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Réflexion sur quelques mesures tendant à protéger la production nationale et la rationalisation des dépenses publiques

par Mahi Khelil *

La chute du prix du baril de pétrole dont la dégringolade risque de s'accentuer davantage à amener le gouvernement algérien à modifier sa politique économique afin de protéger l'entreprise algérienne productrice de biens, seule capable de préserver l'emploi.

Dans le cadre des objectifs que se sont fixés les pouvoirs publics, à savoir la protection et l'encouragement de la production nationale , le soutien aux entreprises de production et créatrices de richesses, notamment la petite et moyenne Entreprise (PME-PMI), la réduction des importations et transfert des devises , cette contribution tend à proposer une série de mesures législatives fiscales et financières, allant dans le sens de la promotion du développement économique du pays:

I/ MESURES EN FAVEUR DES ENTREPRISES PRODUCTIVES.

1/ l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS).

La loi de finances pour 2015 a unifié le taux de l'impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) à 23%, et ce, quelle que soit l'activité, contre deux taux fixés précédemment : 19% pour les sociétés de production de biens, bâtiment, travaux publics et tourisme, et 25% pour les activités de commerce et de services.

Cette décision de fixer un taux unique de l'IBS, en majorant celui des activités de production et réduisant le taux appliqué au commerce et services, a été perçue, négativement, par les entreprises productrices de richesse et créatrices d'emplois, et considérée comme discriminatoire et décourageante à l'égard du secteur productif et de l'investisseur, comparativement, à celui qui achète ou importe des marchandises et les revend en l'état, sans contraintes, se contentant, parfois, d'un numéro d'appel sans plus?

Aussi, soumettre les entreprises productives au même taux d'imposition que les activités de l'importation pour la revente en l'état, constituerait une injustice fiscale, car les deux activités n'ont pas les mêmes difficultés et charges et ne produisent pas les mêmes effets, et résultats pour le développement de l'économie nationale. Le fait que le ministère des Finances avait soutenu, au moment de la proposition de la mesure comme procédure de simplification et que l'unification du taux de l'IBS et la taxation de revenus à ce taux, réalisés par une entreprise de production ou d'achat en vue de la revente, n'avaient aucune incidence sur l'entreprise est, à mon sens, dénué de tout concept et d'esprit économique.

Aussi , et pour donner plus de cohérence à la politique économique par les pouvoirs publics, en matière de promotion des activités et secteurs créateurs d'emplois et de plus-values, par des incitations fiscales et parafiscales, il est proposé, en plus des avantages prévus en amont, dans le cadre de l'investissement, ce qui suit :

- Démarquer et réinstaurer des taux d'imposition différents, selon les activités de production de biens d'une part et les activités de commerce et de services et l'activité de l'importation pour la revente en l'état d'autre part.

- Envisager l'application d'un taux réduit, en matière d' IBS, pour les bénéfices réinvestis , et s'il s'agit d'une personne physique, un abattement sur la base taxable.

- Réduire les taxes fiscales et parafiscales pour certains secteurs ou activités à forte valeur ajoutée pour les rendre plus attractifs.

2/ La taxe sur l'activité professionnelle (TAP).

Dans un article intitulé « faut-il épingler la taxe sur l'activité professionnelle (TAP) » publié au journal ?Le Quotidien d'Oran' le?. j'avais avancé les arguments du pour ou contre sa suppression et donné une série de sujétions pour son aménagement allant dans le sens des propositions formulées en ce moment-là par le FCE.

Il y a lieu de rappeler, que cette taxe, datant de l'époque coloniale, a été réaménagée par l'article 21 de la loi de finances pour 1996, comme contribution financière aux collectivités locales ; elle était fixée, au départ, à un taux de 2,55 %. Elle grève le chiffre d'affaires, hors TVA, des personnes physiques et morales.

Actuellement, cette taxe est appliquée à deux taux : un taux général de 2% et un taux majoré à 3%, sur le chiffre d'affaires pour les activités de transport par canalisations des hydrocarbures.

Cette taxe est perçue au profit exclusif des communes, de la wilaya et du Fonds commun des collectivités locales, elle représente entre 70% et 80% de leurs ressources budgétaires, les produits locaux ( revenus locatifs et autres) ne représentent qu'une infime partie ne dépassant pas les 7%. Le produit de la TAP est réparti comme suit :

Si la réduction et non la suppression pour les motifs évoqués ci-dessus, pour raison économique, du taux de la taxe à 1%, par exemple, va alléger les charges pour les entreprises et leur permettre d'être plus compétitives et de maintenir leur capacité d'investir, il n'en demeure pas moins, qu'elle affecterait, de façon significative, les ressources des collectivités locales, notamment celles des communes les plus déshéritées, dont le budget déficitaire n'a pu être comblé que grâce au concours de l'Etat, à travers le Fonds commun des collectivités locales (FCCL).

