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La sérénité bat la prospérité. Toujours

par Kamel Kacher *

Après l'indépendance, le peuple algérien a vécu trente glorieuses années de sérénité, jusqu'au début de 1992, certes sans réelle prospérité financière, ni essor économique, mais sereinement. Puis, en dix années d'atrocités, la sérénité a été définitivement tuée, mais jamais la volonté populaire.

Depuis, l'Algérie a connu une aisance financière et une prospérité virtuelle due aux pétrodollars, sans que la société algérienne n'en profite équitablement, ni que ses problèmes socio-économiques ne soient résolus définitivement.

En ce début de 2015 et en cette première année d'austérité, due à la chute des cours du pétrole, prévisible depuis longtemps, et que les décideurs algériens s'obstiné à ne pas voir venir, les algériens se remémorent péniblement et forcément la crise de 1986. La société algérienne qui a déjà perdu, définitivement la sérénité, vient encore de laisser passer, bêtement, une nouvelle chance de prospérité.

La crise de 1986, tous les algériens, se remémorent, dans leurs âmes et leurs chairs, à quoi à abouti ! Octobre 1988 ; la guerre civile de la décennie 1990 ; la dislocation familiale ; l'obscurantisme islamiste récurrent ; la décadence et la violence sociales ; l'exode rural ; la ruralisation des us et des mœurs des citadins, etc?

Avec la perte de la sérénité, c'est inéluctablement la possibilité de prospérité qui vient d'être perdue, à son tour, pour la société. La question qui se pose maintenant est de savoir que choisir, la sérénité ou la prospérité, ou avoir les deux ? Est-ce possible ?

Anthropologiquement et socialement parlant, l'Algérie se trouve aujourd'hui en quatrième république. Effectivement, la première république algérienne débute historiquement le 20 aout 1956, avec le congrès de la Soummam et l'adoption unanime de sa plateforme pour la construction d'une république civile, sociale et démocratique, que les décideurs n'ont pu réaliser au début de la libération en confisquant l'indépendance et la légitimité.

La seconde débute le 19 mars 1962, caractérisée après l'indépendance par la confiscation de la légitimité républicaine et se termine le 27 décembre 1978, avec la mort de celui qui l'incarner le plus, Houari Boumédienne. La troisième débute avec l'intronisation en février 1979 par le Congrès du parti unique, le parti «FLN», de Chadli Bendjedid et se termine par la révolte des «Stan Smith» d'octobre 1988.

Aujourd'hui, la société algérienne est en quatrième république. Son entame est l'ouverture au multipartisme en 1989 et son «apogée» est la guerre civile des années 1990. Cette 4ème république qui continue d'exister, depuis maintenant 26 années, est caractérisée par le comportement anti social de la population, la haine et la violence injustifiée envers l'autre, inspirées des années de braise, par l'hypocrisie généralisée dans les relations humaines et par l'absence de compassion envers autrui.

L'analyse approfondie des événements permet de dégager six éléments qui rendent possible la compréhension de la réalité de ces bouleversements et de leurs conséquences :

(1) Existence d'un malaise sociétal et politique réel dans le pays mais instrumentalisé.

(2) Des soulèvements populaires pilotés et mis en scènes par des forces centrifuges afin de promouvoir des intérêts de pouvoir occulte.

(3) Des populations livrées à eux-mêmes avec des conséquences inconnues.

(4) Des richesses économiques inéquitablement partagées au sein de la population, provoquant ainsi de fortes inégalités sociales et géographiques. Aucune stratégie de développement : Seule compte la croissance.

(5) Des classes moyennes qui s'appauvrissent et des jeunes en marge de l'échiquier socio-économique.

(6) Un modèle de développement qui a surtout favorisé une élite composée de politiques et d'hommes d'affaires étroitement liés et ayant pour cause une connivence profonde entre les opérateurs et le pouvoir.

La déperdition scolaire est l'une des principales causes, sinon la principale sur le plan sociologique, de l'augmentation de la criminalité, de la violence, de l'agressivité gratuite et injustifiée des algériens post 1992, de la consommation de la drogue, de la propagation de l'obscurantisme, du fanatisme religieux, du terrorisme et de la prostitution.

Ne voyant aucune perspective d'intégration sociale, d'emploi décent, n'ayant acquis aucun métier respectable, cette cohorte d'algériens ne voit son salut que dans la désobéissance civique. Une anarchie sociale, bien manipulée par les décideurs, pour mater le reste de la population, restée relativement sociable et citoyenne.

À l'indépendance de la république en 1962, le nombre de la population algérienne été de 9 millions, dont 8,5 millions d'illettrés, soit presque 95% de la totalité. Ce nombre de 8,5 millions devait logiquement diminué au fil des années, primo avec la disparition physique de certains citoyens âgés, secundo avec tous les efforts déployés par les pouvoirs publiques dans le domaine de l'éducation nationale. C'est l'inverse qui s'est produit !

En ce début de 2015, soit presque 53 ans après l'indépendance, l'Algérie a 17 millions d'analphabètes trilingues, dont 5,5 millions d'illettrés, soit le double. Sur presque 40 millions d'habitants, c'est énorme. Les différentes réformes de l'éducation sont passées par là. Depuis 1993, l'Algérie enregistre, chaque année, la déperdition de 500 000(cinq cent milles) élèves sans aucun diplôme et analphabètes. Une bombe, bien plus fatale que le cours du pétrole, pour la sécurité nationale.

L'Algérie procède à des compressions budgétaires, puise déjà dans ses épargnes et met fin à certains projets structurants du plan de relance budgétaire 2015-2019. Sans pouvoir être pessimiste, se basant sur les chiffres du directeur du département MENA du FMI, tous les diagnostics prédisent qu'avant terme du 4ème mandat présidentiel en 2019, l'Algérie sera revenue à la case de départ de 1986, endettée, sans perspective économique, mais avec une population qui avoisinera 45 millions.

En vingt années de pouvoir (1999-2019), une fois la paix revenue, on est revenu à la case de départ, en tournant en rond, alors qu'il fallait créer des emplois réels, former des élites managerielles, assainir les finances publiques, lancer d'ambitieux programmes de réformes structurelles, réaliser la transition sociopolitique.

Couplée au premier problème de la déperdition scolaire avec ces conséquences relatées plus haut, l'Algérie, avec les nouveaux problèmes socioéconomiques, entre de plein fouet dans la zone rouge de l'instabilité. On a tiré la sonnette d'alarme déjà en 2005. Si on devait décrire le comportement de nos décideurs, on dirait que la surdité caractérisée et l'arrogance dans l'ignorance est la marque de fabrique de cette élite dirigeante.

En Algérie, le régime a fini par prendre conscience du changement géopolitique majeur en cours au Maghreb et a donc décidé de changer de discours, sous le regard vigilant d'une armée toute puissante après deux décennies de lutte contre l'islamisme. Il faut aussi constater que le changement d'un régime, s'il y a lieu, par des révoltes, ne peut engendrer de changement des mentalités et des structures anthropologiques ; Elles resteront intactes. Ce qu'il faut d'abord réalisée est une révolution culturelle.

* Phd en aéronautique