un diplôme d'hydraulicien à l'Université de Turin en 1854. Mais c'est dans l'astronomie que se réalisera son parcours de savant, tout d'abord à l'observatoire de Berlin pour rejoindre ensuite celui de Brera en Italie où il effectua l'essentiel de sa carrière.

L'astronome italien observa de grosses scarifications sur la planète Mars qu'il dénommera «canali» (canaux). En fait, ces observations ont déjà été faites par le passé mais on attribue la véritable paternité de la découverte à l'Italien. Comme ces marques étaient d'une étonnante régularité dans leur tracé, d'autres astronomes se sont empressés de divulguer l'hypothèse selon laquelle ces marques ne pouvaient être que l'œuvre de créatures intelligentes. Schiaparelli s'est refusé à une telle conclusion mais il faut dire qu'il n'a pas freiné le fantasme lorsqu'il représenta plus tard des figures beaucoup plus rectilignes que ne le laissent apparaître les véritables observations dessinées dans ses premières esquisses. Et voilà parti le fantasme des civilisations extraterrestres !

La colère du dieu Mars ?

A près de deux millénaires de distance, nous pouvons retrouver une autre représentation de la planète Mars dont le nom, il faut le reconnaître, n'a été lié à l'objet céleste que beaucoup plus tard. Et si nous nous referons à son équivalent dans la mythologie grecque, le dieu Arès, la distance temporelle est encore plus impressionnante. Elle nous prouve que nous allons vraiment très doucement dans notre connaissance du ciel, contrairement à ce qu'il n'y paraît par notre griserie provoquée par l'avalanche des découvertes depuis la Renaissance.

Et si la planète rouge était réellement le domicile du dieu Mars ? Au caractère belliqueux, le dieu est à l'image de sa mission, celle d'être la divinité de la guerre (entre autres missions divines, il fut le père de Remus et Romulus, fondateurs de Rome). D'ailleurs, le temple de Mars était relégué à la périphérie du domaine des dieux car nulle arme ne pouvait y pénétrer.

Il faut se souvenir d'une anecdote qu'il n'a peut-être pas oubliée et dont il se vengerait sur l'impudent atterrisseur Schiaparelli qui a osé fouler son territoire. Mais alors, avant de conter l'anecdote, pourquoi a-t-il admis la même impudence, depuis longtemps perpétrée à son égard par les atterrisseurs américains ? C'est que pour la première fois, le voilà confronté à une mission européenne et ce nom, « Europe », surgit dans son esprit comme le souvenir douloureux d'une histoire qu'il n'a peut-être pas totalement digérée.

Europe, une princesse qui épousa Zeus, le dieu des dieux, et qui lui donna trois enfants. L'évocation du nom Europe n'est en fait qu'un aiguillon indirect, le souvenir mythologique, qui réveillerait la colère de Mars à propos d'un tour pendable qu'il lui avait été joué par quelqu'un d'autre. Ovide, poète romain (et donc chroniqueur), raconte la duperie d'Anna Perenna qui connaissait l'amour de Mars envers Minerve. Elle lui annonça le résultat de son entremise et l'acceptation de Minerve. Mars attendit sa bien-aimée dans sa couche nuptiale et voilà qu'elle lui apparut avec la tête voilée. Il la dégagea du voile pour pouvoir l'embrasser et découvrit Anna Perenna.

Est-ce donc la colère de Mars qui a refusé que la mission européenne réussisse alors que toutes les autres, américaines, furent un succès ? Pour pouvoir juger de l'imbécillité de l'hypothèse, il faut au préalable admettre que la mythologie fut pendant des temps immémoriaux des explications sérieuses du monde, sans compter l'ère des philosophies de tous genres qui allaient dominer les esprits durant les quatre mille ans passés. L'être humain a cette particularité de qualifier de sottises tout ce qui n'entre pas dans les clous de sa croyance en une vérité qu'il croit universelle et inattaquable. Chacun traite l'autre d'abruti et le menace du courroux du ciel pour avoir proféré de telles bêtises.

La conquête du ciel restera donc une affaire de très long terme pour l'humanité et nous ne sommes qu'au début de l'aventure humaine et de nos questionnements. L'atterrisseur européen a eu des déboires comme beaucoup d'autres missions auparavant car on oublie trop facilement les nombreux échecs et nous ne retenons que celles qui réussissent. Le projet Schiaparelli n'est d'ailleurs qu'un demi-échec car l'orbiteur qui l'a propulsé est bien en bonne marche et participera à la connaissance de la planète, en synergie avec les autres satellites qui orbitent autour de l'astre rouge.

On a pris Copernic pour un fou et on a failli faire monter Galilée sur le bûcher, au nom de vérités qui étaient censées être immuables et qui se sont révélées aussi stupides que les deux hypothèses que nous venons de revoir, pourtant considérées comme sérieuses à l'époque.

Le ciel est grand, bien curieux mais, de conquêtes en conquêtes, l'humanité est en train de prouver sa puissance intelligente en faisant de cette immensité le rêve de son futur prometteur. Elle ne s'agenouille plus devant l'incompréhensible et l'invisible si ce n'est pour admirer son infinie et mystérieuse beauté.

Le ciel nous fait parfois des misères avec des échecs technologiques comme celui des engins spéciaux mais son but est d'éprouver notre acharnement à dépasser nos limites, pas de nous châtier.

*Enseignant