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Jeûne et santé: entre croyances, traditions et fondements scientifiques

par Merouane Boukrissa *

Une soixantaine d’années d’expérience dans le traitement des maladies par le jeûne m’ont convaincu que beaucoup de prétendues complications et conséquences des maladies sont en grande partie dues à l’ingestion forcée de nourriture par notre organisme.

Cet organisme dit aussi clairement qu’il peut : «Pour l'amour du ciel, enlevez la nourriture de devant moi jusqu'à ce que mon appétit revienne. Entre-temps, je vivrai sur mes propres tissus».

Le Major Reginald F.E. Austin, du Corps médical de l’Armée britannique, 1922.

ET SI LE JEUNE ETAIT UNE METHODE EFFICACE POUR TRAITER DE NOMBREUSES MALADIES ?

Le jeûne est sans doute l’une des plus anciennes approches d’autoguérison. On estime que le jeûne a été pratiqué sans interruption depuis 10 000 ans, pour soulager la souffrance humaine. Le jeune faisait partie des méthodes de rétablissement, pratiquées dans les anciens temples esculapiens, 1300 ans avant J/C. Hippocrate, le célébrissime médecin grec, semble avoir prescrit une abstinence complète de nourriture quand une maladie était dans une phase ascendante, et spécialement pendant la période critique, et une diète sobre dans d’autres occasions. Tertullien nous a laissé un traité sur le jeune écrit vers l'an 200. Ibn Sina, le grand savant et médecin arabo-musulman, prescrivait souvent dans de nombreux cas de maladies des jeûnes de trois semaines ou plus.

Bien que la tradition reconnaisse les vertus du jeûne, les premiers fondements scientifiques ne remontent qu’à la fin du XIXe siècle. Les docteurs Henry Tanner et Isaac Jennings furent les premiers médecins américains à le préconiser. C’est en 1820 qu’ils renoncent à l’usage de la médication et qu’ils optent pour une nouvelle science de la santé basée sur des principes naturels, dont le jeûne, que l’on appela ensuite hygiène naturelle. D’autres praticiens les ont imités par la suite, mais on doit principalement à Herbert M. Shelton (1895-1985), reconnu comme le père de l’école hygiéniste, d’avoir élaboré un protocole basé sur un jeûne strict à l’eau, sans exercice physique. Il s’agissait d’un repos physiologique complet que recommandait Socrate il y a 2 500 ans! Qui permettrait d’aiguiser l’esprit.

JEUNE ET ISLAM

L’islam recommande quatre mois de jeûne par an dont trente jours obligatoires du mois de ramadan, six jours du mois de choual et chaque lundi et jeudi de la semaine. A ce sujet le prophète Mohamed (S.A.A.S) dit: "Jeûnez et vous serez en bonne santé».

Le célèbre médecin américain, docteur Carlo, dit au sujet de l’intérêt du jeûne du mois de Ramadân la chose suivante : «L’abstinence annuelle de nourriture pendant une certaine durée est un impératif sanitaire et une obligation médicale, que l’on soit riche ou pauvre. Car tant que les microbes trouvent dans le corps humain les aliments dont ils ont besoin, ils se développent et se multiplient. Grâce au jeûne, ils s’affaiblissent et meurent.»

Puis le docteur Carlo raconte qu’il était tombé malade pendant une longue période et qu’il ne parvenait pas à guérir de sa maladie. Il était suivi par un médecin musulman qui l’incita à jeûner. Prenant acte du conseil, le docteur américain jeûna avec lui le mois de Ramadân, non pas pour des mobiles religieux mais par espoir de retrouver la santé. Il se rendit compte que sa santé s’était améliorée notablement pendant le mois de Ramadân. Pour cette raison, jusqu’à ce jour, il jeûne chaque année un mois complet comme le font les Musulmans pendant le mois de Ramadân. Ainsi la célèbre maxime arabe : «L’estomac est le lieu de toutes les maladies, et la diète est le pilier de tous les remèdes».

