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Soins : entre médecine et charlatanisme !

par Slemnia Bendaoud

La santé avant tout, c'est ce que disent souvent ceux ayant eu à affronter une quelconque maladie.

Certains en gardent toujours des séquelles, d'autres, par contre, se rappellent à tout moment ce long périple qui les a conduit à la gué rison, fort heureusement. Mais tous avouent que la santé n'a pas de prix. Le temps et l'argent qui lui sont consacrés, pour l'occasion, dépassent bien souvent tout entendement, vraiment de loin ceux mis à profit pour obtenir le plus précieux des biens ou services, y compris celui parfois afférent au recouvrement de sa propre liberté.

Elle est -tout compte fait- cet investissement si sûr qui dure des décennies. Parfois tout un siècle affranchi de ses nombreuses péripéties, longue histoire et riche répertoire.

Autrefois, on se soignait à la maison ou chez soi, au douar, au sein de la tribu et commune ou de la manière dont on pouvait le faire. Comme faire se peut, pour être plus précis ! Puisque la médecine était peu connue, très peu vulgarisée et valorisée, moins abondamment ou géographiquement répandue, comme c'est le cas aujourd'hui. Le Taleb, connaissant parfaitement les paroles de Dieu, le Coran en l'occurrence et par excellence, ce meilleur texte de tous les écrits confondus, était alors si souvent sollicité pour ces difficiles diagnostics dont la médecine rencontrait pourtant ces inextricables problèmes à pouvoir les afficher, de manière à les rendre palpables au toucher.

Ainsi, devant le manque flagrant de médecin et l'insistance dont il était l'objet, pour un temps ou pour toujours, le Taleb quittait alors, provisoirement ou pour de bon, le territoire de l'école coranique et ses magnifiques versets et légendaires tablettes, pour ce nouveau métier dont il hérite au seul motif d'être lettré, maitrisant en plus parfaitement le message de Dieu et celui de ses Saints prophètes, à l'effet de guérir le mal dont souffrait la population.

Durant les huit longues années de la révolution, c'était la règle. Tout le monde en était bien conscient. Et les amulettes délivrées " en fin d'examen médical " faisaient bel et bien office d'ordonnances en bonne et due forme, accrochées discrètement au coup de l'individu.

Pour tout Taleb faisant office de médecin improvisé, son aura se mesurait habituellement à l'écho que propageaient plus loin la rumeur et l'humeur de ses patients, tout à l'heure ou des mois auparavant auscultés.

Ce fut ainsi que des tribus entières, par manque de moyens, de médicaments et de vrais médecins, s'organisèrent, luttant contre ces maladies multiformes dans l'espoir de retrouver au plus vite : qui sa santé, qui sa fertilité, qui le bon sens ou la raison, qui l'ouïe ou la vue, qui la chance afin de s'éloigner à jamais de la malchance, qui son bien perdu, ou qui encore défiant le mauvais œil, la jalousie et?que sais-je encore ?!

A mesure que le flux de ses patients augmentait, le Taleb se perfectionnait, se spécialisait, s'accommodait rapidement avec cette " potion magique " ou " ce remède-mystérieux " à prescrire et à proposer à ses patients, de plus en plus nombreux et de moins en moins exigeants, au regard de la réputation acquise par le maitre des céans et de la profession.

Et c'est ainsi que différentes spécialités de la médecine apparurent alors en milieu rural allant de l'apprenti-médecin, très sorcier, peu soucieux, du reste, de la santé de ses pauvres patients et de l'apport dont il contribue à leur réelle guérison, à ces charlatans, grands maitres-chanteurs de leurs clients, spoliant leurs " malheureux bienvenus " de leurs nombreux biens et surtout santé physique et morale, objet de leur visite sur ces mêmes lieux.

Parmi ces charlatans, on pouvait compter ceux qui s'étaient intéressés à ces " gris-gris ", à ces sorcelleries relatives à ces folies d'amour, à ces quêtes de fortunes, à ces espérances ou recherches de fertilités et autres encore qu'on ne peut malheureusement encore les citer toutes?

