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Hommage aux sapeurs-pompiers !

par Abdelkader Khelil *

De « maâlich » à « maâlich » l'on a oublié l'essentiel, à savoir : que pour atteindre la plénitude de son épanouissement, toute société a besoin de faire la pédagogie de l'exemplarité du mérite à tous les échelons, c'est-à-dire, du plus haut au plus bas niveau de l'échelle sociale. À défaut de cela, la conséquence en est forcément une perte des valeurs et des repères, dont les effets collatéraux se font de plus en plus sentir sur notre quotidien. Il est même à craindre qu'en l'absence d'un sursaut salutaire, nous finirons un jour par perdre totalement notre identité.

Comment en serait-il autrement, lorsqu'on a pris pour mauvaise habitude de mettre en vedette tous les éléments nuisibles et parasites qui phagocytent la société, et pratiquent toute honte bue, la triche dans toutes ses déclinaisons, alors que ceux qui s'investissent dans le savoir et le travail, sont relégués au banc de l'oubli ! C'est de la sorte, que chemin faisant, les travers de l'esprit « trabendiste », celui des pratiques informelles dans leur conjugaison au passe droit et à la corruption, ont fini par polluer l'atmosphère, tout en portant atteinte à la cohésion sociale, et aux intérêts économiques du pays.

Oui ! Il faut se le dire autant de fois que nécessaire, afin de s'en convaincre, faire l'impasse sur la permanence des valeurs, qui fondent toute société qui se veut être solidaire, apaisée et conviviale dans ses villes et ses campagnes, c'est se rendre coupable, ou tout au moins complice de cet état de fait dommageable, que ce soit par négligence ou par démission. Dans tous les cas de figures, le résultat est le même. Il est celui de la régression qui laisse peu de chances au vrai développement, qui ne saurait être confondu, comme on a l'habitude de le faire, avec les équipements que nous achetons chez les autres, même s'ils en constituent un de ses éléments essentiels.

Dans tout cela, il faut finir par admettre, que si la citoyenneté n'est pas notre « tasse de thé », c'est parce que tout commence et finit par cette culture du « vivre-ensemble », qui nous fait cruellement défaut. C'est cela qui détermine les rapports et les comportements entre les individus d'une même société. Cette citoyenneté éclipsée par l'égoïsme, le laxisme, l'indifférence et le non respect de la chose publique, est définie par des valeurs, dont on peut en évoquer au moins trois, qui lui sont traditionnellement attachées, à savoir : la civilité, le civisme et la solidarité. Et dire que ces attributs étaient des dénominateurs communs, chez les individus de notre société d'antan, celle de nos parents, élevés dans l'esprit du minimum vital, communément appelé « el-kanaa », qui de nos jours, a cédé la place à la boulimie de l'accumulation de biens tout azimut, même s'ils sont bien souvent mal acquis. À titre de rappel, pour ceux qui ont perdu le sens de la mesure des choses, la civilité, est cette attitude de respect à la fois à l'égard des autres citoyens (ex. la politesse) mais aussi, de la chose publique (espaces verts, transports publics...). Dans la conformité des règles et des lois en vigueur, le civisme est aussi, cette conscience que tout un chacun doit avoir, par devoirs envers la société. De façon plus générale, le civisme est lié à un comportement actif du citoyen dans la vie quotidienne et publique. C'est cette manière d'agir, en donnant la primauté à l'intérêt général, sur les intérêts particuliers. La solidarité quant à elle, a pour traduction, un ensemble d'hommes et de femmes, attachés à un projet commun. Elle correspond à une attitude d'ouverture aux autres. Oui ! C'est là aussi, cette autre chose qui nous manque tant ! Mais alors ! Ne devrions-nous pas réserver une place prépondérante à ces fondamentaux qui régissent le fonctionnement de toute société proche de ses intérêts, dans le projet de révision de la constitution ? Ceci est dit au passage, juste pour titiller la conscience nationale qui s'est installée dans un état de dormance, qui lui est déjà préjudiciable.

Que la parenthèse soit fermée, afin d'éviter le glissement sur une polémique sans fin, car tel n'est pas l'objet de mon propos. Le moins qu'on puisse dire cependant, est qu'il y a là de toute évidence, une déficience en matière de projet de société. Ce qui veut dire, que la restauration souhaitée des valeurs qui le cimentent, est l'affaire de tous, d'où son inscription dans une démarche collective.