ACTION DU JEUNE SUR L’ACTIVITE PHYSIOLOGIQUE DE L’ORGANISME

Jeûner permet un repos total du corps grâce à l’arrêt de la stimulation excessive du système digestif et de presque tous les organes. L’organisme puise dans ses réserves afin de subvenir aux besoins des organes vitaux et de les préserver. Cela permet de débarrasser le corps de ses toxines et de ses tissus lésés. Les estomacs ou intestins endommagés sont alors soulagés, se régénèrent, et la flore intestinale se développe. Le cœur, le foie et les reins se restaurent, la qualité de la peau s’améliore, l’esprit s’éclaircit, de même pour les capacités créatives et de mémorisation. Le jeûne permet également de nettoyer le corps et de lutter contre les dépendances : tabac, café, alcool… En cela, le jeûne contribuerait au traitement de plusieurs maladies : l’hypertension artérielle, l’arthrite rhumatoïde, l’intestin irritable et induire une perte de poids que nous essaierons de développer par la suite.

POUR JEUNER : COMPRENDRE LA NUTRITION

La nutrition peut être divisée en deux phases : la phase positive et la phase négative. La première correspond aux périodes d’alimentation et la seconde aux périodes d’abstention de nourriture. La période négative a l’appellation de jeûne et d’inanition (le jeûne et l’inanition sont des phénomènes différents, bien délimités).

Le jeûne complet consiste à s’abstenir de tout aliment solide et liquide, à l’exception de l’eau pendant une période plus ou moins longue dans le but de reposer, détoxiquer et régénérer l’organisme. Les gens qui entreprennent un jeûne le font généralement pour «faire un grand ménage» ou donner au corps des conditions optimales de guérison. De tout temps, il a également été associé à des pratiques spirituelles ou religieuses. Il procurerait en outre un sentiment de clarté d’esprit et de «désencombrement mental».

Bien qu’on utilise librement le terme «jeûne» pour englober plusieurs types de cures et de jeûnes, il importe de faire une distinction entre le jeûne complet et les cures. Au cours d’un jeûne véritable, seule l’eau est permise et le repos complet est recommandé. La cure (ou diète, ou encore jeûne partiel) est plutôt basée sur diverses diètes restreintes comprenant des jus de fruits, de légumes, et parfois certains autres nutriments (céréales, infusions, bouillons, suppléments alimentaires, etc.). Ces cures de diète, qui se veulent souvent thérapeutiques, peuvent être adaptées aux besoins particuliers des jeûneurs et varient selon l’approche des intervenants. Elles conviennent aux personnes qui ont des besoins particuliers, qui ne peuvent, en raison de leur santé, vivre un jeûne complet. Elles constituent parfois, une initiation au jeûne par une approche plus douce.

Mais «Prendre de petits repas répétés, dit le Dr Chas.E.Page, n'est pas jeûner. On ne devrait prendre aucune bouchée ni gorgée de quoi que ce soit, sauf d'eau.» Et de poursuivre : «Le jeûne est un repos: des vacances physiologiques. Ce n’est pas une épreuve ni une pénitence. C’est une mesure de nettoyage qui mérite d’être mieux connue et plus largement employée.»

LE JEUNE EST-IL DANGEREUX ?

L’application du jeûne à des fins thérapeutiques demeure toutefois un sujet controversé, certains praticiens y voient un danger pour la santé.

Le docteur Henry Tanner jeûna, suite à une maladie, quarante deux jours à des fins thérapeutiques, au terme de son abstinence de nourriture, il se rétablit. Il ne fut malheureusement pas cru par ses pairs dont l’enseignement reçu et donné de l’époque dans les facultés de médecine, ne pouvait concevoir un jeûne excéder 10 jours sans quoi la personne décéderait. Il entreprit alors un jeûne "très suivi par les médias (1880)", d’une durée de quarante jours à New York sous la surveillance de ses confrères et prouvant doublement de sa faisabilité bien au-delà des dix jours et de sa non dangerosité.

