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Quand la Banque d'Algérie parle pour Sonatrach

par Abed Charef

La Banque d'Algérie, une institution austère ? En apparence, oui. Mais les données qu'elles publient sont très parlantes.

Difficile, avec cette canicule du mois d'août, et en pleine périodes de congés, d'inviter le lecteur à un texte rébarbatif sur l'économie pétrolière. Pourtant, l'exercice peut se révéler intéressant, car l'actualité économique offre un cas d'école de la gestion à l'algérienne, avec tout ce que cela peut receler comme intrigues,non-dits, et ce que cela occulte comme décisions graves recouvertes de mots apaisants. Ce qui suscite des questions, nombreuses, et impose des acrobaties pour tenter de comprendre ce qui se passe réellement.

Cette fois-ci, c'est le limogeage de l'ancien patron de Sonatrach, M. Abdelhamid Zerguine, et son remplacement par M. Saïd Sahnoun, l'ancien responsable de l'activité amont, c'est-à-dire exploration et exploitation, qui suscite tous ces remous. Pourquoi ce changement, alors que Sonatrach amorce un virage sensible, celui de l'exploitation du gaz de schiste et du lancement des premiers gisements off-shore? Chacun y est allé de son explication. Ceux qui, implicitement, ont critiqué le départ de M. Zerguine lui ont donné le beau rôle, en adoptant la vielle règle selon laquelle les bons sont toujours virés. Ils ont ainsi affirmé que M. Zerguine se serait opposé à des passations de marchés douteux, qu'il aurait refusé d'avaliser des décisions à la limite de la légalité. Il y en a même qui ont prétendu qu'il s'est opposé frontalement à son ministre de tutelle, voire qu'il aurait affiché une démarche nettement différente de celle de M. Youcef Yousfi sur certains dossiers épineux comme les forages en off-shore et le gaz de schiste.

Côté opposé, on a soutenu qu'il n'a pas atteint les objectifs fixés, et que, de toutes les façons, son sort était fixé depuis longtemps, et il n'aurait été sauvé que par l'affaire de Tiguentourine, la tutelle ayant refusé de le faire apparaitre comme le bouc émissaire de la prise d'otages.

BAISSE EN VALEUR ET EN VOLUME

Où trouver la bonne réponse, quand on sait que dans tous ces arguments, il y a probablement un peu de vrai ? La bonne explication se trouve peut-être dans un rapport touffu de la Banque d'Algérie ; une note de conjoncture apparemment sans rapport avec les hydrocarbures, mais qui révèle un fait majeur pour l'économie algérienne : contrairement au discours rassurant en vigueur, la production d'hydrocarbures se maintient dans une tendance baissière alarmante. Au premier trimestre 2014, les exportations d'hydrocarbures ont baissé de 9% en volume, et de 12% en valeur.

Ceci nécessite quelques rappels. L'Algérie a atteint un pic de production en 2008. Depuis, la production baisse, une tendance accélérée par Tiguentourine, qui représentait 12% de la production et 18% des exportations de gaz naturel ; ce qui montre le côté farfelu du discours de M. Chakib Khelil, qui affirmait vouloir porter les exportations de gaz au-dessus de 100 milliards de mètres cube, et confirme, surtout, une tendance difficile à inverser. Il faudra autre chose que les intentions pieuses de M. Youcef Yousfi pour revenir à des niveaux d'exportation de 2008, d'autant plus que la consommation interne explose.

Après six années de baisse consécutive des exportations, il fallait, dans un premier temps, stopper l'hémorragie, avant d'espérer remonter progressivement la pente pour envisager de retrouver, en 2018, le niveau de production de 2008. Mais il s'agit là de production, pas d'exportation, car dans l'intervalle, la hausse insupportable de la consommation interne mène le défi à des niveaux insupportables. Ce qui a amené le ministère de l'Energie à conclure qu'à moins d'un évènement spectaculaire, il sera impossible d'être au rendez-vous dans les temps.

REPONSES DIFFERENTES

Comment M. Yousfi répond-il à ce défi? Chakib Khelil avait forcé sur le pompage, ce qui a provoqué de graves dommages à HassiR'Mel. M. Yousfi table sur l'intensification des recherches, sur l'exploration off-shore, et l'exploitation du gaz de schiste, une configuration complètement nouvelle, avec un pari très risqué. Il peut décrocher la timbale en cas de découverte intéressante, mais il peut rejoindre Chakib Kelil parmi les vendeurs d'illusions, en cas de résultats peu significatifs.

Une autre donnée collatérale perturbe le ministère de l'Energie. Certes, contrairement à ce que disent les pétro-pessimistes, le prix du pétrole ne risque pas de s'effondrer, car cela entrainerait la faillite d'une partie de la production américaine ; mais le marché du pétrole est saturé, malgré l'absence de production libyenne et irakienne. Ce qui signifie que la tendance des prix est à la baisse est une perspective de long terme, avec des fondamentaux du marché qui pourraient se maintenir pour plusieurs années.

C'est l'essence de l'avertissement de la Banque d'Algérie. Sans se situer dans un scénario-catastrophe, elle lance une nouvelle alerte, pour rappeler que si l'Algérie a encore de la marge pour maintenir les grands équilibres macro-économiques, son économie reste trop dépendante et, surtout, elle se maintient dans une tendance qui n'est pas la bonne. Les indicateurs les plus significatifs demeurent mal orientés. Il suffit de les lire.