Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'inutile repentir

par Slemnia Bendaoud

Tels des objets devenus inutiles, flottant tristement à la surface de l'eau, d'anciens hauts commis de l'Etat sont par vagues successives rejetés par le furieux courant du fleuve de l'ancienne/nouvelle gouvernance de la république qui continue pourtant de charrier ses vieux grabataires-locataires ainsi que d'autres anciens gardiens de son temple.

Pareils à ces enveloppes vides de sens qui indiquent ces identités dans le temps chichement et somptueusement créditées, ils jonchent les trottoirs après avoir longtemps attendu dans l'isoloir de ces couloirs d'un très obscur pouvoir qui s'en lave définitivement les mains, leur intimant du doigt tendu la direction des poubelles de l'histoire.

Semblables à ces vermoulues oranges, ayant depuis lors totalement viré vers la forme et le goût citron, ils quittent, la tête basse, le premier peloton, refusant de regagner la très longue file populaire, rechignant de fusionner ou de se fondre au sein de la foule, pour avoir longtemps renié leurs origines et goûté à ce pain blanc qui les rangeait en toutes petites rangées parmi les plus nantis de la nation.

Comme des chevaux de trait incapables de continuer leur long trajet, ils marquent tous le pas et cet obligatoire ou tout imposé arrêt à l'effet de reprendre leur souffle, se refaire une nouvelle santé et espérer reprendre une bonne place au sein de ce train rapide qui passera tout à l'heure à vive allure par la contrée.

Telles des feuilles végétales bien mortes, au crépuscule de leur vie et à la pointe de la saison de l'automne de l'année qui s'annonce imminente, ils sont à contrecœur, contraints de laisser leur place à plus opportunistes ou plus zélés qu'eux, au sein de ce grand arbre du pouvoir, obligé de temps à autre de se trémousser afin de donner au peuple l'illusion d'opérer son toilettage d'usage.

Dans la peau de ce qui reste encore d'un citron trop longtemps pressé, ils seront tous déclassés et ensuite chassés de leur perchoir, jetés en pâture, en pleine nature, à ces rôdeurs de baroudeurs radoteurs et autres grosses gueules qui en feront leur épilogue ou fretin de discours blagueur d'une gouvernance, tout le temps étrillée pour leur avoir désormais longtemps tourné le dos.

Dans un sursaut d'orgueil, ils essaient de changer d'habit et de rapidement réinvestir avec ce train du cours de la vie qui les avait des années auparavant ou juste à l'instant déposés à l'arrêt, laissés pour compte, oubliés sur le parvis, ignorés à jamais, faisant semblant de ne les avoir jamais comptés dans l'effectif de ses nombreux wagons et continus bataillons.

Dans leurs soubresauts, ils s'inventent cette autre marche afin d'emprunter une toute autre démarche, changeant occasionnellement de chemin à prendre et d'actions à entreprendre, espérant faire encore l'actualité pour tout juste forcer la main aux décideurs du moment pour un beau jour les appeler au téléphone et de leur proposer quelque chose à mettre sous la dent au cours de leur longue période d'hibernation, de disette et de grande période d'oubliette.

En de véritables ou d'éternels auto-stoppeurs d'un pouvoir qui les a planqués sur le carreau, lâchés par de subtils lâchers, virés en indésirables commis, ils lèvent bien haut la main -en signe d'une grande détresse- à la recherche d'un salutaire secours dans la toute osée et mesquine humiliation dévolue à nos dépités députés, tout en gardant bon espoir et un œil scrutateur épiant à l'horizon.

Autrefois triés sur le volet, ils ne comptent de nos jours que pour de simples alibis ou mêmes vulgaires valets d'un pouvoir désormais aux aguets et contre lequel ils s'insurgent ou s'attaquent de front, faute de ne pouvoir encore en faire partie, pour d'obscures raisons dont ils ne voient même plus l'utilité d'en parler publiquement.

