Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La corruption et le plagiat : une performance de l'Université algérienne

par Chems Eddine Chitour *

«Il n'est jamais trop tard pour devenir ridicule.» La présentatrice du journal télévisé sur la chaîne bulgare (BNT)

Ce début d'année 2013 est décidément riche en événements. Il a été beaucoup question de corruption. Il est un domaine où la corruption prend toute sa signification tragique, c'est bien celui du système éducatif, notamment de l'enseignement supérieur dans sa dimension enseignement et recherche. Il ne faut pas croire ou laisser croire que tout est pourri, qu'il n'y a rien à faire, se remettant de ce fait, dans une position défaitiste à la fatalité qui ne fera en l'occurrence que perpétuer cet état de fait. La corruption existe partout dans le monde et dans tous les domaines. La différence est que dans les pays développés il y a des règles, des normes à ne pas dépasser sous peine de poursuites. Ce qui n'est pas le cas chez nous.

Dans une contribution pertinente nous lisons: «Parler de corruption dans le monde scolaire peut paraître, à première vue sans grand intérêt pour la simple raison que lorsqu'on parle de corruption, l'idée va droit aux sommes énormes que certains grands responsables détournent tous les jours et à bout de bras. Malversations financières importantes, trafics d'influences qui aboutissent à des bénéfices frauduleux de grandes valeurs, voilà ce à quoi se résume généralement la notion de corruption. Or, dans le monde de l'éducation, la corruption se présente comme un immense piège qui fait des ravages effrayants, pour deux raisons fondamentales essentielles». (1)

«(...) Les conséquences de cette situation rarement perçues par les victimes au préalable, poussent à réflexion: déperdition scolaire, universitaire, et même, en cas de déviance totale, une exclusion sociale définitive.(...) Le monde de l'éducation abrite de manière continue, une paupérisation discrète mais tenace, qui rend les grands acteurs de l'Ecole très sensibles à tout ce qui peut faire penser à une petite amélioration des conditions matérielles. Pour cette raison, maîtres et directeurs d'écoles; professeurs, censeurs, enseignants d'université, secrétaires principaux de facultés, secrétaires généraux de rectorats; et qui sais-je- encore! Tout ce monde, de façon presque unanime affronte quotidiennement et sans espoir, les affres d'une misère noire, que chacun à son niveau se trouve obligé de gérer doucement, dans une discrétion parfois totale, pour sauver les apparences. Une misère qui torture inlassablement, et tout le monde sur les dents, et annihile toute idée d'épanouissement professionnel.»(1)

Les sanctions éthiques dans les pays développés

Dans les pays développés, les sanctions sont très dures et le contrevenant est toujours rattrapé par son passé de fraudeur. Nous lisons cette contribution sur la fraude en Allemagne: «Spécialisé dans la chasse au plagiat, Martin Heidingsfelder est un justicier d'un nouveau genre qui gagne sa vie en traquant la fraude aux titres universitaires. Sa dernière victime: Annette Schavan, la ministre de la Recherche, acculée à la démission le 9 février.» (2)

«Sa prochaine cible: Angela Merkel. (...) Un montant à cinq chiffres, voilà ce qu'un client a proposé à Martin Heidingsfelder s'il réussissait à prouver qu'Angela Merkel s'est rendue coupable de plagiat dans sa thèse de doctorat. Jusqu'à présent, la recherche de plagiat était essentiellement exécutée par des internautes militants et bénévoles.

Leurs découvertes ont mis fin à plusieurs carrières. En 2011, Karl-Theodor zu Guttenberg (CSU) a dû renoncer à son titre de docteur, ainsi qu'à son poste de ministre [chrétien-social] de la Défense. Le 5 février dernier, c'est Annette Schavan (CDU) [ministre chrétienne-démocrate de l'Education et de la Recherche et amie personnelle d'Angela Merkel] qui s'est vu retirer son titre de docteur par l'Université de Düsseldorf. (....)» Heidingsfelder a fait de la chasse au plagiat une véritable entreprise. (...) Quelles que soient les motivations, les chasseurs de plagiat ont objectivement un effet positif sur la recherche scientifique. Par ailleurs, leur travail permet d'échapper au manque de transparence des réseaux anonymes et d'identifier clairement les accusations» (2).

Une autre démission qui a fait du bruit est celle du président plagiaire, qui a été très commentée par la presse de Sofia qui y a vu une «victoire de la société civile sur les politiques». Mais surtout parce que ce sont les travaux d'un chercheur bulgare méconnu, Nikolaï Guéorguiev, dans lesquels Pál Schmitt semble avoir largement pompé. (3)

Cela va même plus loin, les institutions européennes sont dans le viseur: en effet «le site communautaire LobbyPlag.eu invite les internautes à débusquer les copier-coller des lobbyistes dans les directives de Bruxelles. Qui a dit que les outils informatiques de recherche en plein texte ne servaient qu'à faire tomber des ministres ayant usurpé leur titre de docteur? Richard Gutjahr, Marco Maas et Sebastian Vollnhals ne dénoncent pas seulement la pratique du plagiat dans les thèses de doctorat, mais également dans les textes de loi. Richard Gutjahr définit Bruxelles comme un «service de reprographie».

