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La chute

par El Yazid Dib

Il est sorti. Il n'est pas encore parti. Il ne tombera pas si profondément dans les abysses de l'ingratitude et de l'oubli. Les hommes tombent un à un, le parti doit rester debout, ne serait-ce qu'en hommage à la mémoire des martyrs

Ce départ ne va pas pour autant faire finir la confrontation interne qui secoue encore le parti et le situe pleinement dans un tourbillon alimenté par les désirs des uns et les raisons des autres. « Le parti est habitué à ce genre de clivage depuis le Congrès de la Soummam » disait un jour Belkhadem. Il aurait raison s'il n'était pas lui aussi quelque part responsable de ce qu'a entériné et finalement accompli Saadani. Dans le temps, ces « clivages » n'étaient que d'ordre idéologique, d'orientation et de vision politiques. Ils le sont, en ces temps une affaire d'individus, de clans et d'intérêt personnel.

Que va faire Saadani ?

Faire ses comptes et les rendre à sa conscience. Il prendra quelques jours de repos, réglera ses factures, et dégustera la primeur des dattes toutes fraiches. On continuera à le réconforter, à lui faire des éloges, à lui miroiter de meilleurs lendemains. Certains, très peu persévéreront à lui vouer vénération et respect. D'autres plus nombreux l'oublieront s'ils ne lui feront pas supporter tout le mal qu'endure le parti. Le Monsieur est bien descendu du perchoir, qu'il aille vaquer à ses passions s'il en a, à ses besoins personnels s'ils sont en suspens. Il a fait ce qu'il croyait devoir faire. Avec ses péchés et ses vertus son registre brouillé et brouillonnant en tant que secrétaire général du plus grand parti de l'histoire est clos et pas encore classé. Si les pronostics allaient bien dans le sens d'une reconfiguration tactique ou par mesure de ristourne pour service rendu ; on aurait à le revoir investi d'une nouvelle fonction. Conseiller spécial ou représentant personnel à la présidence de la république, sénateur tiers-présidentiel ou délégué diplomatique.

La politique n'est pas un chagrin d'amour

Elle serait peut être, dites-vous un intérêt tout au plus. Démissionnaire ou démissionné, le Sieur Saidani n'aura pas fait long feu malgré ses tirs incessants sur des cibles sans âme pour avoir été abattues mille fois. Son règne n'a été sillonné que par l'agitation dans un paysage déjà bouillonnant et l'ardeur de pourfendre toute voix ne se mettant pas en accord philarmonique de son concert invectivant.

A voir des personnes le pleurant dans l'instant qui a suivi son aveu amer de lâcher du lest, les voir prises d'émotion en s'apprêtant à faire allégeance au nouveau venu ; c'est dire que son autorité n'était pas issue de sa compétence mais de sa puissance à pouvoir hisser les uns et bannir les autres. Il a su tout de même soumettre à sa personne kasmas, mouhafadhas, comité central et bureau politique. Toutes les instances du parti lui étaient acquises armes et bagages.

Certes l'acte du militantisme n'a pas d'âge ni exigence de niveau. Mais il reste par bienséance soumis à des pré-requis. A la décence et la juste mesure de faire le nécessaire. On ne vient pas déjà vieux, usé et empaqueté dans un conditionnement affairiste au parti et au bout de minimes années l'on zyeute le pouvoir central. On n'a pas à pleurer un départ ni se réjouir d'une nouvelle arrivée. L'émotion a été toujours une mauvaise conseillère.

Venir militer à 50 ans est un passe-temps

Tous les martyrs sont tombés au champ d'honneur à la fleur de l'âge. Cela suppose qu'ils ont offert leur adolescence et leur jeunesse pour la cause nationale. Qu'ils ont transposé leur rêve dans le rêve national.

Beaucoup de militants FLN l'ont été dès leur majorité et lui sont restés fideles avec ou sans avantages. Avec ou sans opportunité de se voir candidats. Ils sont toujours là à faire la galerie pour ceux qui sont venus, par calcul et audace prendre les devants de la scène. Ils observent, ces militants invisibles et silencieux, tels des témoins chagrinés l'imposture et l'intrusion et méditent attristés sur ce temps où l'UNJA et autres organisations dites de masses alimentaient judicieusement les rangs du parti.

