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Disgrâce présidentielle

par Abdelhak Et Yacine Benelhadj

Dimanche, 31 janvier, l'Elysée annonce que F. Hollande avait accordé (avec les précautions d'usage) la grâce demandée par son avocat et ses filles, à Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison pour le meurtre de son mari violent.

Le 3 décembre, la Cour d'assises du Loir-et-Cher avait confirmé, en appel, la condamnation à 10 ans de réclusion de la mère de famille, reconnue coupable d'avoir tué son mari de trois coups de fusil, dans le dos, en 2012, après 47 ans d'enfer conjugal.

Vendredi 29, le président avait reçu ses filles à l'Elysée et les avait assuré de son écoute et de sa compréhension.

La grâce est une relique du passé monarchique de la France, en usage, depuis 1848, de l'époque où l'éphémère Président Louis Napoléon Bonaparte se préparait à troquer la République contre l'Empire. L'article 17 de la Constitution de la Vème République autorise le président de la République à exercer le droit de grâce. Le président se place aux côtés de Dieu, par-delà les juges et la justice ordinaire, rendue au nom du peuple.

Sans doute, les violences subies par cette mère invitent à la sympathie (au sens premier du mot). Mais la justice s'est, toujours, défiée des bons sentiments, des passions communes ou de la compassion à bon compte. C'est pourquoi, elle est statufiée, dans toute son impartialité, un bandeau sur les yeux.

Un président est là pour faire le lien entre la population et le peuple, entre le pays et la nation, entre le coeur et le droit.

C'est d'autant plus surprenant que ce président avait, longtemps, dénoncé l'exercice de la grâce présidentielle. Comme naguère son alter ego socialiste qui criait au « coup d'Etat permanant » avant de s'accommoder, confortablement, en mai 1981, de la Loi suprême qu'il vouait avant aux gémonies.

En accordant sa grâce à cette malheureuse, coincée entre le martyre et le meurtre, ce président qui bat des records d'impopularité est tombé dans le plus banal des pièges politiques.

Entre vendredi et dimanche (l'annonce faite aux vêpres, avant le « 20 heures » le présume) ses Spin Doctor ont dû consulter les oracles et commander les sondages, lui ont, probablement, prédit de bons indices de popularité, lui dont la notoriété est indexée sur les émotions, le malheur et la barbarie. Les ennemis habituels de la raison politique. Les amis des gouvernants en déshérence.

Il est un fait qu'après Charlie, en janvier 2015 et le Bataclan en novembre, Hollande a perdu, aussi vite, les points de popularité qu'il a gagnés et retrouvé ses scores d'avant les attentats: « très mauvaise opinion » entre 74 et 75%. L'étiage, surtout, auprès des sympathisants de gauche.

On aurait tort de croire que seule la France souffre de ce genre de dérives.

La vie internationale que l'on imaginait plus paisible après la fin de la Guerre froide, n'est plus qu'illusions.

La violence entre les nations et dans chacune d'elles a redoublé d'intensité.

La loi du Talion, la loi du plus fort, pèsent sur le droit et sur la justice. La loi de la force l'emporte, de plus en plus, sur la force de la loi.

Septembre 2013: la foule hurlait, à Nice, la libération d'un bijoutier qui a tué un braqueur d'une balle dans le dos. La légitime défense n'a pas été retenue. Alors que la page Facebook, en soutien, au bijoutier dépassait les 500.000 «likes». La rue et les médias se substituent aux tribunaux: instruisent, condamnent et exécutent.

Le bon prince du haut de sa charge « gracie », créditant la présomption de légitime défense.

Darwin porte à tort le symbole d'un monde impitoyable déserté par l'équité. Le nombre de pauvres s'accroît, à la même vitesse que se réduit celui des milliardaires qui gouvernent, réellement, le monde. Ce qui relativise, largement, la portée du vote des citoyens ainsi que le caractère « libre et démocratique » des nations qui s'en proclament.

Est-ce pourquoi les taux d'abstention s'accroissent partout, de scrutin en scrutin.

A la veille du Forum économique mondial (WEF), qui débutait, mercredi 19 janvier, à Davos, en Suisse, l'ONG britannique Oxfam a publié un rapport stupéfiant intitulé « une économie au service des 1% » : le patrimoine cumulé des 1% les plus riches du monde a dépassé, l'an dernier, celui des 99% restants. L'ONG a calculé que « 62 personnes possèdent autant que la moitié, la plus pauvre de la population mondiale », soit 3,6 milliards de personnes, alors que « ce chiffre était de 388, il y a 5 ans ».

Un redoutable potentiel de violences. De part et d'autre de la Méditerranée, les victimes de l'économie prédatrice mondialisée se toisent en chiens de fusil. Pourquoi ne pas envisager, comme jadis, de nouvelles guerres des gueux?

Mauvais calculs

F. Hollande se méprend. Dans l'adversité, les Français se rassemblent autour de leur président et de la République, non autour du locataire de passage à l'Elysée. Ces nuances échappent aux professionnels patentés de la com'.

La grâce qu'il a eu la charité d'accorder à une femme blessée par la vie, il n'est pas sûr que les Français la lui concèdent en 2017.

Quoi qu'il fasse, il aura été une erreur de casting. (C'est ce que pensent les Français, à chaque consultation électorale depuis 2012, opinion confirmée, à chaque sondage, qui le place, en dernier sur la liste des candidats, en cas de Primaires à gauche.)

Ce fut le sort de celui qui l'a précédé et, probablement, aussi, de celui qui lui succèdera.

La seule justice, dans un Etat de droit que les Français attendent qu'on leur rende, est celle qui préserve conjugués un avenir, raisonnablement prospère pour leurs enfants et pour leur pays.      La seule dignité, la seule équité, constamment oubliées, peu ou prou, par tous les gouvernants qui se sont succédé, depuis la fin des «Trente Glorieuses».

Aussitôt élus, aussitôt amnésiques.

Aussitôt autistes.

D'où la brièveté de leur état de... grâce.