Avec l'avènement de son indépendance, le monde rural algérien, toutes couches sociales confondues, accédait enfin aux soins que prodigue la médecine et ses nombreux bienfaits.

Le monde paysan avait alors ce choix à faire entre continuer à se faire ausculter chez son " médecin habituel et traditionnel " ou alors opter pour celui dit moderne se trouvant en ville ou faisant le tour de ces contrées éloignées du centre urbain en question, une fois par semaine, au sein de ces cliniques mobiles ou dispensaires d'antan pour certains hameaux privilégiés. Les consultations étaient alors gratuitement pratiquées. C'était l'époque de cette mémorable et adorable médecine gratuite pour tous qui a aujourd'hui presque complètement disparu.

C'était ainsi que le monde des campagnes se soignait. Et à mesure que le monde rural se familiarisait avec cette médecine moderne, des médecins privés, bénéficiant d'officines, s'installèrent à l'intérieur de ces cloisonnées contrées, les plus éloignées du pays, défiant cette médecine traditionnelle et surtout l'espace géographique se dressant sur leur chemin et destin.

Bénéficiant de son quota de baraquements juste après le séisme de 1980 ayant frappé de plein fouet la région de Chlef (ex Al Asnam), la toute petite bourgade de Djelida devait donc tout naturellement constituer cette nouvelle destination d'un médecin de la région, ayant longtemps fait ses preuves dans les hôpitaux environnants pour se décider finalement à s'y installer à son propre compte. Kader est un enfant gentil de la région, ayant fait le lycée Mustapha Ferroukhi de Miliana et l'université d'Alger. Il atterrissait en ces lieux, nanti uniquement de son savoir et longue expérience en la matière, afin de s'acquitter honorablement de sa noble tâche et précieux devoir effectué au service de la communauté.

Djelida, le bourg d'autrefois qui l'accueillait venait de faire peau neuve, arborant ses toutes nouvelles baraques dont ce nouveau médecin en utilisa une à titre d'officine. L'agglomération venait de quitter ce monde où elle avait longtemps vécu et périclité, survivant à ses nombreux soubresauts et innombrables bêtises : celui-là même qui la considérait comme une erreur de la nature. Une négation de l'univers ! Sinon une contrée venue accidentellement à ce monde : lui déniant ou reprochant même ce droit absolu d'être venue au monde ! D'être justement née pratiquement de rien ! De rien du tout? ! Du néant ! De l'absolu ?! Avant l'indépendance du pays, la localité avait comme nom celui de Djelida Ahl El Oued, mais depuis 1962 ce sont ces gens-là (du fleuve en l'occurrence) de la contrée qui se sont disloqués et désolidarisés de son appellation, préférant leur baignade ininterrompue dans les eaux du Chélif, quittant à jamais leur ancienne demeure. Probablement pour de bon emportés par ses crues !

Depuis, ce fut Djelida en miniature, séparée de ses siens, qui fait office de commune, comme le veut cette tradition de léguer à l'histoire de la nation ces noms composés et bien encombrants. Djelida supportait alors très difficilement son long sommeil et son brûlant soleil estival, contraignant son monde à se terrer dès l'envoi de ses premières flèches blessantes et bien flamboyantes sur cette terre ayant soif d'eau et qui refusait de mourir, nourrissant l'été venu ses importantes populations de ses généreuses moissons. La contrée était également tout le temps traversée par ces vents bien chauds et très violents de son automne, autrefois bien monotone où la figue de barbarie tient lieu du rôle d'une véritable reine ou grand Seigneur au milieu de ses nombreux et très variés fruits de la région. Le reste de l'année, la vie y est bien morose, malgré quelques frasques de fleurs sauvages ou très chétives roses que le printemps passant en coup de vent dans la région en miroite à dessein, tout juste pour marquer son intrusion impromptue dans la vallée, succédant à cet hiver peu pluvieux et moins rigoureux qu'autrefois. Fort heureusement il y eut la construction de ce grand barrage qui régula plus tard plutôt bien plus la culture de la pastèque et de la pomme de terre -grâce à ces eaux puisées dans ses entrailles- que ce microclimat environnemental dont avait énormément besoin le monde habitant les lieux. En s'installant assez modestement dans son nouveau cabinet médical, Kader ne se doutait guère qu'une autre aventure commençait pour lui, après avoir brillamment remporté cette bataille de travailler enfin à son propre compte. Le problème ne résidait nullement dans ses compétences avérées et bien reconnues par tous, bien au-delà de cette perdue contrée. Le problème rencontré se situe donc manifestement dans son nouvel environnement, dans les traditions de leurs habitants et surtout leurs aptitudes à se défaire de cet ordre ancien, privilégiant plutôt cette " potion magique " du charlatan sur l'ordonnance authentique du vrai médecin qu'il est. Juste quelques mois de travail durant lesquels notre nouveau toubib prenait conscience de sa dimension économique et humaine dans la région que c'est un autre médecin " d'un nouveau genre " qui s'installe avec armes et bagages à ses côtés, dans la même venelle, jouxtant même le périmètre de son officine.

