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Poutine, l'homme à la poigne de fer

par Kamal Guerroua

Vladimir Poutine est-il l'homme fort de l'Europe? Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, les données géostratégiques tendent à confirmer ce constat.

L'homme joue sur plusieurs fibres : il dérange, il fait peur, il multiplie les provocations, il séduit. De l'ancien chancelier allemand Gerhard Schröder à l'actuel Premier ministre grec Alexis Tsipras, en passant par les extrêmes droites européennes et les foules du monde arabe, Poutine aura conquis les cœurs et s'est façonné une image de leader charismatique. En ce sens que le parti pro-russe grossit de plus en plus en Europe et dans le reste du monde en même temps que l'Amérique d'Obama se complait dans une politique d'attentisme et de prudence.

D'aucuns d'ailleurs s'interrogent si l'isolationnisme des U.S.A de ces dernières années est une option stratégique ou une obligation de réserve des démocrates de la Maison Blanche sur le domaine intérieur, axe principal de leur politique. Absents en Libye, au Sahel, en Syrie et en Egypte où, au départ, ils ont soutenu dans le sillage de la révolution du Jasmin, les frères musulmans de Morsi, les américains continuent de battre en retraite, en assumant un leadership de second plan«leadership-leadingfrombehind» (frappes militaires franco-britanniques de l'Harmattan contre El-Gueddafi en 2011, opérations Serval et Sangaris menées en 2013 par la Francecontre AQMI au Mali et pour rétablir la paix après la fuite de François Bozizé en Centrafrique, etc.,) quand les russes, eux, prennent les devants, en amputant en 2008 la Géorgie de deux régions (L'Ossétie du sud et L'Abkhazie). Ils ont aussi annexé la Crimée en mars 2014 et ont actuellement mêmedes visées sur l'est de l'Ukraine. De plus, ils sont très actifs en Syrie, en Egypte et comptent avec les chinois parmi les soutiens indéfectibles du régime des Ayatollahs de l'Iran.

Que mijote Poutine dans sa tête et que se passe-t-il aux « yankees» retranchés dans l'intra-muros? Serait-il question d'un retournement de perspectives et de rôles des grandes puissances dans les relations internationales ? Se dirigerait?on vers le post-américanisme sur fond d'une guerre froide d'un autre genre ? Poutine court-il derrière le syndrome populiste du castrisme et du chavisme latino-américain, fédérateur des peuples contre l'impérialisme américain ou n'agit-il qu'en fonction d'une certaine nostalgie des grandeurs de l'ex-URSS qui remonte à l'époque de la guerre froide (1945-1990)?En tout cas, dans ce bras de fer avec l'Occident, certains y voient une propension de la direction russe au Poutinisme, une tentative pour la consécration du vieux rêve communisteen un projet euroasiatique, c'est-à-dire, un continent de l'Euroasie qui s'étend de part et d'autre de l'Oural et surtout une volonté de rallier sous le couvert de l'orthodoxie les rangs des pays slaves englobant les bulgares, les serbes, et même les grecs (la solidarité slave contre l'occident et l'hégémonie de l'européocentrisme).

La tactique est simple, Poutine pèse de tout son poids et se pose en père tuteur dès lors que les intérêts de ces pays-là sont en jeu et s'en sert comme une monnaie d'échange dans sa confrontation avec les européens. Le spectre occidental est à chaque fois agité comme un repoussoir de cet ancien «empire du mal » que représentent les U.S.A et ses alliés. A vrai dire, dès son retour aux affaires en 2012, Poutine s'est engagé dans une politique très agressive contre l'Europe, déjà au gouffre de l'impasse économique. Dans la crise syrienne par exemple, il a prêté allégeance au clan d'Al-Assad contre lequel les milices de l'opposition de l'A.S.L (Armée Syrienne Libre), soutenues par la communauté internationale et les chancelleries occidentalesluttent. Ce qui a permis par ricochet le fort ancrage du mouvement islamiste Daesh en Syrie et en Irak, né, au demeurant, à cause de la faiblesse de l'armée irakienne, mal encadrée et mal entraînée par les américains qui s'en étaient retirés en décembre 2011.En conséquence de quoi, l'équilibre de forces dans la région est en effet tributaire des concessions russes.