Venir militer à l'âge de 50 ans et plus, croyez-vous que c'est un acte de maturité politique ? C'est comme l'on vient à la mosquée en rencontrant la dévotion à ce même âge et l'on se prend pour de grands ascètes et de grands religieux. Ou aviez-vous consommé vos belles ou mauvaises années ? qui dans la quête d'une carrière professionnelle inaccomplie, qui dans un commerce n'offrant pas trop de gain ou exigeant un peu plus. Il demeure impensable sous cette optique de voir et de constater qu'un individu sans nul cursus politique ni un historique fut-il futile et minime ; soit après un parachutage qui dira un jour son nom, comblé sans crier gare de la noble fonction de membre du comité central. Pour un autre arborant pour seul entité sa ténacité ou sa fortune, venir au parti est l'unique tremplin pour booster ses affaires et tisser des relations pour les faire maintenir ou les accroitre. A cet âge l'on est grisé par le désarroi et les aléas fatidiques du temps. La retraite aussi tient lieu de motivations pour combler le vide et finir les longs et vieux jours. L'on ne retrouve pour son semblant d'épanouissement, son redéploiement d'activité et parfois une occupation bénéfique que le fait d'aller s'inscrire sur un registre d'adhésion et attendre les prochaines élections. Sait-on jamais dit-on.

Les vieux bleus du FLN

Ce sont en fait ces gens là, ceux qui, arrivés à un âge très avancé se sont inscrits sournoisement dans les rangs en vue seulement de gagner des places politiquement confortables. Se frayer pour certains, des chemins qu'ils croient dorés et n'ont pu les avoir à travers leur métier initial ou leur position socialement dérisoire. Ils ne sont pas animés pour leur grande majorité d'un quelconque engagement politique. Sinon pourquoi opter pour ce parti et non pas pour un autre ? C'est vrai que l'exercice d'un droit est garanti par les lois et que chacun jouit totalement et en toute légitimité de sa liberté d'aller militer là où bon lui semble. C'est possible mais rare que l'on peut prendre « une conscience politique » en étant plus prés d'un cimetière ou en marge de l'évolution sociétale. Mais ces personnes, ayant raté le parcours du militant lorsque le militantisme ne payait pas plus qu'il ne faisait passionner l'aventure juvénile, cramponnent leur « conscience politique » tardive et ménopausée dans ce que peut rapporter une carte de militant. La proximité avec le pouvoir, la candidature électorale et au pire un strapontin dans les coulisses de la cour de la république. C'est pour cela qu'ils émettent leurs premières amours, toutes entières directement en direction de la chefferie du parti.

Les mouches vont changer de dos d'âne

C'est un principe mécanique provenant d'un instinct animal que de voir les mouches s'agglutinant sur un dos, changer de dos quand le premier dos est sans utilité. La masse compacte qui faisait l'essaim indissociable du maitre va se désagréger au profit d'un autre maitre des lieux. Pas de bâton mais beaucoup de carottes en mire. C'est une théorie que confirme une pratique longtemps usitée. A l'exception de quelque uns qui gardent tout de même un positionnement clair non pas face à une personne mais envers une idéologie, le reste du monde se laisse trainer par l'humeur de l'instant.

Pour les gens qui disent que le départ de Saidani « est une leçon de démocratie est un exemple de l'alternance au pouvoir » ils n'ont rien pour discourir sur ce ras-le-bol. Ils attendent, guettent, scrutent et calculent comment remonter sur le nouveau courant et comment profiter de cette « leçon de démocratie » qu'ils refusent toutefois qu'elle leur soit appliquée.

Il y aura parmi ceux-là mêmes qui jusqu'à hier adoraient à mourir Saadani beaucoup qui vont subitement, comme un coup de foudre porter tout leur amour à Ould Abbes. La veille l'on ne jurait que par sa tête, l'on s'égosillait à parfaire son image et argumenter tous ses dérapages. L'on a même, ailleurs brandi sa photo voulant ainsi exprimer son soutien indéfectible. Le mystère de la haute stratégie les a tous berné dans leur réalité illusoire. En cas de doute ; le ni avec, le ni contre est un équilibre difficile à tenir, pourtant il se pratique par toute cette faune d'opportunistes.