Depuis des millénaires, le jeûne a représenté un moyen important de survivance, et même à notre époque, il est souvent pratiqué dans des conditions d’exception chez les naufragés, les marins égarés, des mineurs ensevelis, au cours des guerres, des famines… Il est pratiqué également dans diverses situations telles les grèves de la faim, les jeunes religieux, les jeunes comme disciplines pratiquées par Aristote, Socrate, Platon, Gandhi…

Exceptionnels, les jeûnes sont parfois obligés par une force majeure quand l’alimentation est impossible telle l’ablation chirurgicale de l’estomac, les mises au repos du tube digestif dans les pancréatites, les occlusions intestinales… Pourtant, dans les hôpitaux, la vie de ces jeûneurs n’est pas mise en danger, ils s’en sortent «pas si mal».
 
QU’EN EST-IL ALORS CHEZ LES ANIMAUX ?

Une maladie sérieuse pousse tout animal à jeûner. Le daim bléssé se retire dans un antre et s’abstient de manger des semaines de suite. Les animaux, guidés par un instinct infaillible, limitent le plus possible leur nourriture s'ils sont malades ou blessés. Ne pouvons-nous pas apprendre en observant les activités normales et régulières des animaux vivant normalement et de nous apprendre des choses lorsqu'ils sont dans des conditions anormales et soumis à des processus qu’ils ne rencontrent jamais au cours de leur existence normale ?

Le fermier sait que son cheval «fourbu» ne mangera pas : il «repousse sa ration». Le chat, le chien, la vache ou tout autre animal refusent de manger lorsqu'ils sont malades. Un chien ou un chat, malade ou blessé, se retirera dans quelque endroit afin de se reposer et de jeuner jusqu’à ce qu’il aille mieux. De temps en temps il sortira pour boire de l'eau. Ces animaux, lorsqu'ils sont blessés ou malades, refuseront avec persistance la nourriture la plus tentante qu’on puisse leur offrir pendant des jours et des semaines, jusqu'à ce qu’ils se soient rétablis. Le repos physique, le repos physiologique et l'eau sont leurs remèdes. En fait toute la nature obéit à cet instinct. Ainsi, la nature nous enseigne que la façon de se nourrir dans le cas de maladie aigue est justement de s'abstenir de toute nourriture.

Par manque de nourriture les animaux jeunent pendant des périodes plus ou moins longues en temps de disette, lorsque surviennent des catastrophes naturelles telles les inondations, les sécheresses ou les tempêtes… Ces dernières détruisent les provisions de nourriture de ces animaux, de même que lorsque la neige recouvre leur nourriture, la rendant temporairement inaccessible. Il arrive souvent qu'au cours de leur vie, les animaux soient forcés de rester plusieurs jours sans nourriture pour la bonne raison qu’ils ne peuvent en trouver. Parfois, bien que ce soit assez rare, ils restent si longtemps sans nourriture qu'ils finissent par mourir de faim. Mais le plus souvent, ils possèdent des réserves suffisantes leur permettant de rester sans manger pendant longtemps et de survivre.

L’exemple de l’hibernation chez les animaux : L'hiver est une période difficile, notamment dans les pays nordiques, pour beaucoup de plantes et d’animaux. Avec ses jours courts, sa température basse, le temps orageux, l'insuffisance de nourriture, les animaux comme les plantes doivent résoudre le problème de survie dans des circonstances très défavorables. Tous les animaux de même que les plantes s'adaptent d'une façon ou d’une autre à la saison hivernale, et ce, par l’hibernation.

L'hibernation est un état de sommeil durant lequel la respiration, la circulation et le métabolisme sont considérablement diminués. Pendant cette période, les fonctions vitales sont presque suspendues; la chaleur du corps s'abaisse avec une tendance à se décliner vers la température de l’air, l’activité cardiaque est réduite et les animaux perdent de trente à quarante pour cent de leur poids. Pendant l'hibernation le mammifère peut ne pas manger, dépendant alors entièrement des réserves de nourriture accumulées dans son corps. Bien entendu, chez d'autres animaux, la nourriture est emmagasinée dans leur habitat d’hiver pour s’éveiller de temps en temps afin consommer leurs provisions.

