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Journaliste… et écrivain : tout d’un grand !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

D’une pierre, quatre coups. Décidément, l’ami Daoud Kamel ne se suffit pas de la seule renommée déjà acquise grâce à ses chroniques journalistiques, quasi-quotidiennes depuis de longues années. Une production qu’il serait intéressant de voir regrouper en un ouvrage ou en plusieurs volumes. Leçons d’écriture, mais aussi et surtout pensée historico-philosophique dès que l’on saisit la trame principale de ses œuvres, lesquelles n’ont pas changé de direction idéelle. Un engagement qui se suffit de ses convictions personnelles, on le sent, elles-mêmes puisées de réalités objectives du pays, relations internationales y compris. On aime ou on n’aime pas le monsieur! Mais, on ne peut pas ne pas aimer le travail abattu. Tout à l’honneur du nouveau journalisme algérien, celui qui ne s’en laisse pas compter, ni par les Appareils, ni par les lecteurs éternels contempteurs de la presse nationale, ni par les «nationalistes» et autres… «veilleurs» de légitimité (s) ...

Il y a de cela plusieurs années, il avait obtenu, pour un recueil de quatre nouvelles, le premier prix de littérature… Mohamed Dib, s’il vous plaît ! On aura «La préface du nègre» en 2008. En fait, un mini-roman découpé en quatre nouvelles (présenté par votre serviteur dans une chronique dans la défunte revue Le Cap.) Extrait concernant une des nouvelles, la quatrième, celle conclusive : «Cette fois-ci, un essai assez philosophique, mené au pas de charge, en onze étapes, avec des allers-retours. Trop compliqué à expliquer. Trop dangereux à analyser. Mais, un plaisir des méninges qui vous réconcilie avec la nouvelle génération d’Algériens. Celle qui monte. Celle qui parle. Celle qui écrit. Celle qui crie. Celle qui invente. Et, non pas celle qui rampe ou celle qui fuit». Avec pour avis : «A lire absolument, vous ne le regretterez pas plus tard…»

Voilà donc qu’en 2014, il récidive : Avec un ouvrage, «Meurseault, contre-enquête» (présenté dans Mediatic, le jeudi 14 décembre avec cet avis : «Le nouveau roman est enfin arrivé. On le rencontre avec cet ouvrage. De l’écriture compliquée mais si bien construite qu’elle est compréhensible et claire. Se lit d’un trait. De la philo pour tous, avec, en plus, l’arme favorite du chroniqueur : des formules chocs, qui frappent fort et visent juste»), publié d’abord à Alger aux Editions Barzakh (2013) puis, le succès du livre et la bonne gestion par l’éditeur aidant, en France, toujours en 2014.

D’une pierre quatre coups. Trois prix (deux en France : le « Mauriac de l’Académie française» et le «Cinq Continents de l’OIF», et un en Algérie : «L’Escale Littéraire Alger 2014») et une double nomination pour le «Goncourt» et le «Renaudot» avec une «qualification» pour la «finale». Bigre ! Quels coups. Qui laissent pantois les éditeurs et leurs poulains français. Qui laissent verts de rage n.o.s «francophobes» et l.e.u.r.s «algérophobes». Qui laissent pâles de jalousie certains de nos écrivains algériens francophones. Et, qui peut même ennuyer certains de nos «appareils» culturels.

Revenir sur la qualité du travail ? Ainsi que sur les intentions cachées des jurés ? Pourquoi faire ! Il s’agit surtout et seulement de relever que les prix étrangers sont donnés à un écrivain bien de chez nous, à une oeuvre née d’abord chez nous, à un sujet qui rend justice (virtuellement) à un Algérien bien de chez nous, maltraité (tué, «comme ça», par un certain Meurseault, le pire des crimes racistes), et, à travers lui, rendre justice à toute l’Algérie. L’auteur a tenté, aussi, de «recadrer» (et de mettre fin à une polémique éreintante et stérilisante) le rôle et l’influence de Camus durant la guerre de libération nationale. Bien sûr, Camus n’en avait pas, hélas… pour lui, saisi tous les ressorts profonds mais, quand même, au fond de lui, malgré tout, il a d’abord été un journaliste et un écrivain progressiste… qui avait rapporté dans son journal (Alger Républicain) les mille et une misères des exploités. Des (écrivains, des artistes et des journalistes) Algériens… bien Algériens, ont fait bien pire qu’une simple déclaration d’amour maternel à «chaud», et pourtant, on n’en parle pas du tout ou rarement.