UN CORPS CITOYEN EXEMPLAIRE !

C'est parce mon article a pour trame de fond : les questions de la reconnaissance et du mérite, qu'il prend forcément la forme d'un hommage appuyé au corps des sapeurs-pompiers, cette « entreprise citoyenne » d'exception, qui évolue en marge des flashs et des caméras jusque là occupés à mettre en vedettes, ceux qui nous promettent monde et merveille, tout en se tirant dans les « pattes » pour consolider leurs positions dans la proximité du « mangeoire ». Ils éclipsent de la sorte, tous ceux qui travaillent en silence pour l'intérêt général. C'est dans cette catégorie, qu'évolue ce corps respectable, cet oublié des médias, toutes presses confondues. Il est vrai aussi, qu'il n'est pas le seul à l'être, malheureusement!

Dans notre ingratitude collective, nous avons pris pour habitude de négliger la mise en exergue de l'effort d'autrui, et de désacraliser le travail, comme si notre société pouvait vivre sans référence à des valeurs, au demeurant universelles. C'est là un leurre, dans la mesure où dans le fonctionnement de toute société basée sur l'équité, c'est à chacun son du. C'est là une règle en vigueur, dans les sociétés dites développées, qu'il convient de rétablir au plus vite, si nous souhaitons accomplir quelques progrès. Nous sommes dans ce cas, face à l'un des défis majeurs, des plus déterminants, pour la traçabilité identitaire de notre société. Retarder son évolution dans le sens positif, c'est prendre le risque de l'inscrire définitivement, dans des rapports de forces, où il n'y aura guère de place pour les gens dignes, qui rejettent l'approche musculaire, parce que n'étant pas disposés à vivre selon les règles de la jungle. Pour mieux comprendre la nature de ce défi, voyons d'abord, à quoi tient l'exception des sapeurs-pompiers, dans notre société d'aujourd'hui ! Qu'il pleuve ou qu'il vente, en service commandé, ce corps solidaire est toujours à la tâche, telle cette fourmi qui s'active par instinct, en se rendant utile à sa colonie. Par devoir vis-à-vis de ses camarades, le sapeur-pompier évite tout ce qui peut-être une cause de désunion. C'est dire, que l'exercice de cette profession semble exclure l'esprit d'individualisme. Ce métier d'équipe par excellence, impose une solide cohésion entre les membres d'une même section qui vivent ensemble, d'un même engin pompe qui part combattre souvent l'inconnu, d'un même binôme d'attaque qui pénètre dans cet appartement embrasé, cette usine envahi par le feu, où la sécurité de celui qui descend dans un puits pour porter secours à une personne, dépend de cet autre pompier qui lui tient la corde.

Parmi les nombreuses raisons qui font durer la motivation, il y a bien sûr, les interventions et leur diversité (feu, secours à personnes, accidents, inondations, séisme...), c'est à dire, tellement de choses à connaître, ce qui suppose bien évidemment, un perfectionnement continu par des stages fréquents, afin d'être à la pointe du progrès. Combien sont-elles ces autres institutions à avoir ce souci permanent de la performance ! Alors ! Oui ! Le corps des sapeurs-pompiers est à mettre dans le carré très restreint des gens d'exception. Il est certainement, ce bel exemple de réussite et cette source d'inspiration pour tous ceux soucieux de se rendre utiles à la collectivité. Il est bien évident, que cela n'est pas le fruit d'un quelconque hasard. C'est plutôt, le résultat d'une parfaite interprétation de la prédisposition de ce corps constitué, à se mettre au service du public.

Sa mission de préserver la vie des hommes et de leurs biens, lui impose aussi, un certain esprit de sacrifice. L'acceptation du risque, renvoie également, à une éthique de vie guidée par le courage et le dévouement. De ce fait, le lien qui s'établit entre le chef et le subordonné est des plus complexes. Dans ce cas, le commandement suscite l'adhésion dés lors que c'est à l'exemple qu'il recourt. C'est donc l'exemplarité qui est le point de départ dans la bonne manière de diriger, chez ce corps, constamment pénétré de la mission qu'il a acceptée de remplir et de par sa culture « civilo-militaire ». Il assure de la sorte, l'exécution de ses tâches avec abnégation, courage et opiniâtreté. Alors ! Comment ne pas dire, qu'il forge ainsi le respect et l'admiration !

