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Si l'instruction est une semaille, l'éducation est une culture

par Farouk Zahi

« L'école n'est pas seulement une préparation des hommes à recevoir une instruction et une spécialité. L'école est une sphère de la vie sociale qui est soumise aux mêmes lois que l'ensemble. Elle reflète en elle toute la société avec toutes ses propriétés et ses problèmes, qui ne font que se transformer en rapport avec l'âge et la position des citoyens ».

A la recherche d'une citation qui sied au sujet que nous allons débattre, seule cette maxime du philosophe russe Alexandre Zinoviev semble convenir à ce que nous allons développer dans le texte. De l'instruction, le Larousse en dit ceci : «action d'instruire quelqu'un, un groupe, de leur donner des connaissances » et de l'éducation ceci : «conduite de la formation de l'enfant et de l'adulte». Pour cette dernière, il ne s'agit pas seulement de connaissances ; mais bien plus que ça puisque même l'adulte est concerné par cette définition. Et c'est là où l'exemple le plus frappant nous est fourni par ce qui est d'actualité et qui s'appelle désormais : «Affaire de l'enseignante de Barika». Certains internautes ont carrément pris position, tranchée ou de pure forme, entre les «pour» et les «contre». Ces derniers sont moins visibles comme à l'accoutumée avec les abstentionnistes qui ne se réveillent qu'au lendemain d'un scrutin défavorable avec une gueule de bois comme çà !

Pour revenir à cette vidéo qui a fait le buzz pour être dans l'air du temps ; celle-ci est venue à point nommé car on ne peut guère se cacher la face plus longtemps. Cette enseignante est le modèle parfait de l'individu, peut être instruit, mais inculte en matière de respect de la personne humaine, notamment de l'enfant. Ce petit apprenant est encore taillable et corvéable de par l'immaturité de son esprit et par l'emprise sans partage de son enseignant ou enseignante qui en devient son modèle. A ce titre, l'enseignant est ce gourou dont on exécute tous les vœux sans qu'il ne soit donné de réfléchir. A cet âge, on ne réfléchit pas, on imite ou on répète. Sans allez chercher une quelconque explication idéologique à ce comportement, cette enseignante n'est que le produit de cette école en déshérence depuis le début des années 80 où l'éducation moyen-orientale qui s'arrêtait au Saloum sur la frontière égypto-libyenne, faisait une entrée tonitruante. Cheikh Ahmed Hammani et Cheikh Abderrahmane Djillali n'étaient plus aptes à nous prémunir des dangers des fetwas et des prédications scélérates. Quant à El Hadj Mohamed Ben Kebir et dont l'avis religieux transcendait parfois celui d'El Azhar, nous l'avons cantonné dans le Tidikelt et le Gourara, nous livrant ainsi, pieds et poings liés à des coopérants techniques d'un autre ordre. Rappelons-nous cet Azharien qui traitait le peuple algérien de lâche lors du séisme d'Al Asnam en octobre 1980 ; il voulait que les gens conjurent ce désastre cataclysmique par la stoïcité religieuse. On continue à publier, jusqu'à ce jour, ses édits dans un quotidien à grand tirage.

En coupe réglée, le détricotage de l'identité nationale se faisait avec notre consentement et tous les jours sous nos yeux hébétés. Le premier instrument de l'autodafé est, sans doute aucun, la télévision nationale qui sous le sacro-saint dessein généreux de l'arabité nous a gavé pendant des décennies par d'interminables niaiseries abrutissantes du genre : « Chanfara » en primo infestation consolidée plus tard par « Layali El Hilmia » et autres séries à l'eau de rose. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est la chaîne francophone qui reste la plus authentiquement algérienne. Jadis et sans aucun relent nostalgique, cette même télévision, pourtant arabophone, éclairait les esprits par des adaptations d'œuvres universelles de Tolstoi, Victor Hugo et Alex Haley à travers les séries de « Guerre et Paix », les « Misérables » et « Racines ». La trame soutenue rendait les dialogues presque accessoires. Au terme de cet âge d'or, nos jeunes filles, cloitrées, ne pouvaient que subir la lessive cérébrale venue d'un Machrek qui a évolué entre temps. Elles se surprenaient même à changer le timbre de leur you you, de bref et concis, il devenait miaulant à l'égyptienne. De nouveaux vocables se glissaient subrepticement dans le parler local tel « Ramadan Karim » supplantant le « Saha Ramdanek » ancestral; les politiques quant à eux, ils adoptèrent « Baltaguia » (Les casseurs). Il est vrai que Mouloud Kacem Nait Belkacem n'était plus là, lui qui inventait des néologismes propres à nous et adoptés par les autres. Mêmes les chanteurs et chanteuses, grisés par la mélodie khalidji (Golfe), s'y convertirent sans état d'âme. Le répertoire du chant religieux des « Khouane » et « Aissaoua », jadis riche et varié, est insidieusement supplanté par le « Mouachah » et le « Maqam». Connue pour ses convictions religieuses de rite malékite, bastion de la modération en toutes choses, la société algérienne devait être mitée de l'intérieur pour ébranler sa cohésion sociale. Qui mieux que la religion pouvait jouer le cheval de Troie de la félonie ?