Désormais flanqués de leurs faux costumes de ces tout nouveaux prolétaires, ils aspirent volontiers tous porter encore cette tunique étatique pour laquelle ils font tous ces rêves impossibles et très bouleversants qui les clouent au pied de leur lit pour de longues heures dans leurs maudites nuits d'insomnie, à voir défiler ces séquences de leur vie de grands commis de l'Etat qu'ils furent il n'y a si longtemps, si élégants et très puissants.

Plutôt que de prier le Bon Dieu pour avoir été sauvés par ce système dont ils ne vouent et ne lui louent plus les mêmes qualités et grands mérites, ils lui tirent dessus pour les avoir privés de parler en son nom ou de le représenter à ces forums et autres prestigieuses cérémonies très officielles.

Et même nantis de tous ces nombreux avantages liés à leurs anciennes fonctions, ils se voient toujours dans la peau de cette victime, privée de faire encore partie de cette pièce de théâtre jouée devant la cour des grands de ce monde de la politique de haut niveau.

En indésirables individus dans les deux camps, ils tentent de se refaire une possible seconde virginité en se faisant dorénavant cet avocat commis d'office et gratuitement au profit de cette basse et autrefois maudite société, faisant dans cette savante opposition, une fois que les portes du grand temple se sont refermées sur elles-mêmes, ne leur laissant aucune issue ou interstice d'y faire une possible intrusion ou une quelconque rusée incursion.

En réserve d'une ingrate et scélérate république, sinon carrément jetés aux oubliettes d'une histoire qui les exclut des grandes faveurs du huppé podium, ils veulent tous à un âge aussi avancé proposer à nouveau leurs services afin de tout juste refaire surface parmi ces producteurs d'idées géniales et très futuristes.

Ils broient tous du noir mais gardent tout de même ce tout nécessaire espoir, de nature à les envoyer triturer si souvent toutes ces anciennes mémoires génératrices de ce renouveau longtemps attendu, seule issue à leur terrible calvaire et inévitable purgatoire du moment.

Vautrés dans leur moelleux fauteuils, ils continuent toujours de tracer ces autres trajectoires dont le schéma obtenu les font douter de toutes leurs connaissances et grande expérience acquises sur le terrain des opérations, puisque longtemps tenus à l'écart du progrès de développement de la science et des nouvelles techniques de communication.

Trop longtemps mis sur le trottoir, ils rêvent tous de prendre un jour la route en Grand Seigneur à bord d'une véritable limousine qui mettra dans le vent tous ses nombreux concurrents, très jalouse de redorer enfin son blason et de jouir à l'envi de tout ce fastueux pouvoir qui lui manque énormément.

Maintenant qu'ils sont très habitués à cette interminable attente, ils savent tous à partir de quel moment il faut vraiment douter de ce retour de l'ascenseur et finalement perdre tout espoir de refaire de nouveau surface dans la cour des grands commis de l'Etat du moment, persuadés que ces mêmes gouvernants qu'autrefois, appartenant de surcroît à la même génération qu'eux, n'ont jamais changé de mode de raisonnement tout comme celui de la désignation des gens à ces hautes fonctions étatiques stratégiques.

A présent, une seule alternative s'offre à eux : le repentir, à l'image de celui propre au terroriste dont ils développaient ces longs discours qui en faisaient l'éloge, afin de tout juste retrouver bonne place parmi ce peuple qu'ils menaient hier encore à la baguette.

De cette situation qui dure encore dans le temps, ils s'en offusquent, s'inquiétant très sérieusement de leur devenir. Pour avoir à toucher des pieds ce terre-plein de la misère du commun des mortels, ils touchent tous du bois, revendiquant cet ascenseur du pouvoir, tout à l'heure ou des années auparavant, raté par inadvertance ou simple malchance.