Il affirme que l'»aide rédactionnelle» apportée par les lobbyistes ne se présente pas sous la forme de documents PDF, mais de fichiers Word, avec les polices et les tailles de caractères ad hoc pour faciliter le copier-coller. Les lobbyistes se bousculent au portillon des politiques.» (4)

Corruption et plagiat à l'université: une plaie non soignée

«Comment prétendre remédier à la mauvaise qualité de l'encadrement de l'université et atteindre l' «assurance- qualité» quand la médiocrité et le plagiat reflétés dans les thèses produites triomphent sur la qualité, et quand, enfin, les portes des universités sont grandement ouvertes comme en guise de recyclage et de promotion aux enseignants des lycées, voire même à ceux des collèges? C'est par ce cri du coeur que le professeur Rouadjia s'indigne. Pour lui ce n'est pas un problème de texte. Il déclare: « (...) Que le nouveau décret exécutif n° 08-130 du 3 mai 2008 relatif «au statut particulier de l'enseignant chercheur» frappe désormais de sanctions sévères l'auteur du plagiat, relève d'un acte législatif louable.. En effet, le plagiat a été longtemps l'une des spécialités néfastes de beaucoup de nos étudiants et chercheurs, qui n'avaient aucun scrupule à copier les autres, à «pomper» leurs pairs. Les nombreux mémoires de magisters, de thèses de doctorats de troisième cycle et d'Etat que nous avons pu lire ici et là témoignent en effet d'un honteux «pillage» d'œuvres célèbres. Outre ce plagiat «sauvage», et ce remplissage désordonné, il y a ces «méthodologies» confuses employées dans les mémoires et qui prétendent encadrer des problématiques scientifiques...Il était temps, enfin, de mettre au moins une sourdine à ce pillage inadmissible, et partant préjudiciable à la qualité de l'enseignement et de la recherche.» (5)

Dans la deuxième partie de son plaidoyer, le professeur Rouadjia met en évidence une autre tare consubstantielle du plagiat: «Mais si dissuasif qu'il puisse être, cet article de loi sur le plagiat pourrait être facilement violé tant l'encadrement de qualité et les mécanismes de contrôle efficace demeurent cruellement faibles. Si certains plagiats sont facilement détectables, parce que trop voyants ou trop «grossiers», d'autres sont en revanche plus «subtiles», car éparpillés dans les mémoires de thèses, tandis que les références et les sources réelles sont escamotées ou attribuées à des auteurs outre que ceux consultés, ce qui est une manière astucieuse de donner le change. Mais si sévère et utile qu'il puisse être, ce décret arrive cependant trop tard.

Car les dégâts provoqués par le plagiat et le silence qui l'a entouré jusqu'à alors sont incommensurables. Le fait de promulguer un décret sur le plagiat est un aveu que cette pratique a bel et bien existé. Il est facile de déduire donc que le nombre de plagiaires devenus «docteurs» sont légion dans nos établissements universitaires.» (5)

Le bouclier de la Charte de l'éthique rendu inutile

Un vent d'espoir avait soufflé en novembre 2007 quand le ministre de l'Enseignement supérieur avait mis en place Le Conseil national de l'ethique et de la déontologie universitaire. On se souvient qu'en décembre 2008, le Conseil d'éthique et de déontologie de l'enseignement supérieur a révélé dans un rapport qui a été remis au ministre de l'Enseignement supérieur, que la corruption et l'usure se sont dangereusement propagées près des enseignants universitaires, ce qui se traduit par la baisse du niveau de vie de l'enseignant à cause de la non-valorisation des compétences. Un rapport a été remis au ministre de l'Enseignement supérieur, M.Harraoubia,. Ce rapport a insisté sur la dangereuse hémorragie que connaît l'université, suite à la fuite des cerveaux, qui est un résultat inéluctable du non-respect de l'Etat de ses obligations envers l'enseignant. (...) Ce rapport a également soulevé la question des dangereux phénomènes à l'intérieur de l'enceinte universitaire qui n'existaient pas auparavant. Il s'agit de l'usure et de la corruption qui ont envahi l'université ces dernières années. Le professeur universitaire est considéré comme l'accusé principal de la détérioration de sa situation financière. (6)

Pourquoi la charte n'est pas appliquée?