Aussi, et pour remédier à cette moins-value, l'Etat est tenu de présenter une compensation, et ce, en application des dispositions des codes de la commune et de la wilaya qui disposent « Toute réduction des recettes fiscales ? résultant d'une mesure prise par l'Etat, portant exonération fiscale, réduction des taux ou suppression d'un impôt, doit être compensée par un produit fiscal, au moins égal au montant différentiel, au moment du recouvrement. » .

Pour ce faire, il est suggéré d'agir sur les quotités des taxes qui sont réparties entre l'Etat et les collectivités locales, notamment le FCCL ou toutes autres taxes tel que l'impôt forfaitaire unique ( IFU), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et l'impôt sur le patrimoine, ou toutes autres taxes comme la révision de la Taxe Foncière dont l'apport, il faut le reconnaître, au budget de la commune est, actuellement, très insignifiant au regard du très important parc immobilier.

II/ MESURES POUR LA REDUCTION DE LA FACTURE DE L'IMPORTATION

Dans l'objectif de réduire la facture des importations et les transferts de devises, et d'encourager la production nationale, il est préconisé ce qui suit:

1/ Mode de paiement des importations.

Pour réguler et encadrer le flux des importations, les pouvoirs publics ont institué par la loi de finances complémentaire pour 2009, le crédit documentaire comme seul mode de paiement des importations.

Cette mesure fut réaménagée par les lois de finances pour les années 2010, 2011 et 2014 et la remise documentaire a été admise comme second moyen de paiement.

Toutefois, malgré ces réaménagements le volume des importations n'a cessé de croître, et la facture des transferts a atteint des seuils inquiétants.

En effet , le bilan des cinq années d'application du « CREDOC » a démontré les limites de ce mécanisme qui n'a pas atteint les effets escomptés, en tant que moyen de contrôle et de traçabilité des importations, d'une part, et d'autre part, son inefficacité à juguler l'importation anarchique et même frauduleuse. Il s'est, également, révélé très coûteux pour l'Economie nationale, d'autant plus, qu'il ne constitue, nullement, un gage sur la conformité des marchandises importées, ou une garantie pour qu'elles soient, effectivement, livrées.

Aussi, et afin d'optimiser les dépenses en devises, et endiguer les importations superflues, et éradiquer les pratiques frauduleuses, il est proposé ce qui suit:

- Instaurer la remise documentaire (REMDOC) comme seul moyen de paiement pour les importations, tant il obéit à des procédures plus souples, il est plus sécurisé, et présente plus de garanties pour l'acheteur. Le recours au crédit documentaire se fera, à titre exceptionnel, pour certaines activités ou matières fixées, annuellement, par voie réglementaire.

-Taxation des produits non indispensables ou de luxe.

L'importation étant libre de par la loi. Pour réguler les activités d'importation massive et superflue, et réduire la facture des transferts des devises, nous proposons d'agir, directement, sur les importations des produits finis destinés à la revente en l'état, notamment l'importation des produits de luxe ou non indispensables.

Ces produits peuvent être soumis à des taxes additionnelles (Taxe intérieure sur la consommation, taxe additionnelle ou à taux majoré, telle que la TVA à un taux de 21%, taux qui était déjà appliqué avant la réforme fiscale.

De plus ce taux reste dans le domaine du raisonnable, comparativement aux différents taux appliqués, dans les pays voisins et même dans le Bassin méditerranéen.

En outre, il y a lieu de signaler, que la mesure proposée est une disposition interne, elle n'influe, en rien, sur les accords et engagements internationaux de l'Algérie, de plus elle ne touche, nullement, le pouvoir d'achat des citoyens, car elle grève des produits de seconde nécessité, qui seront déterminés par lois de Finances.

- Le taux de change.

Pour une meilleure maîtrise des coûts des importations, nous proposons d'agir sur le taux de change, en le manipulant, le vendre plus cher pour les importations non essentielles pour la production nationale, et le déprécier pour les exportateurs.

Dans ce cadre la Banque centrale doit intervenir sur le marché des changes, pour soutenir le dinar, en élevant « le taux directeur » pour freiner les sorties de capitaux et le réajuster au fur et à mesure de la compétitivité à l'export des produits locaux, hors hydrocarbures.

Cette proposition contribuerait, à moyen et long termes, de réduire et freiner les importations des produits superflus, car devenus plus onéreux, cela inciterait les citoyens à changer leur mode de consommation et substituer les produits nationaux aux biens importés.

Certes, cette mesure doit être soutenue auprès des organismes financiers internationaux, en raison des accords, car les situations urgentes dans lesquelles se trouvent, actuellement, notre pays, en raison de la chute du prix du pétrole, engendrent systématiquement, des mesures exceptionnelles.

Les pays occidentaux n'ont-ils pas eu recours à des mesures draconniennes pour endiguer la crise financière de 2008, provoquée par les surprîmes ?

- Les tarifs douaniers :

Il est indispensable de revoir les tarifs douaniers appliqués, actuellement, étant donné que certains produits et matières semi-finis destinés à la production sont soumis au même tarif douanier que les produits finis destinés à la revente en l'état.