Bien sûr, que les sapeurs-pompiers sont animés par cette satisfaction d'avoir aidé à soulager quelqu'un, de l'avoir sauvé ou de préserver ses biens. Chez ces gens là, il y a un esprit d'équipe. On apprend à vivre en société avec des caractères différents et à force de s'impliquer dans la vie des autres, on finit par voir le quotidien différemment. Pour nous secourir, ils sont portés par cette poussée d'adrénaline à chaque fois que le son de la sirène retenti. Faire des interventions sans savoir ce qui les attend ! Protéger les biens de personnes qu'ils ne connaissent pas ! Porter secours à autrui ! Aimer se rendre utile ! Être disponible pour les autres, tout le temps et sans rechigner ! Être en forme en permanence, physiquement et moralement ! C'est de toute évidence, un métier dangereux où l'on peut laisser sa vie en voulant sauver celle des autres.

C'est pour tout cela, qu'il est bien injuste que l'apport appréciable de cette entité citoyenne ne puisse pas être apprécié à sa juste valeur, même si généralement on s'accorde à dire, que les gens en bleu et rouge, sont dévoués et forts sympathiques. Mais cela ne saurait suffire ! N'ont-ils pas besoin de plus de reconnaissance, ces gens admirables, imprégnés de cette philosophie du mieux servir, en poussant à chaque fois les limites du défi ?

UN PALMARÈS ÉLOGIEUX !

C'est vrai qu'ils sont appréciés par tous, et de par le monde. En France, ce pays de la tradition de l'audimètre, une enquête du journal le Parisien, a montré qu'ils sont plébiscités pour un taux de confiance de 99%. Ils sont à l'opposé du classement des personnalités politiques qu'on juge être moins dignes. En effet, seulement 31% leur accordent leur confiance. Si les sapeurs-pompiers sont si populaires, cela n'est certainement pas une surprise de par le fait que leur travail est fait d'engagement et de disponibilité pour les autres. Selon une autre étude menée par le Cabinet d'études Allemand GFK Verein, dans (25) pays sur les (5) continents, les soldats du feu devancent d'une courte tête les infirmières et les docteurs. Chez nous, la sympathie de nos concitoyens n'est pas en reste pour ce corps, qui s'est à chaque fois distingué.

Ses hauts faits d'armes lui confèrent un palmarès des plus élogieux, forgé au rythme des interventions des plus périlleuses, lors des inondations de Bab-El-Oued, des séismes de Boumerdès et d'Ain-Témouchent, des feux de forêts et bien d'autres risques majeurs. Fort de l'expérience qu'il a acquise, le corps des sapeurs-pompiers a eu aussi à intervenir à l'étranger à l'occasion de séismes : Mexique (1985), Salvador (1986), Arménie (1988), Egypte (1992), Turquie (1999), Inde (2001), Iran (2003 et 2005), et Maroc (2004). Il a également apporté son concours à ses homologues Français, pour la maîtrise des feux de forêts de 2003. Comme il a eu à intervenir au Soudan (1985), au Yémen (2008) pour ce qui concerne les inondations, et l'incendie qui s'est déclaré au Nigéria (2002).

Plus que cela, les éléments du corps des sapeurs pompiers ont pris pour habitude d'intervenir aux côtés de la délégation médicale, dans l'encadrement de nos Hadjis, ce qui est fort apprécié par nos pèlerins et leurs familles. Ils font aussi à l'occasion d'événements sportifs majeurs et à haut risque, l'animation dans les stades en apportant de la couleur, de la joie et de l'ambiance dans les gradins.

