Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Dans la logique du tout social : Alger à l'épreuve du transport maritime

par Abdelkader Khelil *

Le 20 mars 2014, j'avais évoqué dans mon article : «modernisation par à-coups d'Alger capitale» paru dans le Quotidien d'Oran, cette nécessité de sortir au plus vite de la gestion intuitive, irréfléchie et fortement orientée sur le social, dont l'expression se traduit par des routes barrées et des pneus brûlés est le cauchemar des gestionnaires des collectivités locales, habitués à agir uniquement que sous la pression de la rue, à défaut de capacité d'anticipation, de concertation et de programmation à long terme des actions.

Il faut dire que ce mode insolite de gouvernance des affaires publiques, cette déclinaison de la culture administrative de « l'apeuprisme », est de tout bénéfice pour ceux qui savent donner de la voix et se faire entendre par l'argumentaire de la violence. Mais il est aussi, cruellement injuste à l'égard de cette catégorie de gens dignes et respectueux de la légalité républicaine qui n'ont pour toute forme de recours ou d'expression, que la patience dictée par l'éducation reçue. Cette catégorie de citoyens est en quelque sorte, le véritable « dindon » de la farce dans le pays du tout social, où l'acquisition d'avantages est réglementée par le passe droit, la force des muscles et son corolaire la bousculade.

AU « ROYAUME » DU SOCIAL DES GENS HEUREUX !

La gratuité de la chose distribuée à une clientèle familiarisée avec la pratique du : « tu me donnes tout de suite ou je casse et je brule », dans une sorte de contrat tacite avec les pouvoirs publics semble dire, que l'esprit printanier est cette trouvaille maléfique à la peau dure, dans la mesure où nous nous inscrivons dans cette permanence de distribution sans retour, tout au moins de civilité. Si nous procédons ainsi nous dit-on, c'est par souci de préserver la paix sociale ! Et même si c'était cela la raison ! Comment peut-on alors croire, que de la sorte l'on peut construire durablement un pays stable et prospère et un État de droit, si les ressources financières venaient à nous manquer? Ah si l'Etat providence pouvait parler ! Il nous dirait avec fierté et sans retenue : « Je vous nourris à satiété à hauteur de (9) Milliards $ par an, je vous loge par centaines de milliers de familles sans aucune contrepartie, je veille à votre santé par une couverture en médicaments à hauteur de (3) Milliards $, je cède à vos caprices et j'accède à vos doléances quand vous brulez les pneus et coupez les routes ! Mais alors ! Que faut-il faire de plus pour continuer à vous plaire, serait-il tenté de dire ? Cela n'est pas du tout raisonnable même si le petit peuple malicieux, couvé et dorloté à l'extrême, a fait ses premières classes dans le vide sidérant du « souk el fellah » et de ses chaînes interminables ! Il a aussi fait son apprentissage de citoyen immature, à l'école d'une révolution agraire mal assimilée et mal appliquée du « Hak El Meftah Ya Fellah » sans contrepartie productive et de la répartition de bénéfices fictifs à des salariés agricoles plus occupés par le jeu de domino aux cafés des villages, que par les travaux d'astreinte à la ferme ! Il a aussi appris à se faire la voix à l'école du syndicalisme, pour devenir plus revendicatif sans trop travailler tout en condamnant l'impérialisme cette source de tous ses malheurs, lui a t-on dit, à la Kasma de « Ain el maken ».

Couvés et encadrés tels des demeurés et sans l'avoir demandé, bon nombre de nos concitoyens ont acquis au fil du temps, des aptitudes de citoyens « saprophytes » qui ne cherchent qu'à prendre sans donner en retour à la société. A vrai dire, l'État providence est cet architecte incontesté de ce qu'il convient d'appeler : « le royaume du social» qu'est devenue cette Algérie si généreuse, de par le fait que d'aucuns pensaient ainsi soulager la misère d'un peuple par cet élan, à défaut de le mobiliser pour en faire une force de création de richesses, comme ont su faire les allemands, les anglais, les russes, les polonais et même les français, au sortir de cette deuxième guerre mondiale, synonyme de ruine, de misère et de déchéance matérielles et humaines.