Oswald dit: «Les reptiles, avec leur petite dépense d’énergie vitale, peuvent survivre facilement à des privations diététiques, mais les ours et les blaireaux, avec une organisation essentiellement analogue à celle des espèces humaines, et dont la circulation sanguine est suffisamment active pour maintenir leur température corporelle d’une cinquantaine de degrés supérieure à celle des tempêtes d’hiver, se passent de nourriture pendant des périodes variant de trois à cinq mois , et à la fin de leur épreuve, ils sortent de leurs retraites en pleine possession de leurs énergies physique et mentale.»

Edwin E. Slossom rapporte: «Chez les animaux inférieurs, la vie en état d’inanition peut aller jusqu’à des périodes incroyablement longues. On a vu des scorpions privés de nourriture pendant 368 jours et des araignées ont survécu à une privation de nourriture qui dura dix-sept mois. Les larves des petits scarabées passent pour résister plus de cinq ans sans nourriture, leur corps n’étant réduit pendant cette période que de six pour cent de ce qu'il était au départ. Il y a le record unique d’un poisson d’eau douce, Amia Calva, qui jeuna vingt mois et qui n’avait certainement pas atteint la fin de ses possibilités lorsqu’il fut tué. Des grenouilles survivent à la privation de nourriture pendant seize mois, et des serpents restent en vie même après deux ans de jeûne. Le plus long record enduré par un chien fut de 117 jours, soit prêt de quatre mois.»

LE JEUNE EST-IL INSTINCTIF ?

Selon toujours les défenseurs du jeûne protecteur et thérapeutique, plus que toute autre méthode, le jeune est strictement naturel. C’est sans aucun doute le plus vieux de tous les moyens employés pour parer à ces crises de l'organisme appelées «maladie». Dans le domaine humain, l'instinct ne prévaut que dans la limite où nous le lui permettons. Bien qu'une des premières choses que la nature fasse à la personne atteinte de «maladie» aigue soit d’arrêter tout désir de manger, les proches, bien attentionnés du malade, l’encouragent à manger. Ils peuvent apporter des plats appétissants en tentant d’exciter l’appétit mais le seul résultat qu’ils obtiennent, c'est de lui faire grignoter quelques morceaux. Selon Nikolaev(1): “ C’est parce que ses instincts organiques savent que le fait de manger de facon habituelle augmente la maladie ”.

L’HISTOIRE DU DOCTEUR OTTO BUCHINGER (2)

Otto Buchinger est né à Darmstadt, en Allemagne, en 1878, il fait des études en médecine, et traverse la première guerre mondiale dans la Marine, en qualité de médecin. Quand, en 1917, une polyarthrite rhumatoïde fait basculer sa vie. Sa mobilité en est alors si réduite, qu'il se voit contraint de quitter la Marine pour invalidité. Les souffrances devenues intolérables et l'impuissance de la médecine, à pouvoir le soulager, le conduisent à chercher ailleurs et se tourner vers des traitements alternatifs. Après s’être penché de longues années sur la question du jeûne et des quelques expériences en Europe et aux USA, il se décide en 1919, à entamer un jeûne «thérapeutique» recommandé et supervisé par un praticien fribourgeois, Dr Riedling. Ce jeûne lui a littéralement sauvé la vie, et il se consacre désormais au développement d'un concept méthodologique et d'une thérapie médicale, centrés sur le jeûne. Il ausculte les connaissances accumulées sur le jeûne mené à des fins thérapeutiques, depuis l'Antiquité jusqu'à nos jours. Il crée un centre de cure en 1920, à Witzenhausen. Il se voit décerner en 1953, l'ordre du Mérite de la République Fédérale d'Allemagne, pour s'être engagé et d’avoir tant de succès dans cette voie de recherche et d’exploration. Cela étant, jeûner régulièrement reste pour lui, sa vie durant, un besoin. Et une source de force pour une longue vie, saine et active, laquelle lui permet de faire bouger beaucoup de choses, avant de s'éteindre à l'âge de 88 ans. Les expériences accumulées au fil des quelque 250 000 jeûnes thérapeutiques, évalués sous son égide et par ses collaborateurs, puis par ses successeurs, constitue effectivement une base non négligeable des travaux scientifiques.