Le nouveau venu est donc charlatan de métier, exerçant sa profession au vu et au su de tout le monde, sans le port obligatoire de la blouse blanche et sans même les documents utiles et appropriés relevant de la profession de médecin. Il est connu seulement de ses nombreux " patients ", lesquels le propulsent au rang de ce guérisseur se servant de sa seule magie de venir à bout de toutes les maladies dont souffre l'humanité. Ainsi donc, jour après jour, les patients du médecin, authentique celui-là, passèrent de l'autre côté. Chez " l'autre médecin ", pour être plus précis ! Lequel les auscultait comme de tradition à coup de nouvelles potions magiques ou tragiques !? Faisant douter le véritable et authentique professionnel de son utilité à son monde, de ses capacités à leur prodiguer les soins appropriés? de guérir enfin ce monde-là de sa " vieille maladie " : celle, entre autre, d'aller encore et toujours chez le charlatan plutôt que de le faire pour ce même besoin chez le bon médecin du coin.

Un autre défi pointait donc du nez devant ce vaillant mais très brave médecin, confronté désormais à ce combat éternel entre la science et l'obscurantisme, entre la vraie médecine et le véritable charlatanisme, entre ce remède qui guérit et celui qui mène tout droit vers la folie, l'oubli de soi, l'illusion de faire aussi bien que l'idole ou le modèle de soi, sinon de paraitre comme le meilleur de tous dans ce monde ici-bas ! Kader avait donc juré de ne jamais baisser les bras. De faire triompher le savoir sur cette ignorance qui conduit ces gens-là à encore croire à ces potions magiques à l'heure de ces grandes découvertes de la science contemporaine et bien souveraine. Il jura devant les siens et par devant ses plus fidèles patients de continuer à être armé de sa seule passion de réussir là où la science a encore de l'espace à prendre à l'ignorance des gens, afin de la faire triompher contre l'obscurantisme de certains de nos paysans aux idées obscures et " jugées bien paysannes ".

Il continua donc à travailler, faisant prévaloir les nombreux remèdes de la médecine sur les innombrables intermèdes ou chicaneries du charlatanisme, à toujours profiter de ces gens croyant tout bêtement à leurs dépassés méthodes de sorcelleries.

Il luttait, parfois sans le savoir, contre cet esprit paysan, très difficile à embobiner, à convaincre surtout ! A le faire enfin revenir à cette image réelle de la médecine de ce troisième millénaire! Kader a fait ce serment d'un homme brave et très fort de caractère, bien tenace et très téméraire, qui ne reculera jamais devant les causes justes de l'humanité. Il voulait surtout faire honneur à ce diplôme dont il aura mis de longues et très besogneuses années à pouvoir enfin l'obtenir, le décrocher au bout de cet effort permanent et de cet espoir fou d'embrasser cette carrière noble de disposer, dans la limite de ce qui permis et largement admis de par les textes et la religion, de ces " corps humains, esprits et confidences " de ses patients afin que guérison leur soit prodiguée par ses soins. Il avait raison de ce battre ainsi ou de la sorte sur ce terrain assez difficile où il avait cette lourde charge de faire revenir à la raison tout ce monde paysan, perdu entre cette noble tradition de faire comme ses aïeux ou de choisir enfin cette voie toute tracée de la médecine contemporaine, saine et bien pérenne !

