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2017: l'aventure des partis

par El Yazid Dib

L'on sent depuis peu que des mains froides et aigries se frottent et des fronts plissés se dérident juste à l'émerveillement du dépôt de candidature. Nous verrons venir un nouveau langage, dans une vieille peau. Un nouveau sourire dans une ancienne rengaine.

Le FLN est né pour gouverner, il est par essence un parti de pouvoir, disent les uns. C'est un parti qui exerce le pouvoir et s'habitue difficilement à le partager, affirment les autres. Ce n'est pas parce qu'il est un parti de pouvoir qu'il est assurément au pouvoir. Je crois avoir entendu un enthousiaste et vieux militant du FLN dire que le FLN est cité dans le Coran. Se référant à la prononciation coranique de certains versets où il s'entend dire phonétiquement « a fa lèn?» suivi d'un verbe. Il ne savait ni lire ni écrire et encore mal écouter. Car la parole sacrée et divine usait ainsi majestueusement de la forme interrogative et suggestive dans plusieurs endroits.

Parti, Dieu et démon

Comme j'ai lu dans un proche passé qu'il ne peut y avoir que deux partis, l'un de Dieu, l'autre du démon. Depuis, ça a foisonné. L'investissement politique débutait ses premiers pas. La loi constitutionnelle leur offrit l'occasion rêvée. Soixante partis sont nés. Les appellations se ressemblaient et tous baignaient qui dans un front, qui dans un mouvement, qui dans un rassemblement. Nos esprits en ces temps-là ne pouvaient répondre utilement, pour un branché politique, à quel parti ou association politique fallait-il adhérer ? À quel saint se vouer ? Tous prônaient la même chose. Les programmes identiques, les ambitions possibles, les promesses alléchantes. Quel est le parti qui ne prend pas en ligne de projet la glorification de l'islam ou déclarait-il être contre la religion ? Quel est ce parti qui ne tendait pas à valoriser dans ses sources référentielles la révolution de novembre ou déclarait-il y être contre ? Ainsi, tous les attributs et artifices sémantiques et conceptuels étaient venus hisser l'ossature et la théorie de toute association. Un marché de la politique commence à naître. Les théoriciens fustigent de partout, les idées n'étaient que belles et envoûtantes. Une mer en plein sud, des logements pour tous, etc. Chaque individu se voyait sur une liste électorale, de président de la république, d'une assemblée ou, à défaut, un membre de quelque chose. La conviction idéologique cédait le pas au bourrage gastrique.

Le militantisme était devenu un métier et l'on changeait de parti comme l'on change de chemise, à vrai dire de «veste». La conviction était à deux pas de la négation. Ce qui importe avant tous chez les partis, en termes idéologiques, c'était la prise de pouvoir, or le FLN ne semblait pas du tout prêt à en accorder les moindres concepts doctrinaux, lui le père spirituel de la nation, le lien ombilical d'entre le peuple et le pouvoir. M. Belayat, personnage à l'influence scientifique, disait : « le FLN ne peut être un parti d'opposition, il est né pour gouverner ». Mais là, la donne n'est plus la même. Si la constitution octobriste validait sous le règne encore agissant du parti unique une revendication permettant l'émergence d'autres associations et le retrait de l'armée du domaine politique, on suppose avoir assisté fièrement à l'enterrement du grand FLN, originel, original, authentique et saint, tel qu' il était peint par M. Lacheraf lorsqu'il écrivit qu'il «était (le FLN) le porte-parole de l'armée de libération nationale et l'interprète naturel de la grosse majorité du peuple algérien». En ces jours, il n'est ni l'un ni l'autre. Laissant place par appellation à une forme de machine à hausser les uns et casser les autres. Ce parti qui ne garde indélicatement que des initiales illustres et glorieuses, vidées à fonds de la substance qui les animait, qu'en est-il au juste ? Est-il en somme un parti qui exerce vraiment le pouvoir ou se targue-t-il apparemment de parti paravent de pouvoir ? Est-il toujours ce parti de travailleurs, de fellahs, d'ouvriers, voire de la grande masse avant-gardiste ? Serait-il ainsi transformé en instrument de destruction idéologique ne conservant pour l'apparat que ce sans quoi il disparaîtrait à jamais, les constances nationales ? Ce parti ainsi devenu, n'a plus rien à voir avec le Père, ce précurseur de l'idée nationale, catalyseur de la libération populaire, cette source lumineuse et abreuvante du sentiment d'appartenance à une culture et une civilisation.