L'impératif retour aux origines

Cette énième alternative dans un climat houleux et néanmoins menaçant constitue une aubaine pour le raccommodage des affaires et la correction du discours éditorial du FLN. Si l'on parle de la nécessité d'un retour aux origines, l'on ne vise pas le retour des dinosaures, mais de ces valeurs perdues au gré des compromis et de la compromission. Il était dit dans la charte d'Alger qu' « il doit être un parti d'avant-garde profondément lié aux masses tirant toute sa force de cette liaison » Ses origines sont le peuple, cette grande masse, de pauvres, de fellahs, de travailleurs, de jeunes et d'étudiants et non pas une caste de nantis, de promoteurs immobiliers, d'import/export ou d'affairistes sans scrupules.

Le FLN était la révolution du premier Novembre. Il en est le dépositaire historique. Celle-ci s'était concrétisée par le peuple. Elle formait une résurgence inépuisable du sentiment nationaliste et un précieux expédient pour l'amour de la patrie. Voir des moudjahidine accusés de trahison, outragés en public n'est pas un acte responsable pour un individu se croyant responsable.

Pour des raisons de maintenance, de compétitivité politique, d'adaptation à de nouveaux concepts ; la légitimité historique n'a plus de sens de continuer à pourvoir le parti en combustibles. La démarche inévitable de l'alternance politique et de l'élan démocratique peut le placer aisément tout en conservant sa primauté dans l'échiquier politique national. Il a tout pour réussir finalement la difficile transition d'une histoire à un facteur de développement et de mobilisation. Il lui suffit de s'assumer dans la nouvelle exigence que recommande une vision stratégique pour le long terme. Dans cent ans, que sera-t-il ?

Un code moral s'impose, élu une fois pas plus !

Avec ou sans un secrétaire général qui aura le devoir moral de ne plus se faire aimer mais faire aimer le parti , le FLN est contraint à garantir sa pérennité et défendre ses nobles idéaux. Malheureusement ces derniers ont été travestis par l'apport massif de centralistes et de parlementaires n'ayant aucun souci quant à la promotion politique des masses. Fort encore de ses référentiels qui ont failli périr avec la gabegie vécue dernièrement , le parti peut à l'instar des grandes corporations de libération nationale se faire prendre par ses jeunes cadres.

L'assainissement commencera d'abord par la mise à l'écart de ces eternels candidats et dont les photos des dernières élections continuent à ce jour à ternir les murs des villages, des cages d'escaliers et des arcades d'avenues. Et si jamais ce code ou autres dispositions viennent à se mettre en évidence pour alterner les candidatures. Imposer à ses militants une discipline alternative aurait à crédibiliser davantage la notion du partage du pouvoir et donner accès à toutes les bonnes volontés de contribuer à l'effort politique sur, notamment la scène locale. Rien ne justifie qu'un individu puisse faire deux, trois mandats, parfois plus dans une même localité pour la simple raison dira-t-on que c'est un choix du peuple. C'est au parti de régenter ses troupes et d'offrir à la population des visages nouveaux qui ne soient pas sujet à anxiété ou nostalgie de la fonction élective. On connait des gens qui font de cette fonction un métier à défaut d'en avoir un. Ils sont de toutes les échéances. Ainsi on saura éviter à travers le menu proposé au vote l'indigence en termes de valeur politique. Et puis si l'on réservait la candidature parlementaire aux seuls militants ayant déjà jouit d'un mandat électif local ?

Membre du comité central, n'importe qui !

Dans le temps ce titre faisait peur. Maintenant il fait rire. Il n'est pas question de diplômes mais beaucoup de plus de punch, de gabarit, de personnalité et de l'éclat qui s'en dégage. C'est de cet abus du pouvoir tendant à designer directement les membres du comité central que le parti est rentré dans l'irréflexion et la banalisation de l'instance. Alors qu'a-t-on fait du principe qui s'est désacralisé du centralisme démocratique lequel requiert que tout doit provenir de la base ? « Faire venir quelqu'un de la rue et l'installer dans le fauteuil du CC est ridicule » dixit Abada. Eh oui ! L'on est censé avoir fait ses classes à la base, dans sa famille, dans son quartier, dans sa cité. Avoir été maire ou Mouhafedh dans une grande ville est toutefois une bonne référence politique pour pouvoir occuper un tel siège. Pourvu que l'on ne soit pas un « homme de cœur ». Alors qu'une bonne partie de cette conglomération centraliste n'avait même pas eu à connaitre le fonctionnement intérieur d'une cellule, d'une kasma , d'un bureau de mouhafadha ou d'une assemblée populaire, qu'elle croit apte à agir dans les cercles supérieurs de la conception politique partisane.