A ce peuple d'en bas, se battant encore dans sa misérable vie de chien, qu'ils narguaient du haut de leurs autrefois tout puissants ergots, ils leur proposent ce repentir à la tire, enveloppé dans ce mentir-vrai ou véritable mensonge dont ils ne peuvent malheureusement s'en séparer pour avoir à être trahis par son réflexe qui leur colle à la peau, même dans cette position en retrait de ces projecteurs qui leur traçaient autrefois les contours de leur portrait quotidien.

Aujourd'hui, ils osent ! Ils proposent ! Ils inventent ! Ils s'invitent tout de go à ce débat où ils veulent tenir le rôle de véritable animateur. Ils parlent enfin à leur peuple ! Non pas de leurs nombreux et très sombres méfaits et inadmissibles erreurs commises à son préjudice. Mais de celles du pouvoir en place qui les exclut de ses illimitées et imméritées grâces !

Ils se remettent donc à causer ! Non pas derechef et en autoritaire chef ! Mais en véritable sage, nanti de cette observation très aiguë qui porte vraiment au loin et trace la véritable trajectoire salutaire de demain.

Ils ont plein d'idées à faire mûrir qu'ils souhaitent vivement partager avec le commun des mortels, au contraire de ce grand confort dans lequel ils vivent, payé rubis sur l'ongle par le contribuable grâce à ce flot continu de cette énergie fossile qui coule à Hassi Messaoud et autres contrées sahariennes, restées depuis leur époque en marge du développement.

Ne pouvant tous constituer des partis politiques à la mesure de leurs osées ambitions ou farfelues prétentions, sinon se refusant d'être parrainés ou même supplantés par leurs anciens subordonnés, ils cherchent après cette issue de secours qui les expurgera de leur inextricable position d'inconfort du moment afin d'être de nouveau propulsés au devant de la scène politique nationale.

Arrivés tous au bout du rouleau, ils cherchent encore après du boulot, non encore rassasiés de toutes ces trop épaisses liasses d'un autrefois valeureux dinar qu'ils ont foulé au pied pour ne compter plus que pour une monnaie de singe, à un moment où les économies de la rente pétrolière planent très haut dans un ciel radieux et très prometteur.

Le plus beau de tout est que ce sont ceux qui décrétaient autrefois avec arrogance, solennité et grande foi ces obsolètes et très désuètes lois d'une république réduite désormais à une vulgaire relique d'une piteuse gouvernance envers la quelle ils se montrent désormais les premiers pourfendeurs d'un régime voué à végéter dans les profondeurs abyssales des Etats les plus pauvres de la planète.

Très conscients que le vent a plutôt changé de direction, ils se placent dans le subtil et très utile espace de sa grande mouvance, quêtant qui une seconde virginité, qui encore de nouvelles affinités politiques, qui même une toute autre aventure, malgré le poids des années de service et les bruits des casseroles qu'ils traînent et dont l'écho se propage déjà à l'horizon.

Ils font tous dans ce faux-semblant de se disculper aux yeux de leurs si dociles administrés, ruminant à l'envi leurs scabreux projets de les mener de nouveau en bateau afin de se venger contre ce mauvais sort qui leur aura mené la vie dure durant toute cette longue période d'inactivité politique sidérante et très frustrante. La raison ? En fins limiers calculateurs, grands génies de la prospective, ils savent que le bus va droit dans le mur, que le train part dans le vide, que le navire chavire et risque de cogner le rocher, que les temps sont vraiment durs et que l'opportunité à de nouveau se replacer sur l'échiquier politique national est désormais une donnée tangible, inéluctable.

Raison pour laquelle ils sont tous obnubilés par cette lueur qui se profile à l'horizon de faire enfin dans cet inutile repentir, désirant presque tous abandonner à jamais cette très honteuse folie des grandeurs qui les dessert aux yeux de l'opinion publique plus qu'elle ne sert le pays ou même leurs propres et sordides intérêts.

A vouloir user plus que de raison de cet inutile repentir, celui-ci les décrédibilise à nouveau et les rend encore plus vulnérables qu'ils le furent autrefois ! Et pour cause ! Ils avaient déjà choisi leur camp.