Cette avalanche de prix remet sur le tapis la problématique de la stratégie idéale à mettre en œuvre pour promouvoir le livre en Algérie : sa conception, sa production, sa commercialisation ainsi que sa consommation ou exploitation.

Une stratégie qui reste à peaufiner malgré les efforts qui ont déjà été consentis par l’Etat, les éditeurs et les libraires. Côté lecteurs, le «rush» relevé durant les Sila n’est qu’un cautère sur une jambe de bois. Notre Salon, même international, ne fait pas un bon secteur éditorial...Tout au plus une grande foire qui permet d’acheter et de vendre des livres, pour la plupart édités à l’étranger, et de sortir de l’anonymat, durant quelques heures ou quelques jours, pendant des rencontres presque furtives, des auteurs, bien souvent, la plupart du temps, bien ternes … étouffant littéralement les nouveaux talents.

Le nœud de la problématique réside indubitablement dans la partie créativité (des auteurs) et les relations entretenues par les lecteurs avec les œuvres présentées : Certes l’achat, mais aussi, le contact, les échanges d’idées, les débats sur les sujets et thèmes abordés… Mis à part les séances de dédicace dans les rares librairies ouvertes à cette pratique (séances pourtant peu incommodantes, car il y a toujours des petits fours), on en est bien loin.

Amar Lakhous n’a connu de succès qu’à partir de l’Italie et Malika Mokkadem, Nina Bouraoui et Akli Tadjer qu’à partir de la France comme, d’ailleurs, Ahlem Mosteghanemi à partir du Liban (sans parler des «anciens» comme Dib, Kateb, Boudjedra, Assia Djebbar, Sansal, Khadra… mis à part, peut-être Ouettar et Benheddouga qui ont été édités d’abord en Algérie. Fadela a eu moins de chance et a dû s’exiler). Aujourd’hui, ceux de la nouvelle vague, Adlène Meddi, Chawki Amari, Mustapha Benfodil, entre autres, «les métastasés de l’écriture», les «enfants gâtés de la presse», se font désirer après nous avoir subjugué avec des premières œuvres magistrales... Wacyni Lâaredj et Amine Zaoui sont «écartelés» et, trop en avance sur leur temps et leur société, n’arrivent pas à trouver un public large et précis... Il y a, heureusement, leurs nombreux fidèles… des deux langues.

Il est clair qu’il faut (re-) commencer le travail par le bon bout, le petit bout, en l’occurrence, chez les tout petits de l’Ecole. Leur faire connaître et aimer l’acte de lecture, puis, pour les plus grands (des collèges), leur faire connaître et aimer l’écrivain en le «jetant» dans la «fosse aux lionceaux» pour qu’il explique son oeuvre et ses idées, en toute liberté et, enfin, pour les adultes (les lycéens), leur apprendre à travailler à partir du livre, de l’écrit, nouveau et ancien, leur apprendre à comprendre, à analyser, à douter et à critiquer .

Il est clair aussi (pour nous) qu’il faut cesser d’intervenir dans les processus d’action culturelle et qu’il faut laisser les initiatives personnelles et/ou collectifs dominer… avec, bien sûr, l’encouragement au mécenat (d’Etat ou d’entreprises, publiques ou privées). Mécenat et non sponsoring et autres patronages. Comme pour les prix ! Sachant que jusqu’ici, tous les projets étatiques d’intervention directe ont échoué lamentablement. Décidément, l’échec, chez nous, est devenu, peu à peu, la «grande illusion»… et du pain béni pour ceux qui aiment la «fuite en avant» !