Or Poutine ne lâche pas le morceau et les occidentaux, craignant une intervention au sol contre Daesh à cause d'abord des dommages collatéraux, le risque de contagion vers la Turquie et l'Iran, le coût onéreux des opérations et la réserve perceptible des américains, hésitent et atermoient l'échéance de toute frappe militaire aussi bien contre Al-Assad, allié stratégique de la Russie que contre les islamistes de Daesh, plus forts que jamais grâce au marché informel du pétrole. Ces derniers en profitent d'ailleurs pour semer la terreur, se livrant à des décapitations d'otages occidentaux ou autres télévisées en direct, le sac des œuvres d'art au nom de la Charia, et s'attirant la sympathie de l'internationale djihadiste (BokoHaram, Jund al-khalifa, Al-Qaïda, etc.). De toute évidence, la destruction de la Syrie et le massacre de 200 000 innocents durant 4 ans de guerre civile des plus meurtrières que le monde ait connues ne suffisent pas, paraît-il, aux européens pour mettre la machine de la guerre en branle contre le dictateur damascène quand ils s'empressent en revanche aux portes de Kiev pour négocier la paix !

En rétrospective, on se rend compte qu'ils ont déjà essayé l'année passée de forcer la main à Poutine dans «le dossier ukrainien»par des mesures de rétorsion « sanctions financières » à l'encontre des hauts officiels du Kremlin, visant l'assouplissement de la politique interventionniste de Moscou. Et puis est venue la spirale de la chute des prix du pétrole et la dévaluation du rouble, la monnaie officielle du pays. Une atmosphère internationale, somme toute, contraignante pour le staff de Poutine. Ce qui n'a pourtant rien changé à la donne. Au contraire, ce dernier gagne de plus en plus l'estime de ses compatriotes, campe sur ses positions et remodèle à sa façon l'échiquier géostratégique planétaire. En revanche, Obama, le récipiendaire du prix Nobel de la paix, semble, à moins d'une année des échéances présidentielles, vouloir effacer les méfaits de la politique interventionniste et guerrière de Bush Junior et esquisser une ouverture vers le monde arabe après son fameux discours du Caire de 2009. Or mettre fin aux séquelles de deux guerres (l'Irak et l'Afghanistan) n'est pas une sinécure d'autant qu'elles étaient menées en dehors de la légalité internationale (surtout pour l'Irak) et avec les mensonges, les erreurs et les dégâts que l'on connaît. Et puis sur un autre plan, Obama mise sur la zone de l'Asie-Pacifique, en lui prêtant main-forte contre les convoitises chinoises après avoir tout fait pour que l'Ukraine rejoigne l'Otan, perspective à laquelle le tandem franco-allemand s'est opposé. Tout au plus, il a normalisé avec le Cuba et s'est montré prêt au dialogue concernant le nucléaire iranien. Ce qui a suscité l'indignation de Netanyahou. Par ailleurs, il a demandé au Congrès de lui accorder 5 milliards dollars pour aider les pays qui font barrage au terrorisme, une façon de se dédouaner intelligemment peut-être de l'interventionnisme de ses prédécesseurs.

Au fait, à part l'aide financière aux nouvelles autorités ukrainiennes, Obama a presque tourné le dos à l'Europe, brillé par son absence à la grande marche de Paris du 11 janvier dernier et laissé sa place vacante à Minsk où le duo hollande-Merkel a conclu in extremisle 14 février dernier un accord de trêve avec Poutine et le président ukrainien Petro Porochenko. Bref, une véritable politique de « chaise vide »qui s'articule sur le pilotage indirect de l'Europe! Mais au profit de qui et pourquoi ? On n'en sait rien. Mais sans l'ombre d'un doute, le grand vainqueur de ce réordonnancement de la politique américaine n'est autre que Poutine qui, accroît de jour en jour sa popularité et étend l'hégémonie de son pays.