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De l'inculture touristique de certains Algériens

par Bachir Ben Nadji

Où pourrais-je trouver la mer ici à Tlemcen, m'a intercepté cet homme mardi dernier en fin de journée et qui n'était pas content de l'hôtel où il s'est installé en plein centre de la ville des Zianides. Il est arrivé d'une ville du Sud avec femme et bébé, près de 600 bornes et une dizaine d'heures de route, et à ce que j'ai pu comprendre, sans savoir quoi que ce soit de là où il va.

Il m'a surpris, moi qui venais d'arriver à Tlemcen après quelques heures de route, un peu sonné par mon passage professionnel au niveau de chefs-lieux de wilayas ou j'avais été envoyé en mission par mes supérieurs. Notre bonhomme n'était pas satisfait de l'hôtel ou il a " atterri ". Il voulait être près de la mer et il m'en a parlé avec insistance. Il était arrivé depuis peu et n'avait aucune idée de la localité ou il se trouvait, pensant que la capitale des zianides était une ville côtière. Il voulait trouver un hôtel à coté de la grande bleue, aucune idée sur les réservations qui se font des mois et des semaines au préalable, sur l'incapacité des hôtels s'y trouvant de prendre en charge toute la demande des algériens, notamment au mois d'août, juste à quelques jours de la fin du mois de ramadhan qui a vu le début grand rush, entamé après que les réservations eut été faites par certaines familles bien des mois à l'avance.

Ce quidam, je ne pouvais pas lui expliquer quoi que ce soit sur le coup, j'étais moi aussi fatigué, je voulais garer ma voiture et m'installer là ou j'étais attendu, mais le voyant désemparé j'ai tenu à lui accorder de mon temps et de mon repos physique afin de lui expliquer qu'il ne se trouvait pas loin de la mer, mais qu'il était dans une belle région ou il pouvait découvrir de bonnes choses dans le domaine touristique et de la découverte. Je l'ai dissuadé de quitter Tlemcen parce qu'il ne pouvait pas trouver un seul lit ou une seule place dans les structures touristiques de toutes les wilayas côtières de la région Ouest du pays, ni d'ailleurs. Au contraire, il avait de la chance de se retrouver dans une localité intra muros, loin de subir la pression des villes du littoral.

Et là, soudainement et au regard de l'ignorance de ce monsieur, je me suis transformé en guide et en conseiller touristique pour les besoins de la cause. Je lui ai parlé du plateau de Lalla Setti, un lieu touristique par excellence pour les tlémceniens et les gens de la région ouest et, dirais-je, même de toute l'Algérie. Je l'ai rassuré qu'il n'était pas très loin de la mer, et que véhiculé il pouvait profiter des plaisirs de la mer journellement et rejoindre Tlemcen dans la soirée pour y dormir et se reposer. Je lui ai même conseillé de découvrir les facettes géographiques de la région, je lui ai aussi parlé succinctement des grottes des Béni Aadd (commune de Ain Fezza), de la région de l'Ourit, de Maghnia, de Ghazaouet, de Nedroma.

En quelques minutes, je suis arrivé à le convaincre, il me remercia et démarra dans sa voiture pour je ne sais quelle course dans une ville qu'il ne connaissait pas quelques heures avant d'y arriver et sur laquelle il n'avait aucune idée, pensant à se retrouver dans une ville de la côte méditerranéenne.

Dans la soirée et après un peu de repos, une douche réparatrice et un bon diner, et au moment où je sortais pour profiter d'un peu d'air, je rencontrais notre quidam qui partait garer sa voiture là ou on lui a dit de le faire. Celui-ci me saluais avec un grand sourire, et en répondant à ma question s'il allait bien, il me fit part de la visite qu'il a effectué au plateau de Lalla Setti, il me fit part de sa satisfaction de découvrir ce lieu, de la beauté du site qu'il ne connaissait pas et qui n'avait pas pareil dans la région d'où il venait. Et comme si je venais de la planète Mars, il m'a " fait savoir " que le paysage de sa région était celui du sable et du désert seulement.

Pendant le diner et avec mes amis et collègues de travail, votre serviteur ouvrit le débat sur la culture touristique chez les algériens et chez les autres peuples. Et on a malheureusement déduit ce qui suit.

Déjà l'algérien dans sa culture ne part pas en vacances, il prend un congé soit pour dormir, soit pour repeindre la maison ou l'appartement, achever des travaux de maçonnerie, réparer ou refaire le moteur, sa suspension, ou reprendre la tôle de sa voiture quand il en a une. Sinon, il a mille et une autre raison de ne pas se reposer, préparer un mariage de sa fille, de son fils, de son frère et d'un autre membre de sa famille proche ou éloignée.

Pour les loisirs, l'algérien ne lit pas, il feuillette le journal de temps à autre, à la télévision il est collé pour ne pas faire autre chose, il n'aime pas être trop dérangé.

Prendre sa femme et les enfants et partir visiter une zone forestière ça ne l'enchante pas. Partir à la mer, il le fait à contre cœur, une fois par semaine mais ça coûte les yeux de la tête et il y a un cassement de tête terrible. Les embouteillages sur les routes dérangent beaucoup, il faut choisir le moment d'y aller, et tout le monde programme les départs en même temps. Sur place, il y a un monde fou, pas même une petite place pour le parasol qu'on a pris et les chaises pliantes ramenées dans la malle de la voiture.