REPARATION DES TISSUS PENDANT LE JEUNE

Selon H. M. Shelton, «le corps a la capacité d'autolyser (3) ses réserves et ses tissus les moins importants, de même sa capacité de transférer ses matériaux d’une partie du corps à une autre. Les tissus et les organes se rétablissent pendant un jeûne ; et même qu’ils se réparent souvent plus rapidement que lorsqu’on mange les qualités habituelles d’«aliments bien nourrissants». Le corps a un très grand stock de réserves nutritives destinées à être employées en cas de nécessité, et qui peuvent être utilisées dans ce cas avec une facilité plus grande avec moins de dépense de la part du corps qu’avec la nourriture assurée par le laborieux processus de la digestion; en effet, il est moins couteux pour l’organisme de fournir l'alimentation demandée sur ses réserves nutritives plutôt que de l’élaborer par le mécanisme digestif à partir de matériaux bruts. Ces réserves sont disponibles pour la réparation des tissus ; La réparation ne se produit pas seulement pendant un jeune, mais elle s’effectue souvent plus rapidement pendant un jeûne que lorsqu’on s’alimente.

Une étude réalisée sur la croissance et sur la régénération pendant le jeûne nous fait constater le pouvoir remarquable du corps qui consiste à se purifier et employer les matériaux qu’il a à sa portée quand il est privé de nourriture de l’extérieur. La croissance est déterminée par deux groupes de causes, à savoir : le facteur interne d’impulsion de croissance, et le facteur externe de Contrôle de croissance.

Toujours selon H.M.Shelton : «la nature de la force de croissance, ou impulsion qui est la cause réelle de croissance, est totalement inconnue. Elle serait profondément enracinée dans la constitution de l'organisme et nous disons que c'est une impulsion héréditaire prédéterminée qui a atteint un certain maximum dans les conditions les plus favorables.

Les facteurs qui contrôlent la croissance sont assez bien connus. Ce sont la nourriture, l’eau, l’air, la chaleur, le soleil, ou l’absence de ces derniers. Intérieurement, nous trouvons dans les glandes endocrines un mécanisme chimique remarquable pour régler la croissance. Comme il y a une chose importante assurée par le jeune: le repos des organes du corps.

La stimulation excessive des fonctions physiologiques, qui résulte de la suralimentation, les affaiblit et les surmène. Le jeune change complètement cela et permet aux organes de se rétablir. Pendant le repos ainsi accordé, ces organes sont capables de réparer leurs énergies surmenées; ils sont prêts ainsi à se remettre en fonction. Un jeûne est aux organes du corps ce qu’une nuit de repos complet est au travailleur fatigué.

En outre, l’amaigrissement libère le corps des matériaux inertes en excès dans ses tissus et s'avère ainsi être d’un grand bien fait. Une des premières choses que la nature fait dans le cas d'une «maladie» aigue et de jeter une grande quantité de son excédent de poids. Elle soulage le corps d’une charge inutile. La diminution du poids est une méthode naturelle de défense. Il n'y a aucun moyen connu qui soit égal au jeûne pour accélérer les processus d’élimination.

JEUNE ET CANCER : LES TRAVAUX DE VALTER LONGO, CHERCHEUR / USA

En cancérologie, l'idée même de jeûner va à l'encontre des préconisations officielles, qui demandent au malade de se «renforcer» en mangeant plus, notamment des protéines. Or les protéines d'origine animales, riches en facteurs de croissance, peuvent devenir un allié des cellules cancéreuses.