De nos jours, l'Etat providence a fini par faire de nos jeunes « ANSEG-isés » des rentiers sans perspective d'avenir, parce que sans obligation de travailler! Mieux encore, il indemnise en cas de catastrophes naturelles, ceux qui n'ont pas pris la précaution de s'assurer et efface les dettes des uns et des autres. Il fait bien d'autres choses, comme cette importation inconsidérée de véhicules, encombrant ainsi le réseau routier avec en prime, une consommation exagérée de carburant subventionné, source de pollution et sans gain de productivité, dans ce « tourner manège » qu'est devenu le réseau routier embouteillé de nos agglomérations urbaines. C'est là le prix à payer pour n'avoir pas su concevoir un système performant de transport public intermodal, modulé sur le rythme de croissance de nos grandes villes. Et malgré la forte dépense publique, le bien-être n'a pas été au rendez-vous ! En notre qualité de peuple assisté, nous sommes donc les obligés de l'État providence, et il est par conséquent notre tuteur, nous les handicapés ! De ce fait, il a pour responsabilité de nous guider, comme le fait tout naturellement le berger pour son troupeau ! On a dit de nous, qu'à la sortie d'une longue guerre de libération, nous étions cette société frustrée qui manquait de tout et qu'on devait nous gaver afin que nous puissions accéder à la plénitude de l'opulence. Ceci pour dire, que même si la période antérieure était marquée par une pensée généreuse à l'égard d'un peuple démuni, le formatage de notre société ne date pas d'aujourd'hui, et le printemps arabe n'est qu'une excuse pour cacher nos échecs.

UNE CAPITALE HANTÉE PAR L'ESPRIT DU SOCIAL !

L'improvisation et l'affolement face à la grogne populaire de ceux qui évoluent en marge de la légalité, ont fait d'Alger à l'instar de bien d'autres villes, une entité urbaine où la mise à niveau s'opère par le bas, autrement dit, une capitale sans envergure ni ambition, malgré les efforts colossaux consentis en matière d'infrastructures et de logements au détriment bien évidemment, du foncier agricole de la Mitidja et du Sahel. C'est dire, que face à la « rurbanisation » bon nombre de Walis ont oublié l'essentiel, à savoir qu'une capitale ne peut être gérée telle une bourgade, par démolition d'habitat précaire et de relogement à l'infini de populations hétéroclites. De surcroît, la mixité urbaine imposée tel un diktat par les concepteurs de nos cités dortoirs, sans considération des aspects anthropologiques et sociologiques ne pouvait induire forcément, que le repli sur soi, la méfiance à l'égard d'autrui et bien souvent, l'éclatement de conflits entre jeunes en quête de délimitation de leurs territoires d'influence pour des raisons multiples.

Comment alors, ne pas rendre hommage à MESKOUD à propos de sa chanson nostalgique sur cet Alger d'autrefois, cette cité faite de convivialité de voisinage, de solidarité intra et inter quartiers, de regard attentif et de respect de la chose publique, où il faisait bon vivre entre gens de même condition sociale ! Cela demeure valable pour toutes nos villes proches de la tradition et de l'authenticité, où le ferraillage hideux des demeures n'avait pas droit de cité, comme pour ne pas choquer ses voisins, aux maisons toujours ouvertes, comme dans la continuité d'un espace fraternellement partagé. Oui ! C'était cela le vivre ensemble en ce temps là ! Quelle régression culturelle et quel malheur pour notre société qui a perdu définitivement ses valeurs, sa convivialité et ses repères !