Méditerranéens, issus donc d'une profondeur historique antique et pourquoi pas préhistorique par notre ancêtre de Palikao (Tigheniff), nous nous échinons à nous arrimer à un Moyen-Orient qui a fait fi de sa bédouinité pour s'inscrire dans la modernité en gardant ses seuls attributs vestimentaires pour mieux mystifier. Dans le registre de la dépendance culturelle que nous nous sommes imposée, il en fut de même pour les productions culturelles. Le film relatant la vie de Fatma N'Soumer, notre Jeanne d'Arc nationale et récemment, celui consacré à l'œuvre de Cheikh Amoud Akhamokh, le preux guerrier de l'Haggar, furent confiés à des cinéastes du Sham. Faute de culture proprement nationale, nous continuons à emprunter chez ceux qui veulent bien nous fourguer leur sous-produit. On réussit même à nager dans la fange de l'humiliation en honorant les Aboutrika et autre Chehata pour avoir agressé notre équipe de football en 2009 et injurié nos valeureux Chouhada en les traitant de savates.

Après cette digression, revenons à cette enseignante dont nous taisons le nom par respect pour sa personne et pour ses proches. Produit de cet environnement délétère où le mimétisme l'emporte largement sur l'identité culturelle, sous le motif contestable de l'appartenance à une nation arabe qui en fait n'est que dans les têtes faute d'être une réalité généalogique, elle est plus à plaindre qu'à stigmatiser. L'Amérique latine, et malgré l'emprise de la confession catholique sur ses peuples, l'espagnol et le portugais n'étant que des langues véhiculaires qui permettent la seule communication entre ses diverses communautés ne constitue pas pour autant une nation, mais plusieurs avec chacune d'entre elles ses propres contours identitaires. Notre jeune enseignante, faisant partie de la génération post-octobrienne est tout à fait dans son élément fait de fronde et de défiance vis-à-vis du pater familias. Les réseaux sociaux lui offrent, présentement, un large auditoire acquis à sa cause. Dans une sorte de plan américain, cette starlette en hidjab semblait jouer un casting en susurrant des questions auxquelles elle y répond car le chahut des gamins en arrière plan est presque inintelligible. Fixant savamment l'objectif, elle donnait l'impression de faire du pied à un quelconque imprésario pour un éventuel recrutement dans l'une des chaînes télévisuelles qui foisonnent. La célébrissime Benguena n'arrête pas de susciter l'émulation.

Réalisée en à peine une ou deux de minutes, la vidéo a vite fait le tour de la Toile en faisant mouche. La preuve en était donnée par la prompte réaction de la ministre du secteur et c'est là où l'on accorde une importance démesurée à une banale entorse à l'éthique professionnelle, ce qui a permis à toutes les mouches du coche de s'y agripper. Une des chaînes satellitaires connue pour ses scoops à la « El Djazira » et à qui elle veut ressembler en s'attachant les services d'un Karadoui national, a organisé un plateau spécial à l'évènement en y invitant un « Doctour » en sociologie pour disséquer et battre en brèche la réaction de la ministre. Défendant crânement sa collègue, l'universitaire avance une théorie propre à lui en affirmant que chaque enseignant a sa propre méthode d'enseignement. Lui-même, dit-il, a été victime expiatoire de ce particularisme pour lequel il a été châtié par une mesure disciplinaire infligée par son université. Si chaque enseignant imprimait sa propre empreinte sur le cortex cérébral de chaque apprenant, il ne resterait pas beaucoup de place à la construction cognitive. Partial, l'animateur s'alignait ouvertement sur la thèse défendue par l'enseignante incriminée pour dédouaner son discours, trouvant le contenu innocent et bien faisant pour le public qui aurait visionné le document filmé. Participant plus du narcissique que du pédagogique, la vidéo serait, selon l'auteure, la première d'une série qui allait venir. Un syndicaliste questionné à distance, a affirmé qu'il n'existe par de textes réglementaires qui encadreraient cette dérive. La représentante de l'Association nationale des parents d'élèves qui a remis les pendules à l'heure en rappelant que le règlement intérieur de l'établissement scolaire proscrit l'utilisation du téléphone cellulaire à l'intérieur des classes, est vite mouchée par l'illustre professeur avec ses imparables barbe, kamis et calotte partant d'un discours réducteur suggérant l'illégitimité de cette association. Comme de tradition, l'impasse est ainsi faite dans ce genre de débat bridé où l'émotionnel l'emporte toujours sur le raisonnable. Confortée par autant de soutiens, notre enseignante de Barika qui a pris, sans probablement le vouloir, le devant de la scène, se fait interviewer par un grand quotidien arabophone pour fustiger frontalement la ministre, elle-même, en disant à peu près ceci : « Elle devrait s'occuper plutôt des fuites du bac que de ma petite personne ! ». Plus effronté, tu meurs ! A bien y regarder, la mise en cause a, quelque part, raison car le vol en rase-motte fait voir des choses qu'il serait vain de comprendre. La lecture au premier degré pourrait conclure hâtivement à de la provocation s'agissant d'une région où le fonds linguistique est amazigh. Quand on sait que le langage devance souvent la pensée, on ne peut que concéder le fait à la langue qui fourche. Mme Nouria Benghebrit, sollicitée en tant qu'experte reconnue doit s'astreindre à jouer ce rôle et rien que ce rôle, l'expérience lointaine et récente a démontré que ceux qui ont fait de la politique ne s'en sont pas sortis à bon compte. A l'instar d'un thérapeute, il lui a été fait appel pour poser un diagnostic et y apporter le remède adéquat ; à la guérison ou la rémission le patient ne lui en sera que reconnaissant.