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L'igloo

par Bouchan Hadj-Chikh

Il y a la Ligue arabe. Qui regroupe vingt deux Etats. Fondée le 22 mars 1945. Enfant illégitime né dans l'esprit britannique pour contrer l'empire turc avec, pour exécuteur, les populations bédouines d'Irak et d'Arabie. Elle a son siège au Caire. Elle prétend « affirmer l'unité de la nation arabe et l'indépendance de chacun de ses membres ».

Il y a l'Organisation de la Coopération Islamique, qui regroupe 57 Etats fondée le 25 Septembre 1969, façade ravalée le 28 Juin 2011. Elle s'est donnée pour objectif de « promouvoir la solidarité entre les Etats membres ; prendre toute mesures pour aider à la paix et à la sécurité internationale fondée sur la justice ; coordonner les efforts de sauvegarde des lieux et appuyer la lutte du peuple de Palestine et l'aider à récupérer ses droits et libérer son territoire ».

Vous conviendrez que, pour ces deux organisations auxquelles nous appartenons, il y a beaucoup à faire, non ?

Hé bien non. Il ne faut pas les déranger. Elles hibernent ces dernières années. Le monde dit arabe a beau être à feu et à sang, au sens propre, les Palestiniens ont beau crier, hurler, se battre chaque minute de leurs vies, écrasés par le régime d'apartheid sioniste, rien ne le fait bouger.Même quand les enfants sont brulés vifs lors des bombardements.

L'Islam, lui, a été fossilisé au lieu d'être ce qu'il est, une religion de progrès et de science. Comme il le fut. Rien n'y fait. Les fonctionnaires de ces institutions fonctionnent, en roue libre, comme si de rien n'était.

Lors des premières attaques meurtrières contre cet espace politique, qui avait pour nom Algérie, l'OCI a ouvert un seul œil,le temps de qualifier d'« anti islamiques », en Janvier 1998, les massacres, recommandant d'aller nous adresser ailleurs,en d'autres termes prendre langue avec l'Union Européenne qui exprima« le désir de participer à la recherche d'une solution de crise ». Ce qui réconforta l'OCI qui replongeadans son sommeil pour seréveiller, brutalement,cette fois en Septembre 2011, pour condamner les « actes brutaux et criminels » après les attaques contre le World Trade Center. Là, il fallait hausser le ton, en effet.

Pour être juste, il faut préciser que le communiqué, issu à cette occasion, précisait qu'il fallait distinguer ces actes de ceux que justifient une résistance populaire vouée à la libération de l'occupation et du colonialisme. Ne pas appuyer sur ce point eut été suspect, en effet, prêtant à toute sorte d'interprétation et de liens entre l'Organisation et les intérêts occultes. Donc, depuis, l'OCI regagna son lit.

La ligue arabe, elle ? qui ne s'est pas beaucoup distingué lors des attaques brutales contre les peuples irakien, yéménite et libyen,offritun show télévisé à la communauté internationale. Un Muppets Show revu et corrigé. Un spectacle désolant lors d'une de ses réunions au cours de laquelle le représentant irakien traita son collègue du Golfe de « traitre et de fils de chien ». Pas moins.

La supernova arabe venait d'exploser et de rendre l'âme.

Pendant ce temps là ? On construisait des immeubles dans les territoires palestiniens pour conforter l'occupation, des drones abattaient femmes et hommes au Yémen, en Irak, en Syrie, en Afghanistan. On écarquillait les yeux devant les évènements qui bouleversèrent la donne en Tunisie, on assassinait deux leaders, l'Irakien et le Libyen. Trois, en fait, puisque le président de l'OLP, M. Yasser Arafat, disparaissait bizarrement d'un mal inconnu après un confinement dans la Mouqata3a. Sans que personne n'interroge les Institutions Internationales et les fora mondiaux sur ces situations inqualifiables.

Ni la Ligue Arabe ni l'OCI.

Au sein de ces organisations, il s'en trouva qui offrirent des bases et des facilités d'appui à des attaques militaires des Etats Unis et de certains pays européens contre les peuples Irakien et Libyen. Et d'autres. Au nombre desquels on compte l'Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et la Jordanie. Des monarchies pur jus qui ne voulaient plus entendre parler des « républiques » qui leur faisaient de l'ombre en plein désert intellectuel.