Cette présence fortement remarquée est aussi, une manière des plus intelligente, qui consiste à établir une sorte de pare-feu entre supporteurs antagonistes, évitant ainsi, que de jeunes excités dont les nerfs sont souvent à fleur de peau, n'aient à en découdre et à se cogner bêtement et souvent, sans raison apparente ! Ce corps au sang vif, qui sait mettre le cœur à la besogne, s'implique dans le nettoiement des quartiers et le désherbage des cimetières, sans que cela ne relève directement de ses prérogatives. Mais jusqu'où ira t-il pour supplier aux insuffisances des autres et de l'absence d'adhésion des citoyens qui ne pensent qu'à prendre, et à ne rien donner en retour ? Alors dites-moi, qui peut se prévaloir dans l'état actuel des choses, d'un tel palmarès ?

Cette consécration correspond à une sédimentation d'efforts soutenus, sous la houlette d'un authentique chef qui a su orchestrer les instruments d'un corps, qui a acquis du professionnalisme au fil du temps, comme en témoignent ses interventions d'ici et d'ailleurs. Même s'il n'aime pas être sous les feux de la rampe, le Colonel LAHBIRI Mustapha, élevé aux écoles du militantisme et du scoutisme, devint ce jeune maquisard de 18 ans en 1956. Officier de l'ALN (7ème et 1ère zones) il fût évacué au Maroc au centre de formation à El Arias dans la région marocaine de Tétouan, après sa blessure en 1960.

À l'indépendance, il intègre l'école de guerre de l'ex URSS à Slouzi. Il occupa à son retour en Algérie, les fonctions de Directeur d'école militaire, de Chef de bataillon, de Directeur de la santé militaire, de Commandant d'école, d'attaché militaire, et bien d'autres fonctions. Avec sa riche expérience et son bon sens de meneur d'hommes, nous sommes avec notre ami, chose devenue rare chez nous, dans le chapitre de la traduction correcte du slogan : « l'homme qu'il faut, à la place qu'il faut » ! Aimé et apprécié par tous, il est ce père de cette grande famille des sapeurs-pompiers, qu'il a su moderniser, et qu'on voudrait avoir pour tuteur ! Cet homme « synthèse », est en quelque sorte, cette cristallisation de bonté, de professionnalisme, d'abnégation dans le travail, autrement dit, un véritable commis de l'Etat, comme on ne sait plus en faire de nos jours.

UN EXEMPLE À MÉDITER ET À SUIVRE !

Quel enseignement tiré du parcours élogieux de nos sapeurs-pompiers, tous grades confondus ! Il faut tout d'abord considérer, que l'hommage que je leur destinent, en ma qualité de citoyen attentif aux pulsations de notre société, de surcroît soucieux de sa cohésion et préoccupé par rapport à son évolution, n'est pas fait que de reconnaissance, à un corps des plus méritants, comme attesté par tous ! Il prend surtout valeur démonstrative, pour dire, qu'on peut toujours faire les choses au plus prés de la performance et des intérêts de nos concitoyens, quand la gouvernance sort du discours ambiant, pour s'inscrire dans l'acte au quotidien, qui donne la primauté : à la cohésion, au professionnalisme, à l'engagement, à la discipline et au respect de la chose publique !

Alors ! Imaginons un instant que cet état d'esprit avec toute cette fougue qui le caractérise et cette disponibilité qui l'anime, puisse faire contagion auprès de tous ceux, en charge de la gestion des affaires publiques dans : nos mairies, nos hôpitaux, nos bureaux de postes, nos banques, nos transports, et bien d'autres services ! Alors ! Il est à croire, que la bureaucratie ne soit qu'un mauvais souvenir ! Le citoyen deviendra sans doute moins grognon et il y aura certainement de la place pour les règles de bienséance et pour la civilité ! Après quoi, nous deviendrions peut-être, un jour, plus productifs ! Entre fiction et réalité, ne dit-on pas, que le rêve est permis ! Et si cela devait se produire ! Alors ! Nous dirons à l'unisson, que vive l'esprit de l'école des sapeurs-pompiers ! Après tout, n'est ce pas là encore une fois, qu'une affaire de gouvernance et de volonté collective ! Il appartient à tout un chacun d'apporter son propre jugement, après avoir interrogé sa conscience en toute bonne foi, avant de porter un doigt accusateur sur les autres, qu'il considère être, la source de tous ses problèmes ! Il faut se dire, que chacun de nous est un maillon de cette si longue chaine qui nous lie, et dont la cohésion de notre société en dépend ! Saurions-nous être capables de relever ce défi !

* Professeur