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Le quotient intellectuel (QI) des Algériens menacé par la pollution du système de santé

par Kamel Bourenane *

Le diagnostic qu’on peut établir du secteur de la Santé, en Algérie, est plus qu’alarmant. La raison principale de la défaillance et de l’échec total de notre système de santé qui se trouve, par l’ampleur des dysfonctionnements, en plein désastre, n’est autre que le terrible résultat du manque de considération flagrante des autorités politiques et médicales, envers ce secteur sensible et stratégique.
 
Il en résulte, sans exagération aucune, de cet état de déliquescence avancée, un archaïsme à outrance et surtout un véritable fléau de médiocrité sacralisée et couvée, à tous les niveaux du système de santé. Les actions et formules tâtonnantes des autorités, comme les brillantes agitations médiatiques, pour éclipser une sombre réalité préoccupante, les discours incantatoires généreux et généraux, les déclarations cacophoniques, la propagande, les conventions ainsi que les assises, symposiums et colloques téléguidés ne peuvent ni organiser, ni gérer et encore moins réformer notre système de santé. Ces pratiques insinuent, clairement, l’absence de réflexion prospective, le manque de vision structurée et de mission définie, en plus de l’absence de politiques ou de principes stratégiques.

En fait, le constat ne peut être qu’affligeant où règnent l’incompétence, la médiocrité, l’anarchie, l’approximation et le charlatanisme. En clair, tout se passe et se fait au moyen d’un véritable pilotage à vue.

Il est primordial de rappeler à nos autorités politiques et médicales qu’un système de santé fonctionnel doit reposer, inéluctablement, sur des principes directeurs ayant la perception globale de la santé (qui s’appuie sur la biologie humaine, l’environnement, les habitudes de vie et l’organisation des soins), telle qu’elle a été définie par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : «la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité». Il s’agit donc d’un concept large, influencé par de nombreux déterminants indépendants : facteurs génétiques (hérédité), biologiques (vieillissement), socioculturels (ressources, activité professionnelle, et logement), comportementaux liés au mode de vie (nutrition, activités physiques, tabagisme et toxicomanie), environnementaux (danger biologique, chimique et physique) ainsi que par l’accessibilité à des services de santé de qualité. Cette définition de l’OMS établit, clairement, que l’environnement est un facteur déterminant dans les questions de santé. Elle souligne, aussi, que la notion de santé environnementale concerne, également, les actions permettant de prévenir et de corriger les nuisances environnementales qui peuvent être à l’origine de troubles ou de maladies, d’où le slogan de l’OMS: «L’environnement d’aujourd’hui, la santé de demain». Sans minimiser l’importance de la médecine curative (à laquelle on limite notre système de santé), qui est en état de délabrement avancé, la santé c’est, aussi, l’air que nous respirons, l’eau que nous buvons, les aliments que nous consommons, les médicaments que nous ingérons, l’activité physique que nous faisons, etc.

En Algérie, les autorités publiques, par stratagème des uns et l’ignorance des autres, ne considèrent pas ou ne réalisent pas, encore, la nécessité de mettre en œuvre des politiques en matière de médecine préventive et c’est ce qui fait qu’en santé publique, on n’y accorde aucune importance, même restreinte. La situation actuelle de notre système de santé (médecine curative) insinue, bel et bien, que la santé environnementale, c’est-à-dire la promotion de la médecine préventive, ne fera pas partie, de sitôt, des projets de nos autorités publiques, malheureusement. Pourtant, les effets sur la santé des Algériens que continue de provoquer notre environnement, fortement pollué, ne cessent d’augmenter et d’une façon exponentielle.

Un grand nombre d’états pathologiques allant de différents types de cancers aux maladies cardio-vasculaires, en passant par les maladies neurologiques sont les quelques-unes des maladies graves répertoriées, liées à la pollution de notre environnement et dont des milliers d’Algériens sont des victimes de trop et dans l’opacité totale, à cause de l’inaction confondante et de l’immobilisme dévastateur des dirigeants. En clair, un système de santé à bout de souffle qui se limite à la médecine curative archaïque, sans vision claire, ni mission définie, une recherche désarticulée, des professionnels de la santé désemparés… Ainsi va notre système.

Pour mettre en évidence l’importance et la pertinence de la santé environnementale ou de la médecine préventive, dans un système de santé, son rôle, ses objectifs, sa mission et ses grandes lignes, je me limiterai, dans le cadre de cette contribution, à présenter brièvement, un exemple d’étude du cas concret de pollution intense et qui porte sur la pollution et l’exposition au plomb, en Algérie, sans pour autant minimiser le risque que présente les autres types de polluants comme les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui sont très toxiques et ayant des effets néfastes sur les capacités mentales, au même titre que le plomb, auxquels les Algériens sont fortement et continuellement exposés.