Quand on possède une automobile, c'est demi-mal, mais quand on en dispose pas c'est la croix et la bannière. Faudrait-il utiliser les bus, les trains, les avions ou les taxis collectifs ou rester à la maison, je pense que la dernière proposition est la meilleure même si le train est pas mal de gare en gare, mais que faire quand on descend de train pour joindre la côte, et là on retombe sur les bus et quels bus, sur les taxis et quels taxis surtout quand on est une famille nombreuse et avons des enfants en bas âge. Le mieux serait de rester à la maison, passer son congé avec la télé et les enfants, réparer ce qui doit l'être, aller de café en café, jouer aux dominos, veiller, rendre visite à des amis, écouter les rumeurs et les dira-t-on, et enfin attendre le premier jour de la reprise de travail.

L'algérien ne met pas d'argent de côté pendant toute l'année pour passer ses vacances, il a mille et une dépenses durant les 365 jours. Il a la rentrée scolaire et ses dépenses obligatoires, il a le ramadhan avec ses belles et bonnes tables, les deux fêtes de l'Aïd avec les beaux vêtements et le beau mouton, il a et il a, et avec tout cela il n'a pas les moyens de penser à mettre de l'argent de côté pour les vacances, et il ne peut rien.

Quand il en a les moyens, l'algérien ne réserve jamais à l'avance une chambre d'hôtel ou un bungalow pour ses vacances. Il y va directement laissant les choses à la chance et au Bon Dieu, et il a généralement de la chance même s'il doit faire le tour de la ville ou il se rend, et va faire le pied de grue devant la seule réception d'hôtel ou on lui répondra qu'il y a quelqu'un qui a réservé et on ne sait pas s'il va venir ou pas. L'algérien compte beaucoup sur la chance et dans la majorité des cas, il l'a et c'est tant mieux pour lui.

Depuis quelques années, une nouvelle catégorie d'algériens s'est mise aux vacances, et là on s'adresse aux agences de ? tourisme qui vous emmènent loin hors d'Algérie, hors d'Afrique, hors du monde arabe, hors d'Europe aussi. Ces agences peuvent vous menez loin et assez loin, ou peut être au cas ou vous n'avez pas de chance, vous laisser sur place pour enfin vous rembourser votre argent, des semaines ou des moins après au cas ou vous avez ? de la chance. Quand elles peuvent, ces agences sont fortes pour organiser la Omra aux Lieux Saints de l'Islam et des vacances dans le pays voisin, surtout du temps ou ce pays connaissait ces meilleurs jours de paix et de stabilité, car cette année plus spécialement il y a des risques même si les politiciens vous promettront le contraire, mais ça restera des avis de politiques, point c'est tout. Il y a aussi parmi cette catégorie d'algériens, même s'ils ne sont pas nombreux, ceux qui partent en Espagne, en France, en Turquie, au Maroc, et un peu partout ailleurs pour voir comment va le tourisme dans ces pays, contrairement à ce qui se passe chez eux en été. Chez eux, les plages font le plein pas même une place pour une aiguille et l'absence d'hygiène règne en maitresse.

L'hygiène parlons-en, nos villes regorgent d'ordures mal levées ou pas levées du tout, nos trottoirs sont sales, la poussière partout, les services communaux comme les élus sont " démissionnaires ", il n'y a que les cafés qui regorgent de clients, les salles de fêtes pour les mariages car en Algérie on ne se marient qu'en été alors que partout dans le monde les gens se marient durant toute l'année.

Nos villes ne sont pas animées, et il n'y a que quelques unes qui connaissent des activités culturelles et musicales alors que les associations et les troupes de musique et de folklore ce n'est pas ce qui manque. Rien n'est mis à profit pour permettre à l'algérien de jouir de son congé et de son repos même hebdomadaire. Le vendredi est consacré le matin au marché et l'après midi à la prière d'El Djoumouaa, et le reste de la journée plus rien, même les magasins sont fermés au-delà de la prière. La vie s'arrête et l'algérien reste cloitré chez lui collé à la télévision surtout quand il n'a pas de voiture, sinon le reste ceux qui ont les moyens, bouclent les routes ou il y a quelque chose à voir comme le sont les quelques espaces ou on peut s'aérer, s'oxygéner, voir de bonnes choses, des curiosités comme les animaux sauvages, les parcs zoologiques ou les endroits ou évoluent des singes magots.

A Tlemcen il y a Lalla Setti mais l'animation est absente sauf celle des fast-foods ou restaurants. Certes il y a le mirador d'où on peut voir toute la ville de jour comme de nuit, il y a des étangs, mais on peut ramener des troupes folkloriques le soir pour créer une ambiance bon enfant. En ville, il y a les quartiers des fringues, traditionnels ou autres, c'est tout en plus d'une circulation qui rend malade, alors que les autorités peuvent créer des activités attractives de découverte de toute la région. Les routes sont bonnes pour aller voir les grottes et les chutes d'eau de l'Ourit, les barrages, les retenues collinaires, les monts et vallées, les musées, les ruines, les mosquées, la ville de Nedroma avec sa vieille casbah, ses ruelles étroites, son marché. Il y a beaucoup de choses à voir un peu partout dans toutes les villes d'Algérie, pour peu que les autorités locales retroussent leurs manches pour s'occuper du tourisme culturel, cultuel, thermal, historique, outre celui estival, ce qui peut leur rapporter beaucoup en matière de ressources. Pour peu qu'elles aient la volonté au lieu de sombrer dans les faux problèmes de luttes politiques et autres et qui fait d'elles des mal aimées de la population qui les a élus à ces postes et qui regrettent d'avoir fait ces choix. Le tourisme de masse est un bon créneau qui ne demande pas grand-chose, un peu de jugeote, pas de grands moyens et il faut avoir le courage d'y aller, un peu de volonté et le tour est joué. A bon entendeur salut.