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Maltraitance à l'école et son influence

par Boukrissa Merouane *

Le XVIème siècle en Europe a vu le caractère arbitraire et cruel d'une pédagogie sans norme.

Les écrivains de la Renaissance dénoncèrent violemment ces pratiques, parmi lesquels Montaigne, Rabelais ou Erasme qui plaide pour un véritable réquisitoire contre « les tortures scolaires où on entend que crépitements de férules, cris, sanglots et menaces épouvantables ». « Ce n'est qu'avec la plus extrême lenteur qu'elles ont reculé sous la pression de l'opinion publique »E. Durkheim¹.

On note déjà en 1840, en France, la promulgation de l'arrêté du ministre de l'instruction publique, Victor Cousin et qui proscrit formellement les peines corporelles à l'école.

« ?la fonction de l'éducation dépasse la simple transmission des savoirs et qu'elle a pour objet non de donner à l'enfant des connaissances plus ou moins nombreuses mais de constituer chez lui un état intérieur et profond, une sorte de polarité de l'âme qui l'oriente dans un sens défini non pas seulement pour l'enfance mais pour la vie. » E. Durkheim

L'enfant apprend à l'école à cohabiter avec d'autres enfants sous l'autorité d'une même règle, il s'exerce ainsi à ses futures fonctions de citoyens, en s'habituant au respect d'une loi.

L?argumentaire de brutaliser les enfants par certains «éducateurs» se voit dans la nécessité de leur mettre des limites et le besoin de ceux-ci de sentir au dessus d'eux, le poids d'une autorité. L'école reproduit les structures et les relations sociales qui existent dans son environnement. Lorsque les enfants ne se conforment pas aux normes, ou font des erreurs, la violence est alors perçue comme un moyen légitime de corriger les comportements non conformes ou de les amener à comprendre leurs erreurs, interpréter les valeurs sociales et morales et apprendre à respecter leurs aînés par exemple. » Cette conviction et l'acceptation d'une telle forme de violence physique par les hommes et les femmes contribue à la banalisation de la violence, à sa répétition dans le milieu scolaire et au fait qu'elle est tolérée jusqu'à un certain niveau par les sociétés.

Les châtiments corporels, la maltraitance et les autres formes de violence à l'école peuvent avoir des conséquences graves sur la santé de l'enfant et sa personnalité en particulier, ils peuvent compromettre le développement physique, psychologique ou affectif de l'enfant. A long terme, ils renforcent chez lui le développement de comportements violents.

Sur le plan sanitaire, on peut noter chez un enfant maltraité, des hématomes, des ecchymoses, des plaies, des morsures, des fractures osseuses, des traumatismes crâniens (graves), des plaques de cheveux arrachés, des brulures, etc. Ces violences peuvent déclencher certains symptômes tels les maux de tête, de ventre, vomissements, hémorragies, énurésies, anorexie, boulimie, troubles du sommeil, et des fièvres et infections répétées entrainant des hospitalisations?

A cela, les châtiments sont à l'origine des problèmes psychologiques et peuvent engendrer des sentiments d'abandon, de terreur, d'égarement, des états de mal-être, des dépressions et des tentatives de suicide. Le comportement des enfants victimes de mauvais traitements se voit modifier en devenant parfois agressifs, instables, hyperkinétiques en extériorisant de façon continue un excès de tension et se montrant agités et... désobéissants. Ces actes violents déclenchés par les châtiments corporels vont sans nul doute perpétuer ainsi le cycle de la violence.

Il a été clairement démontré qu'il y a une forte corrélation entre châtiments corporels et délinquance dans le contexte scolaire. Ainsi aux USA, les meurtres commis dans les écoles sont plus fréquents dans les Etats qui autorisent les châtiments corporels ; ainsi l'abandon de ces derniers devient stratégique pour la lutte et la réduction de la violence dans la société américaine.

Mais les châtiments corporels peuvent être également à l'origine de l'échec scolaire de l'enfant, ils inspirent un sentiment de crainte des autres, de peur et de haine de l'école. L'enfant est enclin à développer une dyslexie, une dysorthographie, une dyscalculie, des problèmes de concentration ou d'attention et a, à fortiori, plus de probabilités d'abandonner désormais l'école.

L'impact est négatif car les châtiments corporels privent les enfants de leur droit d'accès à une éducation de qualité, le droit au respect qui menace la cohésion sociale et le développement de toute une nation (le faible niveau d'éducation menace les niveaux de développement).

Un enseignement non coercitif et un apprentissage sans peur

Un principe éthique fondamental : « N'inflige à personne ce que tu ne souhaites pas que l'on t'inflige » impose une pédagogie humaniste avec une approche participative qui implique le respect des droits fondamentaux des individus (liberté d'information, de pensée, d'opinion, d'expression) qui suppose une rupture avec la pédagogie frontale, transmissive, restitutive. On passe ainsi à une pédagogie dialogique, active, participative et différenciée.

L'analyse socio-historique des châtiments corporels et des changements dans l'utilisation de ces derniers à l'ère moderne, note le passage de l'usage gratuit du sévice et de la peine corporelle à un usage réglementé où l'élève comme le maitre doivent se soumettre à des règles supra-individuelles, impersonnelles qui excluent l'affectivité du rapport pédagogique et ceci par une adhésion raisonnée.

Le châtiment corporel change alors de sens, parce qu'il s'intègre dans un système radicalement différent, dont la logique veut que l'espace scolaire exclue tout rapport affectif, toute proximité, et le contact physique avec les élèves doit être réduit au minimum. Le maitre doit d'abstenir de les mignarder, de même qu'il ne doit plus les châtier physiquement. « Les pédagogues appellent de leurs vœux une école où tout rapport affectif, positif ou négatif, serait exclu », il s'agit maintenant d'un ordre impersonnel. Le maitre raisonnable doit avoir une conduite raisonnable, c'est-à-dire distante du corps de l'élève. Il est question ici pour le maitre plus de maitriser ses sentiments, son affectivité et faire disparaitre la violence.

La création d'un règlement à l'intérieur de la classe, qui constitue un code de droits, d'obligations et de sanctions éducatives telles que les mauvais points, la privation de récré, de jeu, copier des lignes, des conjugaisons?permettront de changer le rapport de l'enfant avec la loi, et ce, par la construction collective des repères, des interdits et des conséquences des transgressions.

Les enfants doivent être protégés contre toutes les formes de violence, plusieurs textes internationaux relatifs aux droits de l'homme ont condamné fermement l'atteinte aux droits et à la dignité des enfants. Et pour reprendre enfin, un slogan international : « Eduquons nos enfants sans violence, ni humiliation pour rompre enfin avec l'incivilité et le cercle vicieux de la violence ».

(1) Émile Durkheim (Né à Épinal en 1858, mort à Paris en 1917,) est l'un des fondateurs de la sociologie moderne.

References : « La discipline à l'école primaire : une interprétation sociologique des modalités d'imposition de l'ordre scolaire moderne » par Rachel GASPARINI ? Thèse de Doctorat en Sciences Sociales et anthropologie / 1998 / France.

* Chercheur au GRAS