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Le grand spleen des Français (1ère partie)

par Pierre Morville

Heureusement qu'il y a encore le foot ! Le Mondial est ces temps-ci l'un des rares motifs de satisfaction des Français. Pour le reste, c'est grommellements, accès de colère et craintes multiples?

Les Français sont les seuls avec les Néerlandais à avoir marqué 8 fois en 2 matchs. Leur différence de buts (+ 6) devrait les mettre à l'abri d'une mauvaise surprise.

Pour être éliminés, les Bleus doivent perdre par quatre buts d'écart face à l'Equateur si, dans le même temps, la Suisse bat le Honduras de cinq buts. De quoi rassurer les chaumières avant match précédent les huitièmes de finale qui se déroulait hier soir (et dont le chroniqueur n'a pas le résultat).

L'excellente tenue de l'équipe de France a d'autant plus été une divine surprise que la sélection opérée par Didier Deschamps avaient initialement fait l'objet de nombreux doutes critiques dans la presse et les médias et avaient nourri d'innombrables sarcasmes dans les bistros et les repas de famille. Ce n'est pas par hasard que le doute cartésien soit né en France, même si René Descartes n'y connaissait rien en foot ! Si l'immense majorité de mes concitoyens n'ont pas lu le " discours de méthode ", ils ont spontanément et depuis longtemps adopté le doute méthodologique comme moyen d'appréhender le monde. Il est vrai que ces dernières décennies les incitent plus à se fier au pessimisme de la raison qu'à l'optimisme de la volonté.

Depuis les années 90, la croissance économique reste très faible, la crise financière de 2008/2009 a fait resurgir la dette des Etats avec notamment en Europe une baisse drastique des dépenses et une montée irrépressible des contributions fiscales et sociales des citoyens. Le dernier bulletin de l'Insee montre que le malade " France " est loin d'être sur la voie de la guérison : la croissance sera limitée à + 0,7% (contre 1% prévu) après deux années, 2012 et 2013, qui plafonnaient à + 0,4%! Avec un tel dynamisme bouillonnant, l'emploi reste évidemment en berne avec 10, 6% des actifs touchés.

Si en 2014, le pouvoir d'achat des ménages s'est très légèrement redressé, cette marge reste bien trop faible pour relancer la consommation (+0 ,3%). Atonie de la croissance, très faible inflation, les risques d'entrer en déflation s'accroissent. La déflation ? C'est pour les économistes un mélange détonnant et dangereux, combinaison de la peste (baisse des prix) et du choléra (baisse de l'activité). La lutte contre l'hydre inflationniste reste pourtant, depuis trois ou quatre décennies, le seul combat à mener pour les tenants d'une économie hyper-libérale, dans la ligne de Milton Friedman et de l'école de Chicago. L'encadrement monétaire, la réduction des dépenses publiques, la pression sur les salaires s'affirmaient donc comme les seules recettes efficaces pour faire redémarrer l'économie. " Les profits d'aujourd'hui seront les investissements de demain et les emplois d'après -demain " martelait alors le chancelier allemand Helmut Schmidt. Hélas ! Avec la mondialisation, les énormes bénéfices engrangés par les actionnaires ont été investis ailleurs dans le monde, avec des créations d'emplois limités et à très bas salaires.

Effet du développement spectaculaire de l'internet ? Mes concitoyens sont bien mieux informés qu'auparavant des subtilités des économistes en chambre.

Et malgré la quasi unanimité des médias favorable aux vertus supposés d'une rigueur sans fin, les Français constate bien que les riches s'enrichissent alors que les classes moyennes et populaires s'appauvrissent et que la " politique de l'offre " appliquée par les différents gouvernements qui sont succédés favorisent la cotation boursière des entreprises mais nullement leurs investissements dans le pays (+ 0,7% en 2014).

Marine Le Pen : délinquance et immigration fantasmées

L'absence de sortie de crise à moyen ou long terme, l'incertitude économique pour tous et pour chacun crée un climat d'inquiétude. La perte de son propre boulot ou de le voir se dégrader ressort de toutes les enquêtes d'opinion. Si ce n'est pas son propre emploi qu'on a peur, c'est pour ceux de ses enfants (un quart des moins de 25 ans n'ont pas de travail). La pression fiscale est l'un des gros sujets de discussion de mes concitoyens. Et pourtant ! L'essentiel des mesures prises par le gouvernement Hollande dans ce domaine ne prendront effet qu'en 2015 ! Dans ce domaine, les 50 milliards donnés aux entreprises et payés par les contribuables agacent beaucoup.

L'atmosphère de crainte fait parfois s'amplifier démesurément la perception des dangers. Un exemple ? La délinquance dont tout le monde dit qu'elle croît dangereusement chaque année. Un regard sur les derniers stats officielles (2011/2012) donne une perception plus rassurante de la France, 7ème pays sur les 27 de l'UE pour sa sécurité. Ainsi, on voit en effet augmenter les cambriolages (+ 14,7%), les vols à la tire (+ 8,5%) et l'usage des stupéfiants (+ 17%), mais on constate également une baisse des vols de voitures (- 3%), des vols violents avec armes (- 9,1%), des destructions et dégradations ( - 19,2%), des homicides et meurtres (430 dans l'année 2912, soit - 2,3%)?

A part la délinquance, l'autre tocsin sonné par le Front national et ses séides, est évidemment l'immigration. Là encore, regardons les statistiques. En 2013, la France comptait 65,58 millions d'habitants, avec une croissance démographique de + 4,7% (une des meilleures d'Europe et nous sommes également, avec l'Irlande, champion pour l'indice de fécondité dans les 28 pays de l'UE), l'accroissement naturel y ait pour 3,8%, le solde migratoire pour seulement 0,8% ! Autre surprise des chiffres, sur les 12 millions d'immigrés et leurs enfants qui vivaient en France au début des années 2010, 45% sont d'origine européenne, contre 29,7% issus du Maghreb et 10,4% de l'Afrique sub-saharienne.

Ce qui explique la montée du Front national, c'est moins les dangers fantasmés sur la délinquance ou une immigration en forte croissance, qu'une désaffection générale vis-à-vis des partis traditionnels, avec un raisonnement dangereux mais qui se banalise : " on a essayé depuis des années l'UMP et le PS, pourquoi ne pas essayer les autres ? ". Analyse du phénomène dans la prochaine chronique.