LA TOXICITE DU PLOMB

L’Algérie est l’un des rares pays au monde qui continue à utiliser des additifs de plombs dans l’essence et la peinture, sachant que le plomb est complètement banni d’usage comme additif depuis une vingtaine d’années, dans le monde, car son intoxication qui est complètement évitable, constitue, pour l’environnement et la santé humaine, une grave menace, dont il convient de se préoccuper de toute urgence. Le plomb est une substance très toxique qui s’accumule dans l’organisme et a une incidence sur de multiples systèmes organiques. Il est, particulièrement, nocif pour les jeunes enfants. Effectivement et selon l’OMS, l’exposition au plomb entraîne, chaque année, des centaines de milliers de cas de déficience intellectuelle, dans le monde, chez les enfants.

Les preuves d’un lien avec les incidences neuro-développementales sur les enfants exposés au plomb, aux concentrations mesurables les plus faibles, ont amené de nombreuses autorités gouvernementales internationales, dont l’EPA (Environmental Protection Agency) des États-Unis et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à déclarer que l’on n’avait pas défini le seuil de nocivité du plomb.

Plus particulièrement, les preuves sont suffisantes pour indiquer des effets nocifs, notamment des effets neurologiques touchant le développement, des effets neurodégénératifs, cardiovasculaires, rénaux et les effets sur la reproduction, même à de faibles concentrations. Parmi ceux-ci, l’effet critique pour la caractérisation des risques est la neurotoxicité pour le développement, pour laquelle la preuve d’un lien était la plus importante, en particulier la baisse du quotient intellectuel (QI) et les troubles de l’attention. C’est la raison pour laquelle le poids de la preuve le plus important concerne les effets neurologiques du plomb sur le développement des enfants, en particulier la baisse du QI. Le QI est le paramètre le plus couramment mesuré afin d’évaluer la neurotoxicité pour le développement due à l’exposition au plomb.

On a observé cette neurotoxicité pour le développement aux plus faibles taux d’exposition au plomb examinés jusqu’à ce jour, à la fois dans le cadre d’études par observation et d’expériences sur les animaux. On dispose de beaucoup d’études montrant l’influence néfaste sur le QI de l’exposition précoce au plomb chez les enfants d’âge scolaire, les données indiquant une baisse du QI lorsque la concentration sanguine de plomb augmente. Les recherches effectuées à ce sujet montrent que l’exposition chronique au plomb, durant les premières années de vie, est liée à une baisse du QI des enfants d’âge scolaire, et indiquent, globalement, des effets préoccupants à des taux d’exposition inférieurs à 100 µg/L (Ernhart et al., 1987, 1989; Cooney et al., 1989a, b, 1991; Bellinger et al., 1991, 1992; Dietrich et al., 1992; Schnaaset al., 2006).

L’étude menée par Lanphear et al. (2005) qui concerne la caractérisation des risques relatifs aux effets du plomb sur le QI des enfants, montre qu’il existe une relation inverse entre la concentration sanguine de plomb et le QI. Ainsi, on a observé que des concentrations sanguines de 24 à 100 ìg/L, de 100 à 200 ìg/L et de 200 à 300 ìg/L entraînaient une baisse du QI de 3,9 points, 1,9 point et 1,1 point, respectivement. Lanphear et al. (2005) ont conclu qu’un taux sanguin de plomb maximal de moins de 75 ìg/L entraîne un déficit intellectuel chez les enfants. Le point de données le plus faible, dans l’étude de Lanphear (2005), était de 2,4 ìg/dl. Il est important de noter que chez les animaux de laboratoire, on a observé que les effets neurotoxiques du plomb sur le développement persistaient après l’arrêt de l’exposition et une fois les concentrations sanguines et cérébrales de plomb revenues à la normale ou aux taux de référence (Rice et Barone, 2000).

Enfin, d’après les modélisations dose-effet effectuées par l’Office of Environmental Health Hazard Assessment de l’EPA de l’État de Californie (OEHHA, 2007) et par l’Autorité européenne de sécurité des aliments l’EFSA (2010), chaque augmentation de la concentration sanguine de plomb de 1 ìg/dl entraînerait une déficience d’un point de QI environ.