La polygamie partisane

L'élan que prirent les évènement d'octobre aurait pu inspirer les quelques «accrocheurs d'affiches» et les «décrocheurs» de titres et d'avantages à sauver le grand idéal que contenait ce sigle en le remettant fier et vainqueur à ceux qui le méritent. Sa place n'est pas dans un musée, mais chaleureusement dans la profondeur du cœur de chaque Algérien sans exclusive. C'est un héritage communautaire incessible. Au lieu de cela, ces équipiers de poker immobilistes l'utilisaient à outrance pour la pérennité des profits, jusqu'à l'avènement d'une menace importante qui a failli agir dramatiquement sur les fondements mêmes de la nation. L'évolution bat toute révolution. Le transfuge devient une tactique du sauve-qui-peut.

Tout semble nous inciter à ne plus croire en des idéaux, si émérites et nobles soient-ils, car malmenés et bafoués par la putréfaction et la salissure de certaines personnes de partis qui persistent à croire quand même à la crédulité citoyenne et à la naïveté populaire. Par essence, le parti se définit comme un appareil légal d'obtention et d'accaparement du pouvoir d'une façon légitime qui ne prête à aucune confusion. Ses militants sont les gouvernants en cas de victoire. Le cas contraire, l'opposition active et légitime aussi en est leur citadelle. Or, par médiocrité et par sournoiserie, ce n'est plus de la sorte que fonctionnent nos partis. La cohabitation politique est chez nous une polygamie organique.

Un vieux réflexe est toujours visible

Le vieux parti croit avoir redécouvert une certaine puissance à même de le replacer, sinon le réaffirmer comme première force politique du pays. Fort de ses ministres, de ses élus nationaux et de ses présences locales, il croit diriger la vie politique intérieure tel un vrai centre résolutif. Face à ses concurrents il montre la patte dure, face à ses alliés naturels il exhibe sa prédominance.

Il est dit qu'un parti n'est grand que par la grandeur de ses idées, de ses hommes et de sa dynamique à pouvoir changer les situations. Il ne l'est pas par la multitude de la foule qui l'encense. Lorsque l'exagération devance le bon sens d'unir le mythe à la réalité, le parti vacillera d'un rebord à l'autre. En dehors d'un appui contenu dans une constance rien n'est apte à déraciner les causes d'une crise multidimensionnelle. Un parti reste fort par son action sur le destin du peuple et la mobilisation de ses éléments. Sa force n'est pas dans les glaives à couper les têtes qui s'opposent ou dans l'arrangement des intérêts contraires à ses principes.

La présence structurelle du parti semble donner entre deux échéances électorales l'impression d'une simple existence d'un néant et de l'illusion de la coquille vide. Et ce sont toujours les coquilles vides qui font le plus de bruit. C'est à l'orée de ces échéances que l'on s'aperçoit d'un mouvement qui agite toutes les directions partisanes et met en ébullition ceux qui se frottent les mains de pouvoir y être retenus. Les législatives de 2017 sont pour demain et les profils se dessinent déjà. Toute l'assiduité, la discipline et l'obéissance sans échec de certains «militants» qui remplissent les salles, ovationnent à tue-tête chaque fois que le SG les rassemble, ne le font que pour attirer son attention et lui exhiber leur ardente disponibilité à servir les premières cases des futures listes électorales.

Pourquoi toujours ce parti et non pas les autres ?

C'est qu'il est ancré dans les mentalités irrésistibles à tout changement. C'est cette forte adhérence populaire incrustée dans le citoyen qui n'arrive pas à séparer le FLN au sens actuel de la charge historique du pays. Il s'y confond profondément.

Le RND sera, croit-on comprendre, l'éternel fils adoptif, fugitif et parfois rebelle. Les autres insignifiants jouent un rôle de garniture avec toutefois une pincée de bonne volonté à vouloir changer les choses. Ils sont d'emblée discrédités. C'est dans la conscience sociale que l'on a semé cet injuste sentiment que personne autre que le vieux parti n'est capable d'avoir les rênes de la nation. Que lui seul reste le dépositaire légitime et sans faille des lettres de noblesse de tout un peuple, de toute une histoire, de toute une épopée.

La distinction morale est le premier indice d'une solvabilité nationale, elle est un besoin préliminaire dans tout vœu de chasteté et de droiture. Il n'y a plus de militants dans ces organismes structurés. Les militants sont ailleurs. Dans la quotidienneté des aléas et de la fatalité. Rares sont ces partis qui arborent, au sens idéologique, l'envie de mener lutte et combat pour un idéal. On voit apparaître sans ambages l'envie de réussir là où, pour réussir, il faudrait un minimum de répondant. Ainsi, la victoire ne sera qu'au bout de quelques échecs. Le militantisme est une ferme croyance, pleinement engagée dans la réalisation, sans contrepartie, d'un idéal commun. La discipline étant dans le parti, une autre forme de lutter contre ses propres penchants, lorsque les dérives viennent à écarter l'acte du militant de l'éthique générale, sensée l'animer. A-t-on vu des maires ou des élus, écartés d'une manière ou d'une autre, faire objet à un conseil de discipline du parti avec la possibilité du droit à défendre ses positions ? Le plus souvent, quand c'est le cas, c'est à la justice de servir de filigrane à une décision d'exclusion des rangs.