« Dzair ya el assima » est cette invitation du poète à un retour à la normalité d'une gestion urbaine bien inspirée qui donne la primauté à la préservation de l'identité, à la mémoire collective, à la réhabilitation des arts et métiers, à la restauration d'un cadre de vie agréable fait de chaulage fréquent des façades de maisons comme dans un rituel collectif, de senteur de jasmin sur les hauteurs d'Alger la blanche, de fluidité de la circulation et de nettoyage à grande eau des venelles et rues de la cité. À défaut de restituer cette atmosphère d'antan, l'on a fait dans le lifting en plantant par milliers des palmiers dattiers, dans l'espoir d'apporter une touche esthétique et une certaine fraicheur à cette ville qui a perdu de sa blancheur et de sa verdure. Cette palmeraie urbaine du genre « phœnix dactylifera » réalisée à grands frais sur des centaines de kilomètres de voies express offre aujourd'hui, l'image de désolation d'arbres aux palmes desséchées, à l'exception de quelques sujets pas franchement totalement verdoyants.

Et pourtant ! Nous avions bien souligné tout l'intérêt d'une composante paysagère plus conforme à la biodiversité d'Alger et à sa position de ville du Nord à façade maritime, en suggérant toute une palette d'arbres et d'arbustes qui tranche avec l'aspect monochrome. Mais comme l'autisme chez les gestionnaires de la chose publique investis d'une mission sans partage a la peau dure, on continue toujours à planter cette espèce végétale en dépit de tout bon sens.

Allez y savoir à quoi répond cette logique ! L'on ne songe qu'à acheter des équipements chez les autres, pour se donner l'illusion d'avancer tout en ayant négligé les effets pervers de cette désertisation du milieu rural et de son exode qui n'a pas encore fini d'alimenter les périphéries des agglomérations urbaines, submergées par une demande exponentielle en logements et en équipements sociaux. C'est pourquoi, sans volonté de déclaration de sites bloqués à l'échelle des grandes agglomérations, et de report d'urbanisation sur les arrières pays métropolitains, tout se passe comme si Alger, Oran, Constantine et Annaba sont condamnées à accueillir toute la population algérienne, pour devenir des mégapoles sans âmes ni référents architecturaux. Cette situation chaotique dans la gestion urbaine tient au fait, qu'à défaut d'une volonté forte et d'une politique hardie d'aménagement du territoire, l'on s'est installé durablement dans le laisser-faire d'une quasi-littoralisation du pays et dans les risques latents qui s'y rattachent. C'est là, la conséquence d'une gestion populiste qui donne la primauté à l'adhésion sociale du moment, au détriment des intérêts des générations futures, sans que pour autant, l'acte de bâtir des logements par centaines de milliers soit la meilleure des solutions. Nous avions déjà dit, que l'action bien inspirée de l'État doit être plus dans la régulation du parc de logements, que dans le seul acte de bâtir. La mise sur le marché d'un potentiel dormant de plus de 1.300.000 unités selon l'O.N.S., accompagnée par une politique de soutien aux bas revenus pour les besoins locatifs de leurs logements, est possible de régler la crise, tout en préservant au mieux, le foncier agricole.

De la sorte, l'accalmie sociale pourrait être mise à profit pour songer cette fois-ci sérieusement à assurer convenablement l'émergence d'Alger à hauteur de la compétition ouverte à l'échelle des villes Maghrébines et Méditerranéennes et à instaurer définitivement, l'État de droit. Cela est possible, il faut juste y songer ! Mais au fait, qu'en est-il du projet d'aménagement d'Alger à 2.029, dont les plans sont affichés dans le propre style d'une publicité de détergents sur la voie express, alors que rares sont ceux qui en connaissent le contenu ?

CE BATEAU QUI FAIT L'ÉVÈNEMENT PAR LA BOUSCULADE !