SOURCES D’EXPOSITIONS CHRONIQUES AU PLOMB EN ALGERIE

Afin de déterminer le moyen de réduire l’exposition de la population algérienne au plomb, il faut d’abord comprendre où elle se produit et ce qu’il advient du plomb, à la fois dans la nature et dans le monde industriel, dont l’objectif ultime est de réduire les risques pour la santé humaine et l’environnement.

En Algérie et en 2016, malheureusement, il n’existe pas encore d’inventaire national des rejets de polluants pour avoir le profil précis des différentes sources anthropiques de rejets du plomb dans l’environnement. En fait, les autorités optent, toujours, pour des solutions du genre de briser le thermomètre pour arrêter la fièvre. Ainsi, les rejets du plomb dans l’eau et le sol restent, encore, du domaine de l’inconnu. Toutefois, les rejets du plomb dans l’atmosphère sont multiples et les principales sources d’émissions anthropiques dans l’atmosphère sont notamment: l’essence contenant du plomb, les exploitations minières, industrie du fer et de l’acier, les fonderies et raffineries de métaux communs. La plus importante source anthropique d’émission de plomb, dans le pays, provient de l’essence automobile et des centaines de tonnes de plomb sont rejetées, annuellement, dans l’atmosphère pour la seule région d’Alger, selon plusieurs sources concordantes qui sont au fait de ce dossier. Il est à noter que la plombémie (le taux de plomb dans le sang) a diminué de 95% depuis le bannissement de l’usage de l’essence au plomb, en 1986, aux États-Unis, CDC (2005). Cette même baisse, très significative de la plombémie, s’observe également au Canada dans l’ensemble de la population en 2007-2008, selon Statistiques Canada (2010). Ces derniers résultats qui se passent, de tout commentaire, nous renseignent combien est urgente la refondation du système de santé algérien.

En effet, l’exemple de l’exposition au plomb et de ses effets sur la santé, cités ci-dessus, montre bien que la santé d’une population ne dépend pas que des services de santé d’un pays; elle se trouve dans les principales fonctions de l’État : l’environnement, l’éducation, le sport, l’agriculture, la commune, la ville, la sécurité, le travail, la recherche, l’alimentation, l’industrie, le budget, etc. Il ressort, clairement, qu’il est plus que primordial d’assurer une gestion transversale de la santé qui passe, nécessairement, par la collaboration avec les principales fonctions de l’État. La santé ne peut dépendre des prérogatives d’une seule institution spécialisée, mais elle doit être multidisciplinaire et un élément de notre bien commun qui concerne toutes les activités de l’État.

En 2016, et pendant que plusieurs pays sont entrés dans l’ère de la médecine prédictive, grâce à la révolution génomique et la nouvelle technologie permettant la détection précoce de biomarqueurs liés à l’apparition de maladies à évolutions lentes, en Algérie, non seulement que nous n’avons pas encore intégré la médecine préventive, mais les autorités politiques sont loin d’avoir une approche et une vision transversale de la santé pour délaisser l’approche verticale et anarchisée actuelle.

Il est temps d’entamer la mutation du système de santé pour l’adapter aux grands enjeux sanitaires, technologiques, économiques et sociaux du siècle. Il est plus que nécessaire de cesser de limiter notre système de santé à la médecine curative. Il est même grand temps de penser sur le pourquoi du comment passer de la médecine curative à la médecine préventive et prédictive, ce qui modifiera, fondamentalement, et de fond en comble, la place et le fonctionnement de l’institution qui gérera notre système de santé. L’intégration de la médecine préventive implique un changement profond de mentalité, d’abord, et signifie précisément, qu’il est impératif de sortir la santé des hôpitaux et les dispensaires pour la développer dans les écoles, dans les entreprises, dans la pratique sportive, dans la recherche et dans le quotidien de chaque citoyen.

En somme, le développement durable, ayant comme socle la santé humaine et environnementale, est le seul garant de la sécurité, de la stabilité et de la prospérité, en ce 21ème siècle. C’est-à-dire, un développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre les besoins et la capacité des générations futures. Ainsi, les nations qui s’engagent, activement, sur cette voie, vont jouer, certainement, le premier rôle et détiendront la clé du développement durable. La santé environnementale et humaine sera le gisement inestimable de richesse économique et humaine dans les prochaines années. Il est stupéfait de voir l’Algérie à l’écart de cette opportunité qui se déroule, sous nos yeux. Pourtant, l’Algérie possède de véritables atouts pour réussir avec brillance cette innovation sanitaire, indispensable à la nouvelle réalité de notre époque. Il ne manque plus que la volonté politique.
 
*M. Sc. -Université de Montréal. - Spécialiste en évaluation des risques professionnels et environnementaux.

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