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La vraie vie !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Trop tard. Nouvelles, par Hajar Bali. Editions Barzakh.173 pages, 700 dinars, Alger 2014.

Elle a déjà publié un recueil de pièces théâtrales, en 2009. Elle nous revient, sans calculs (elle est prof' de maths à l'Université), cinq années plus tard, avec ce recueil de huit (8) nouvelles? Le théâtre de la vie, dans un mélange assez curieux (mais prenant, car on n'arrête pas d'" avaler " les récits) de réalité, de rêves, de vérités, d'étrangetés, de folies (douces). Huit récits, certains assez travaillés, d'autres l'étant bien moins, mais tout aussi " épais". La plus vraie, à notre avis, est, peut-être, celle des " Chiens errants " (Il me semble en avoir déjà lu des phrases sans que je ne m'en souvienne où et quand. C'est sûr, trop de lecture peut être " nuisible ", car ça peut se mélanger dans la tête: un bon sujet de nouvelle!): Une jeune fille qui découvre, brutalement, au sortir de l'adolescence, mais dans l'amour, la vie autour d'elle.

Un beau gosse qui, parce que pauvre, utilise tous les moyens pour survivre dans la nouvelle jungle de la cité. Le copain sympa, voleur à la tire. L'arnaqueur gros et gras qui exploite les envies de vite réussir des jeunes gens?

Heureusement, tout cela finit sans trop de dégâts, mais avec des blessures et des souffrances et, pour le lecteur, bien des leçons à tirer? Si la vie et ses envies ne le dominent pas trop.

Avis : A lire mais, surtout, attention au réveil des angoisses cachées et à la déprime à l'affût.

Peut, cependant, servir de thérapie, l'auteure ayant su " décrire " la profondeur des âmes et l'intimité des vies.

Extraits : " J'ai appris à tirer parti des avantages que m'offre ma situation de vieillard choyé et capricieux. Le doux pouvoir, à tout instant, de dire ce que l'on pense à qui l'on veut " (p 77), " La foule est tellement méprisable lorsqu'elle acclame ses bourreaux " (p 126), "

La danse c'est comme l'amour, ça ouvre les yeux et l'esprit " (p 138), " Si on y pense, le silence donne toujours plus de noblesse (même aux idiots) que la parole, fût-elle brillante. Comme si les êtres silencieux faisaient preuve de résistance à l'arrivisme croissant des bavards, de plus en plus nombreux, de plus en plus insistants " (p 152)

La Grotte éclatée. Roman (préface de Kateb Yacine) de Yamina Mechakra. Enag Editions, 175 pages, 250 dinars, Alger 2000 (édité pour la première fois en 1979 et une seconde fois en 1986).

L'auteure, médecin psychiatre de son état, a su, grâce à sa science et à son expérience, que l'on sent extrêmement douloureuse de la vie, décrire (dans ce premier roman) la tragédie algérienne, avant et durant la guerre. La guerre de libération nationale décrite de l'intérieur d'une grotte où l'héroïne, déjà rejetée par une société " bloquée " (en tant que bâtarde, qu'orpheline, que femme, que?) s'y était réfugiée afin de soigner les combattants blessés dans leur corps et aux âmes déchiquetées. La suite est un gros lot d'épreuves, de misères, de désespoirs, d'amour perdu? L'horreur des guerres, et la recherche désespérée sinon du bonheur (auprès d'un époux et d'un enfant), du moins du repos? celui " éternel " tardant à venir. C'est un récit " déchiqueté ", mêlant le récit, la poésie et la prose, l'analyse de situation, l'introspection et la recherche identitaire. Ce qui en a fait, et fait encore, une des œuvres parmi les plus? éclatantes. Kateb Yacine, en signant la préface ne s'y est pas trompé : " Dans notre pays, une femme qui écrit vaut son pesant de poudre ", concluait-il.

Avis : Lecture difficile car poignante, remuant les tripes.

Âmes sensibles s'abstenir ou, alors, ne le lire qu'au sortir de la déprime.

Extraits : " On tue les déshérités parce qu'on a peur qu'un jour ils réclament leur part du ciel" (p 24), "

Aimer toute la terre et tout le ciel, vieillir et mourir à l'ombre d'un vieux peuplier sans qu'il n'appartienne à personne, voilà le droit " (p 32), " Je me méfie des intellectuels, ils ne sauront être soldats. Lâchement pacifistes, ils veulent libérer les peuples en conservant leur tête (?).

La tête transporte l'idée. Coupée la tête, l'idée ne meurt pas " (p 60), " Nous ferons couler la neige de nos monts pour que vive le pain de nos vallées. Nous drainerons les écritures pour qu'à travers les roseaux siffle le bonheur " (p 166)

La fontaine de Sidi-Hassan. Roman de Ahmed Benzelikha. Casbah Editions, 157 pages, 500 dinars, Alger 2014

L'auteur, universitaire, chroniqueur de presse, haut-fonctionnaire, est sorti donc des allées habituelles pour aller explorer, pacifiquement et en douceur, Alger, un quartier précis, sur les hauteurs bien tranquilles, entre printemps, fraîcheur et gazouillis d'oiseaux (il y en avait beaucoup alors) à la veille du débarquement français. Une histoire d 'amour entre deux jeunes gens qui refusent de se plier à l'autoritarisme d'une société bloquée, un peintre étranger qui est chargé de dresser le portrait d'Ahmed Bey de Constantine , rare Kouloughli ayant accédé à la caste dominante, chef écouté mais pas entendu, avec pour fond la fontaine pérenne et vivifiante de Sidi Hassan, un Dey et son entourage qui n'arrivent pas à saisir la gravité de la situation et vivant encore dans l'irréalisme des moments de gloire passés de la flotte Algérienne, un vieil amazigh , Da Mohand (protecteur des deux amoureux, car papa de la jeune fille), inventeur incompris dont l'idée, exploitée sans jalousie et sans traîtrise aurait pu?     L'auteur ne nous raconte pas le débarquement et les défaites car il connaît la suite fatale rendant très difficile, sinon impossible pour tout Algérien, fier de sa force, toute romance. Seule lumière, le couple de jeunes gens, la femme descendante en direct des Amazighs et l'homme aux ancêtres venant du Sud du pays (il est, d'ailleurs, assez brun) qui entame avec d'autres compagnons, la résistance armée contre l'occupant.

124 ans plus tard, ce sont d'autres jeunes gens, garçons et filles, qui reprendront le flambeau? et, en sept années, ils mèneront le pays à l'Indépendance. Mais çà, c'est une autre histoire. Peut-être un autre roman ?

Avis : Un pan de l'histoire d'Alger romancé, écrit " sereinement " et clairement ? et qui fleure bon une ville (encore) en paix et en fleurs. Mythe ou réalité ? Ça nous change des gros " pavés " indigestes ou sanguinaires, toujours en guerre, qui vous font détester tout le monde: les Romains, les Vandales, les Arabes, les Turcs, les beys, les deys, les corsaires, les caïds, les esclaves, les espions, les traîtres (il y en a toujours), les femmes (pas toutes !), la ville? A l'exception du pouvoir et de l'argent.

Extraits: " Le langage du mépris est difficile à comprendre pour les âmes viles " (p 51), " Le monde est celui que Dieu a confié à l'homme, il ne change jamais, c'est le comportement des hommes qui change, en bien ou en mal " (p 70), " On construit rarement pour soi, le plus souvent ce sont les autres qui en jouissent " (p 86)