Pour mieux comprendre ce qui manque à notre capitale pour se hisser à hauteur des grandes métropoles méditerranéennes où il fait bon vivre, j'avais donné l'exemple d'Istanbul, cette ville qui fait rêver des générations de voyageurs et la jeunesse d'ici et d'ailleurs, grâce à l'exceptionnelle beauté de son cadre naturel où se mêlent la verdure et l'eau, où quelques minutes suffisent pour gagner les rives du Bosphore, séparant la cité entre Europe et Asie. C'est par rapport à cela, que nous avions souligné il y a de cela prés de (5) mois, le besoin dans la mise en œuvre d'un véritable plan de circulation qui intègre les différents modes de transport et surtout le maritime qui tardait à venir. L'idée était qu'à partir de l'activité des ferries en nombre suffisant sur toute la façade maritime du Grand Alger, la ville finira par s'intégrer à la mer et l'activité nocturne sera un jour possible pour le grand bonheur de tous nos concitoyens, surtout ceux qui savent apprécier la douceur et le charme de la vie faite de plaisirs partagés entre gens civilisés, et non de bousculades, de stress, d'insécurité, de cris de marmailles et d'incivilité ! Il me plait de dire que le hasard a voulu que ce vœu soit exhaussé en cette journée mémorable du (4) août 2014 date d'ouverture de la première ligne maritime reliant le port d'El Djamila à Ain Benian, au port de la pêcherie à Alger. L'Ischiamar III, ce bateau monocoque de 344 places affrété par l'ENTMV auprès d'une compagnie italienne, devrait permettre la décongestion de la circulation routière de façon significative à travers les communes côtières d'Ain Benian, de Hammamet, de Rais Hamidou, de Bologhine et de Bab El Oued, avec la réception attendue de (3) à (5) autres bateaux à grande vitesse, ce qui permettra également, l'extension du transport maritime aux ports et lieux d'accostage de Tamentfoust, des Sablettes (Hussein Dey), de Sidi Fredj et de Bouharoun. Mieux encore, dans une seconde phase, seront concernés les ports de Tipaza et de Boumerdès, ainsi que les villes d'Oran et d'Annaba et à moyen terme précise le Ministre, toutes les villes côtières seront concernées par ce mode de transport, à travers des lignes à grandes vitesses. Pour peu que l'on ne soit dans l'effet d'annonce, tout cela est bien rassurant et digne d'intérêt au regard des perspectives offertes par le développement des secteurs du transport maritime et du tourisme. Nous aurons cette fois-ci, l'opportunité de nous réconcilier avec la Méditerranée qui est en mesure de nous apporter cette quiétude, cette sérénité et ce flegme, qui nous manquent tant ! Ceci soit dit, juste pour le plaisir de rêver !

Mais dans l'immédiat et pour un premier coup d'essai, au chapitre de la civilité le moins qu'on puisse dire, est que la balade en mer tant attendue, a été gâchée à l'arrivée du bateau au port d'El Djamila par cette « meute » de gens engagée dans une bousculade entre ceux qui descendent et ceux qui montent, dans un désordre indescriptible, s'offrant ainsi en spectacle face à un équipage italien ébahi par leur comportement. Même si choquante, cette scène n'est pourtant pas inhabituelle chez des gens portés à bras le corps par les subventions de l'État providence. Par instinct grégaire, telles des sauterelles, Ils s'organisent en groupes pour être à chaque fois les premiers dans l'occupation des lieux, sans intérêt autre que celui de compter parmi les autres, que ce soit au niveau d'une forêt récréative, de la foire du livre où ils ne sont attirés que par les recettes culinaires, de la foire de l'automobile où ils ramassent tous les prospectus, ou à l'inauguration de centres commerciaux où leur marmaille bruyante encombre les ascenseurs et touche à tout. Alors ! Il y a forcément un choix à faire entre l'Algérie des saprophytes et celle de la trime ! Cela veut dire que le transport maritime n'a de raison d'être que s'il permet à ceux qui travaillent, d'arriver à l'heure pour mieux être disposés à servir les autres ou pour être plus productifs. C'est dire que l'objectif premier de gain de temps ne peut s'accommoder de la bousculade, d'où la nécessité quant à une meilleure organisation dés la rentrée sociale, après une période estivale faite d'essai pour les uns et de fantasmes pour les autres, autour d'une traversée, pour se mettre tantôt dans la peau de ces héros du « Titanic » ou le temps d'un joint, dans celui des « Harragas » qui bravent le danger de la mer ! Oui ! Le succès d'une telle entreprise tient à cela !

* Professeur