Valter Longo, Chercheur, fasciné par le mystère de la mort et de la dégénérescence, cherche à en décrypter les mécanismes et émet l'hypothèse que le jeûne protégerait les cellules du corps humain: «En période de jeûne, nos cellules saines se protègent, elles vont même de mieux en mieux. Elles ont gardé un patrimoine génétique permettant l’adaptation aux circonstances extrêmes, par exemple au manque de glucides pendant le jeûne. Alors que les cellules cancéreuses, elles, ont perdu ce patrimoine génétique et sont dépendantes du sucre (glucides). Sans glucides, les cellules cancéreuses régressent, voire disparaissent.» C'est ainsi qu'il a étudié la restriction calorique, dont on sait depuis les années 1930, qu'elle peut augmenter la durée de vie (du moins chez les souris), et qu'il est passé à la restriction calorique extrême: le jeûne. Là où Longo rejoint les chercheurs russes, c'est dans sa préoccupation à trouver des solutions rapidement applicables. «Ça ne sert à rien de promettre aux malades d'aujourd'hui un traitement pour dans 20 ans», aime-t-il à répéter. Et le jeûne apparaît comme une solution complémentaire facile à mettre en œuvre... et pas chère. Ces découvertes et hypothèses vont à l’encontre des pratiques actuelles. La plupart des cancérologues estiment que jeûner est une hérésie.

En 2007, il a l'idée de confronter l'organisme à un poison et d'observer si le jeûne a un réel effet protecteur. Il choisit un poison largement utilisé en médecine: la chimiothérapie qui représente un traitement cytotoxique. En effet, si le jeûne pouvait protéger les cellules saines de la chimiothérapie, cela ouvrirait un gigantesque champ d’exploration dans la science médicale moderne. Dans son laboratoire, Longo et son équipe prennent deux groupes de souris atteintes de cancer. Le premier groupe mange sans restriction, le second est soumis à un jeûne de 48 heures. On donne des fortes doses de chimiothérapie à toutes les souris et à la surprise générale: les deux tiers des souris nourries normalement meurent alors que les survivantes ont des atteintes neurologiques et musculaires, tandis que les souris qui avaient jeûné sont en pleine forme.

Ces résultats spectaculaires sont expliqués grâce aux techniques de biologie moléculaire, il observe la modification de l'expression des gènes après 48 heures de jeûne environ. Il peut expliquer que les cellules saines se mettent en mode «protection», en économisant leur énergie, alors que les cellules cancéreuses sont incapables de se protéger. Elles détestent le jeûne, cherchent toujours du «carburant» qu'elles ne trouvent plus. Quand les molécules de chimiothérapie arrivent dans l'organisme, les cellules saines s'en protègent et les cellules cancéreuses l'absorbent avec avidité.

Dans la publication de ses premiers résultats en février 2012, Valter Longo établit que la chimiothérapie marche beaucoup mieux sur les souris qui jeûnent que sur celles qui mangent. L’extrapolation à l’homme reste à prouver, néanmoins, il est permis de penser que la «protection» s'opèrerait également à l’homme du moment que les mécanismes de base du jeûne fonctionnent de la même manière. Des essais cliniques viennent ainsi de démarrer au Norris Hospital de Los Angeles, et à la Mayo Clinique de Rochester.

LES CHERCHEURS SOVIETIQUES : EN AVANCE ?

Les Soviétiques ont beaucoup travaillé sur le jeûne pendant une quarantaine d'années: ils ont publié des centaines d'études sur le sujet, mais ces études sont restées inconnues parce qu'elles n'ont jamais été traduites. Des milliers de pages reposent dans une bibliothèque de l'Académie des Sciences de Russie, à Moscou. De grands scientifiques russes comme Pavlov ou Pashutin avaient étudié les mécanismes du jeûne chez l'animal à la fin du XIXème siècle.

Dans les années 50, Dr Y. Nicolaev(2), va se lancer dans des recherches modernes. Opposé au gavage forcé de certains patients en psychiatrie, Nicolaev va laisser quelques-uns de ses malades ne pas s'alimenter... le temps qu'ils le désirent. Et le médecin observe des rétablissements spectaculaires. Avec l'assentiment prudent des autorités, il multiplie les cas, toujours avec l'accord éclairé du patient. Et non seulement il note des améliorations de l'état psychique, mais aussi de l'état physique. Les maladies somatiques tendent à disparaître.