Pour celles-là, on créa Al Qaida, puis Aqmi et, tout récemment, un Califat ? il ne manquait plus que ces derniers pour bien mesurer le bond en arrière.Toutes ont, pour feuille de route : ébranler les systèmes politiques pour jauger leurs capacités de résistance. Et si ces pays résistent aux chocs, les entrainer dans une période de glaciation sans « sortie » possible. Parier sur le pourrissement en somme. Ou sur un alignement ? bras en l'air - sur les thèses occidentales, notamment américaine. Ce qui fut fait.

A corps perdu un pays négocia le virage au risque de déraper et perdre le contrôle du système. Et nous y sommes. Taquiné aux frontières ? une autre monarchie demeurée indemne de tous ces mouvements de contestations. Vigilante quant à l'évolution politique et sécuritaire en Tunisie et en Libye, anxieuse de sécuriser des longues frontières sahariennes, le pays vit sur le qui-vive permanent, gérant les affaires au coup par coup, consacrant une grande part de ses ressources au sur-armement. Plus rien ni personne ne bouge. Dans cet espace, espace de glace, nous construisîmes notre igloo, évitant les infréquentables états qui pourraient nous entrainer dans des déserts de soif.  

En pâture, tout ce qui compte d'intellectuels fut convié à discuter toutes les options possibles pour éviter les sombres lendemains. On s'aperçut que nous étions un pays béni, qui tirait, de la nature donc, toutes les ressources, à ne rien faire. Ainsi 98 pour cent de ses ressources sont destinés à la nourriture de sa populationet à « investir » tous azimuts en ouvrant ses marchés aux pays occidentaux. Une République Emirati, en somme, qui se glorifie d'avoir, sur son sol, une tour élevée par des sociétés étrangères sur des calculs d'experts, eux aussi étrangers, grâce à la main-d'œuvre pakistanaise exploitée. Payés en dollars américains.

A regarder de près, en termes d'investissements et de réalisations, nous n'avons rien à « envier » aux pays du Golfe. Sauf un territoire et une population beaucoup plus importants. Peuple exigeant, à juste raison, mais que l'on ne mobilise pas sinon en lui programmant un feuilleton d'une longueur record sur de « passionnantes » histoires de crises de palais et de lutte de pouvoir.

Ca craint, je vous dis.

Ce qu'il nous reste ? Parier sur une sortie de crise. Douce, disent ceux qui ne sont pas sourds. En occupant un ancien premier ministre à synthétiser, à vide, les propositions des représentants des partispolitiques en vue de la refonte de la Constitution. Celle qui ne passionne plus personne et que l'on a fini par mettre dans un tiroir. Parce que la crise du baril de pétrole, dégringolant, nous prend à la gorge.

Les Zaouias, pendant ce temps, prospèrent et placent leurs candidats pour faire passer leurs messages dans la cacophonie.La discipline laïque nous est étrangère. La fonction de contrôle, à tous les niveaux, dans les rues et les unités de productions, dans les institutions, sommeillent, elles aussi. Des ONGs, liées à la Banque Mondiale, au FMI et autres instituts, sautent sur le pont pour proposer des solutions ficelées « Elles ne sont pas nées chez nous mais il faudra bien leur faire confiance », nous susurre-t-on. Et les tenants de la ligne de Novembre sont qualifiés de ringards. Aux thèses et propositions obsolètes.

Dites, on s'en sortira quand ? Qu'attendons-nous ?

C'est pour quand le réchauffement de notre planète politique ?

En tardant, il sera brûlant. Vous le verrez quand vous aurez cessé de plonger votre nez sur les traitements politiques de bas étage pour décider d'observer ce qui se passe autour de nous, dans le monde. Les nouvelles alliances économiques et politiques que nous ignorons superbement, nous, courant toujours, avec un tour de piste de retard, encore et toujours, derrière des médecins nommés FMI et Banque Mondiale.

Ceux qui ont vécu les massacres de Sétif et de Kherrata, la guerre d'Indochine et la victoire décisive de Dien Bien Phu, ont levé la tête pour se demander où nous en étions. Ces gens là, les « ringards » d'aujourd'hui - porteurs de thèses prétendument obsolètes, obstinés à répéter que la terre et ses richesses, son sous-sol appartiennent à tous ? ne sont plus écoutés. Les survivants ou leur progénitures politique vous diront qu'ils ont levé le nez pour tenter de comprendre ce qui se passe dans le monde avant de replonger dans le sommeil qui leur est imposé.

Ils ne sont pas tous de ce monde. Partis avec le goût d'inachevé. Une « Ghouda »au fond de la gorge, diraient-ils. Avec pour derrière image, des pays qui émergent, pendant que d'autres immergent.

Chaque jour davantage.