Pourquoi pas moi, le député ?

Le pays vit à une humeur électorale qui n'a pas encore levé les équivoques qui caractérisent un lendemain enchevêtré. Les élections auront certainement lieu aux conditions nouvellement légales que se sont fixées les parlementaires actuels. Le mécanisme, maintenant bien huilé d'un système qui va encore réussir, ne fera qu'exacerber les convoitises des tenants de la rente liée aux mandats renouvelables. L'on se prépare. L'on se sangle déjà dans ses costumes galvanisés et l'on montre ses allégeances publiques tout en attendant l'heure décisive. Les réseaux sociaux se prêtent à merveille pour vendre une belle photo ou poster un flatteur et obséquieux commentaire à l'adresse du chef du parti.

C'est à chaque station électorale que l'on s'apprête à vouloir dire tout bonnement, pour une élection pourtant chronologiquement à temps, que celle-ci est différente, particulière. Sinon que la conjoncture n'est pas identique. Et encore les jeunes seront appelés à la rescousse, toujours en faisant allusion à la garantie leur avenir. Les jeunes que l'on draguait en 1990 sont des seniors aujourd'hui. Leur avenir est hypothéqué par ceux-là mêmes qui leur miroitaient comment dessiner le leur. Ces jeunes-là s'emparent dans le mirage des vagues et l'aperçoivent, tentant de l'appréhender dans les horizons toujours insaisissables de la haute mer. Ce personnel actuel qui veut encore mandat sur mandat ne survivra pas à ce qui évolue en silence. On ne se souvient de ces jeunes que lors de la rédaction grégaire des programmes électoraux. Ils font la trame centrale de tous les plans d'action. Ils sont l'âme des campagnes, le noyau des propagandes.

2017. De nouveaux visages, mais qui ne sont pas entièrement neufs

Si l'électorat se renouvelle, le candidat est presque immortel. Personne parmi celles et ceux qui sont à l'orée de leur «séjour quinquennal» ne semble preste pour quitter les bancs et la tribune d'une gloire sans notoriété. Le temps, la grisaille, l'oisiveté et le remord seront là, pour les accueillir bredouilles et sans auréoles dans un retour mesquin et usuel. Fini la pêcherie. Fini les prises en charge et les requêtes de coulisses. Chaque législature semble en maudire une autre. La meilleure reste toujours celle à venir, forçons-nous d'y croire. Nous verrons, en 2017, peut-être, de nouveaux visages, mais qui ne sont pas entièrement neufs. Il se pourrait bien qu'ils aient déjà à avoir agi dans les périphériques systémiques. Nous verrons venir un nouveau langage, dans une vieille peau. Un nouveau sourire dans une ancienne rengaine.

L'on sent depuis peu que des mains froides et aigries se frottent et des fronts plissés se dérident juste à l'émerveillement du dépôt de candidature. Certains se tapissent à l'ombre d'un parrain, d'autres se cramponnent au devant des frontons partisans. L'espoir démesuré frôlant parfois l'ivresse reste intact chez les plus hardis, les plus audacieux. Les sans-valeurs. Si les uns, peu nombreux, comptent sur ce crédit d'ancienneté dans les rangs d'un parti, sur cette assiduité, cette discipline, cet engagement désintéressé, ce volontarisme rarissime et exceptionnel en ces temps d'enjeux, les autres comptent déjà les liasses et préparent les malles pour l'encaisse.

Entre l'argent et le militance, il n'y a qu'une frontière. Le cœur. Une démarche électorale présumerait la présence de deux acteurs. Un candidat et un électeur. Il n'y a que l'exaltation du candidat. L'autre partie se sent complètement éloignée, voire non concernée. Personne ne persuade personne. Si conviction il y a, elle est loin d'être politique ou idéologique. Tout est illusionné. Une maline perception nationale est répandue ! La foi s'est rompue en d'innombrables fractions dont il est difficile d'unir les moindres morceaux. Avec une Algérie qui se fait et se refait encore et encore, nonobstant le long chemin à parcourir, l'espoir comme une pathologie est obligé de côtoyer la bonne espérance de vie qui se pratique. Vivons pour voir !