Avec toute une équipe de biologistes, Nicolaev mène alors des recherches sur les deux fronts: psychique et physique et les résultats sont spectaculaires. Le régime soviétique lance alors un programme de recherche sans précédent: c'est dans toute l'Union Soviétique que l'on va étudier les effets du jeûne, à Moscou, Leningrad, Kiev, Minsk, Rostov... À chaque hôpital sa spécialité: maladies de peau, cardio-vasculaires, gastro-intestinales, bronchiques, rhumatismales... Ces études se poursuivent intensément jusqu'en 1988, année où l'Académie des Sciences intègre le jeûne dans la panoplie thérapeutique. Une spécialité est créée, un manuel est publié avec indications et contre-indications. Dans sa clinique, en Sibérie, plus de 1000 personnes viennent jeûner chaque année. Les résultats sont très appréciables pour beaucoup de maladies. Les Soviétiques puis les Russes, ont constitué quarante ans d’études cliniques, établi des protocoles et ont soigné des dizaines de milliers de patients.
 
JEUNER : RESPECTER LE PROTOCOLE

Avant d’entreprendre un jeûne complet ou partiel, il est recommandé de vérifier son état de santé auprès d’un médecin, particulièrement pour les personnes sous traitement. L’intervenant qui supervise le jeûne effectue un bilan de santé avant que le jeûne commence, puis un examen de contrôle quotidien. Au début du jeûne, il se peut que la faim vous tiraille, mais cette sensation disparaît généralement après le 2e jour. Elle fait souvent place à une sensation de légèreté, voire à une certaine euphorie et une plus grande clarté d’esprit. La perte de poids initiale est essentiellement attribuable à une élimination d’eau et de sel. Ensuite, pour chaque kilo en moins, le corps perd approximativement 310 g de protéines et 550 g de graisse. Dans bon nombre d’établissements, la durée du jeûne est de 3 à 10 jours et peut se prolonger jusqu’à 3 semaines. Certains recommandent de cesser le jeûne au moment où l’organisme est tout à fait libéré de ses toxines, c’est-à-dire lorsque la faim réapparaît. Cela suppose généralement un jeûne d’assez longue durée, déconseillé aux jeûneurs inexpérimentés.

POUR CONCLURE

Aujourd'hui, une dizaine d'hôpitaux publics proposent des cures de jeûne, notamment l'hôpital de la Charité à Berlin, et ces cures sont remboursées par le système de sécurité sociale allemand. Une demande des patients de plus en plus croissante et des centaines voire des milliers de centres où l’on pratique le jeûne voient le jour à travers les quatre coins du monde : en Europe, aux USA, en Australie et en Asie. Dans un monde occidental où l’on vit de plus en plus longtemps, mais où l’espérance de vie en bonne santé n’est que de 62 ans, beaucoup d’interrogations se posent sur les moyens de rester en forme, d’échapper à ces fléaux qui surviennent avec l’âge. L’allongement de la vie «en bonne santé» ou plus simplement l’espoir de vivre vieux et en bonne forme ? Il est vrai que rhumatismes, maladies auto-immunes, diabète, maladies dermatologiques et allergies, hypertension artérielle, cancer…n’arrivent toujours pas à être guéries par la médecine occidentale dite conventionnelle. Les Russes et les Allemands démontrent que le jeûne peut apporter une réponse efficace contre ces maladies chroniques, dites aussi de «civilisation».

Et Thierry De Lestrade pour conclure : «Jeûner, c'est se réapproprier son corps, restructurer son temps, retrouver une liberté nouvelle. C'est réapprendre que le manque ne doit pas être vécu comme une défaite. Et si moins d’apports, pouvait être plus de santé ?»

* Médecin CHU Oran et GRAS

(1) Yuri Nicolaev, Psychiatre russe, mort en 1998 à 92 ans (40 ans d’études cliniques sur le jeûne).
(2) Otto BUCHINGER, Médecin, philosophe, l’un des pionniers du jeûne thérapeutique.
(3) Le mot autolyse provient du grec et signifie, littéralement perte de soi-même. On l'emploie en physiologie pour désigner le processus de digestion ou de désintégration de tissus par des ferments produits dans les cellules elles- mêmes. C’est un processus d’autodigestion. Un certain nombre d'enzymes autolytiques sont connues : les oxydases et les peroxydases.