- Les barrières non tarifaires :

Exiger de nos importateurs les mêmes conditions qu' imposent les pays étrangers à nos exportateurs, à savoir : s'assurer, avant tout paiement des produits et transfert des devises, de la conformité de la marchandise, ainsi que la conformité sanitaire des moyens de transport et le contrôle des conditions de transport, notamment pour les produits périssables ou alimentaires.

Interdire ou contingenter l'importation des produits fabriqués ou cultivés localement, à l'instar des mesures prises par le gouvernement pour l'importation des médicaments. Cette mesure aura un double objectif : réduire les importations et protéger la production nationale.

Relever les frais de domiciliation bancaire pour les opérations d'importation des produits finis destinés à la revente en l'état, et les produits de luxe. Interdire l'importation de tout produit prohibé à l'étranger pour des raisons de santé, sécurité?

III/ MESURES POUR ENCOURAGER LES EXPORTATIONS.

Dans le cadre de soutenir les exportations et faciliter et alléger les procédures en la matière et promouvoir le produit algérien, nous proposons ce qui suit :

- Assouplissement des mesures relatives au rapatriement des recettes des exportations, en prorogeant les délais fixés par la Banque d'Algérie à (180 jours), jugés trop courts par les exportateurs.

- Revoir les sanctions pénales appliquées aux exportateurs, pour retard ou défaut de rapatriement des recettes. En effet ces exportateurs sont soumis aux mêmes peines et mis sur le même pied d'égalité que les trafiquants de devises, qui transgressent, volontairement et en connaissance de cause, la loi sur le contrôle des changes. Ils transfèrent, illégalement, vers l'étranger des sommes faramineuses, acquises de façon illicite, dans le cadre du blanchiment d'argent ou les activités informelles.

- Redynamiser le projet du guichet unique pour les exportateurs, et initier, dans les plus brefs délais, les textes réglementaires y afférents, à l'instar des mesures prises au profit des investisseurs.

- Promouvoir les activités de prestation de services génératrices de devises pour l'Economie nationale, notamment en prorogeant la période d'exonération de (IBS), prévue par l'article 138-4 du code des Impôts directs, au profit des agences de tourisme et de voyages et les établissements hôteliers et thermaux.

- Encourager les activités de transformation des produits avant leur exportation, et ce, en interdisant ou en encadrant l'exportation des produits ou matières brutes.

- Consolider le couloir vert pour les producteurs, aussi bien, à l'importation qu'à l'exportation.

IV/RATIONNALISATION DES DEPENSES PUBLIQUES.

Pour une meilleure maîtrise des dépenses publiques, qui connaissent un accroissement constant, depuis des années, induisant, par la même, une aggravation du déficit budgétaire, sans pour autant atteindre pleinement les objectifs et les résultats tracés par les pouvoirs publics, nous réitérons les remarques, recommandations et propositions faites par les différents organes de contrôles, notamment le contrôle parlementaire.

Les recommandations se résument comme suit :

- Accélérer la mise en place de la réforme des finances publiques, en libérant le projet de loi organique relative aux lois de finances.

- Activer la mise en place du nouveau système budgétaire, pour une meilleure transparence des processus budgétaires et suivi et contrôle des dépenses publiques.

- Activer la réforme de la fiscalité locale et prendre en compte les recommandations de la Journée parlementaire, sur la fiscalité locale.

- La mise en place des recommandations faites par la Commission des Finances et du Budget, lors de la Journée parlementaire sur « l'entreprise algérienne face à la banque, réforme et défit ».

- Une meilleure maîtrise des crédits affectés à l'action sociale et l?action économique soutenues par l'Etat, et ce, à travers la mise en place des mécanismes plus performants de suivi, de contrôle continu et d'évaluation périodique des différents dispositifs et mesures, afin de vérifier leur opportunité, efficacité et efficience, et remédier, le cas échéant, aux anomalies et obstacles constatés

- Plus de rigueur dans la gestion et l'exécution des dépenses d'investissement.

En effet, les opérations d'équipement ont été caractérisées par une multitude d'insuffisances et de lacunes, notamment lors de leur inscription. Elles se font, parfois, dans la précipitation et sous la pression de la conjoncture, sans qu'elles soient, suffisamment, maturées et réfléchies ; ce qui n'a pas été, sans conséquence, sur leur réalisation, dans les meilleures conditions de coûts, délais et efficacité.

Cet état de fait s'est traduit par le manque de célérité dans le lancement des projets inscrits, les réévaluations récurrentes des opérations d'équipement, les prorogations incessantes des délais de réalisation, l'absence et la défaillance dans le contrôle et le suivi de l'exécution des opérations d'équipement ( projets abandonnés, projets à l'arrêt).

- Réduire les charges de l'Etat en déléguant la gestion de certaines prestations telles que la restauration, l'entretien des bâtiments, la maintenance des équipements, notamment dans les secteurs de l'enseignement, l'éducation et la santé.

* Ex président de la Commission des Finances et du Budget ?APN- Ex ministre des Relations avec le Parlement