Kader se devait donc de faire sa propre révolution : celle d'où émergera au bout de l'effort, intense et bien soutenu, l'impact de la science sur la conscience de ces gens-là, restés encore accrochés à ces vieilles méthodes de la fausse médecine d'antan ! L'aventure dans laquelle il s'était lancé prenait au départ l'allure d'une véritable expédition qui avait toutes les chances de venir à bout de sa détermination à faire changer à son monde d'horizon et de mode de guérison.

Tant ces autres esprits malintentionnés lui faisaient barrière, ayant bien peur de l'avancée des sciences et des bonnes consciences jusqu'à les déchoir de leur territoire de prédilection où ils ont tout le temps officié en maitres absolus et grands seigneurs des lieux, par la faute à ce monde bien ignorant et très docile qui les croyait tout le temps, approuvant toujours leurs remèdes et cherchant après leurs fallacieuses potions.

Le combat noble de ce médecin de profession dura de longues années au cours desquelles, patient après patient, ses clients, partis pour un bon moment chez celui d'à côté, lui revinrent à tour de rôle et en file indienne, bien conscients que la potion magique de son supposé " alter-égo " de cette 'médecine traditionnelle' ne devait plus avoir aucun effet quant à l'amélioration de leur état de santé, ne correspondant, en fait, nullement à leur maladie.

Cependant, il existe parfois ces mauvaises consciences ou anciennes habitudes qui ont la peau dure, du fait qu'elles soient assez sceptiques ou peu favorables au changement, sinon tributaires d'un esprit malsain tout bonnement.

Ainsi, et pour l'éternité, entre ce véritable médecin et son inévitable voisin de bon charlatan, les frontières étaient donc bien conçues et le bornage de leurs territoires respectifs définitivement effectué. Chacun avait ses propres clients : ceux venus voir le médecin comme ceux disposés à rendre visite à cette autre Madame soleil ou à son représentant algérien exerçant dans la même profession.

Le combat rondement mené aura donc bel et bien tourné à l'avantage de la noble médecine n'était-ce alors cette anecdote qui vint, en fin de compte, tout détruire de cette guerre sans merci menée par ce très " patient " médecin contre justement cet obscurantisme humain.

En effet, alors qu'il s'apprêtait à quitter son officine pour aller se restaurer en milieu de journée, son regard écorcha le visage d'une vieille connaissance sortant de chez son voisin. Il s'agissait, en fait, de sa propre tante maternelle. Devant l'insistance de la patiente à s'occuper d'elle, il l'ausculta au sein de son cabinet médical et le prescrivit des médicaments à l'effet d'apaiser sa douleur, lui intimant l'ordre de ne jamais administrer ceux proposés par son voisin d'à côté. Des jours passèrent, et en une très belle matinée printanière le médecin rendit visite à cette parente. Et grande fut sa surprise lorsque celle-ci lui dévoila tout de go : que " la potion magique de son voisin devait bien avoir raison de sa maladie ", sans cependant jamais se conformer à ses " prescriptions médicales " ni même ingurgiter le moindre de ses " breuvages"!

Ce n'est d'ailleurs qu'à ce moment-là que ce brave médecin, très dévoué et bien intelligent, comprit finalement que le mal de ses patients était bel et bien dans leur tète.

Ce conte répercute ce flash-back encore présent dans l'esprit de certains. Le grand mal des algériens est parfois de trouver le chemin approprié pour aller chez le bon médecin. A eux de choisir, en fait, entre cette intelligence humaine et cette supercherie bien animale? !

Lorsque avec notre propre traitement de véritable médecin, on ne fait paradoxalement que participer, en fait, à davantage imposer à notre environnement, malgré notre savoir-faire, la toute usurpée réputation de ce vrai-faux praticien de la santé publique ; c'est que, quelque part, le mal de tête de nos patients est fondamentalement bien plus profond qu'on le croit !