Le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Harraoubia, avait annoncé, le 13 mai 2010 la promulgation de la Charte d'éthique et de déontologie universitaires qui constitue un outil d'orientation de la vie universitaire à même de consacrer et de consolider le dispositif réglementaire régissant l'enceinte universitaire. Cette Charte invite «à partager la démarche morale et méthodologique qui conduit à reconnaître, aux plans éthique et déontologique, les meilleurs comportements et les meilleures pratiques universitaires, ainsi que d'en combattre les dérives». Elle devait entrer en vigueur en septembre 2010. Elle sera tout simplement ignorée pour la paix sociale

De plus, cette charte, à laquelle l'auteur a participé, a été élaborée pendant plus de deux ans en concertation avec les différentes composantes de la communauté universitaire. Nous avons mis en exergue des principes majeurs: l'intégrité et l'honnêteté, le respect mutuel, l'exigence de vérité et l'esprit critique, la liberté académique et l'équité. De plus, nous avons répété à l'envie que l'administration des établissements devrait s'interdire de s'immiscer dans le pédagogique et les délibérations d'examen ou de soutenance de thèses. Or que constatons-nous malheureusement? Les commissions d'éthique installées dans les établissements d'enseignement supérieur ne fonctionnent pas. Elles sont inaudibles, démonétisées et tout est fait pour les décrédibiliser au niveau des enseignants et des étudiants. Mieux encore certains chefs d'établissement sont eux-mêmes juges et parties. Ils sont aussi président de ces commissions de l'éthique.

«Ah! Si on ouvrait nos boîtes de Pandore.» C'est par ces mots que le collègue Mohamed Beghdad se prenait à rêver d'une opération «cerveaux propres». Il rapporte à sa manière les deux cas précédents en instant sur la force des Conseils scientifiques: «Au début de l'automne 2012 écrit-il, avait éclaté un scandale qui avait défrayé la chronique en Allemagne et qui avait vu en fin de compte, en ce début du mois de février 2013, la ministre de l'Education de ce pays remettre sa démission de son poste. Est-ce pour une affaire de corruption? Non! Est-ce pour une affaire de détournements de deniers publics? Non! Est-ce pour avoir reçu des pots-de-vin d'un fournisseur pour équiper les écoles de son pays? Non! Est-ce pour abus de pouvoir? Non! Est-ce pour abus de biens sociaux? Non! Est-ce pour avoir échoué dans la politique de son département ministériel? Non! Est-ce pour avoir subi un revers électoral dans son parti? Non! Est-ce pour un détournement de la volonté populaire des citoyens? Non! Non et non, rien de cela, c'est uniquement pour une affaire d'éthique et de déontologie (..)» (7)

«L'Université de Düsseldorf poursuit Mohamed Beghdad, qui lui avait accordé son doctorat, tenez-vous bien en 1980, n'a pas hésité un seul instant à expliquer aux opinions scientifiques, en particulier et publiques, en général que madame la ministre, de surcroît responsable de la recherche dans son pays, avait ´´systématiquement et délibérément´´ triché en écrivant sa thèse de philosophie. (...) Cet exemple de pays de la transparence tel que l'Allemagne, n'est pas à sa première dans son tableau de chasse. En effet, en mars 2011, c'était le ministre de la Défense Karl-Theodor zu Guttenberg, accusé lui aussi de plagiat, qui passait à la trappe.» (7)

«L'Université de Bayreuth où il avait obtenu en 2007 son titre de Docteur en droit, avait annoncé par la voix de son président le retrait du diplôme au ministre. Elle l'accuse de «ne pas avoir donné lieu à un travail scientifique correct» sans toutefois qualifier son travail de plagiat. (..) Pas loin de l'Allemagne, c'était le président hongrois Pal Schmitt en personne qui avait abandonné ses charges présidentielles en avril 2012 pour une affaire semblable après s'être vu retirer par le Sénat de l'Université Semmelweiss de Budapest son titre de Docteur en affirmant que sa thèse de Doctorat ne répondait pas aux «méthodes scientifiques, ni éthiques». (...) Un simple conseil scientifique d'une université qui fait tomber un président! Il fallait vivre pour le croire dans un pays qui n'était pas plus tard, qu'hier, dans le même système que nous. Des chemins diamétralement opposés sont parcourus par les deux pays, l'un pour un progrès sans cesse grandissant et le nôtre pour un marasme profond à rendre malade tous les intègres et les honnêtes de ce pays. «Khali elbir beghtah (Laisse le puits avec son couvercle)!» (7).

Conclusion

Non! Nous ne devons pas laisser la gangrène s'étendre! Chacun à son niveau doit être comptable de ses actes et devrait s'indigner des dérives comme celles qui ont défrayé la chronique dans les Universités d'Alger, telles que les falsifications de notes, les annulations de délibérations de jury jusqu'à ce qu'ils soient «conformes» aux voeux des autorités universitaires. Le ministre de l'Enseignement supérieur devrait mettre en application la Charte universitaire qui est une réelle avancée déontologique. Les Commissions de l'éthique devraient être réhabilitées et en définitive, les enseignants qui sont les gardiens du temple devraient être écoutés, respectés par les chefs d'établissement, qui sont pour la plupart des «paléo-enseignants qui ont fait de cette fonction administrative un tremplin pour durer, pour se faire bien voir des princes du moment et pourquoi pas, qui sait? être un jour député, sénateur, ministre d'autant que les partis politiques en mal de légitimité sont bien contents d'accrocher, accrochent à leur palmarès, un Doctour consentant dont le sacerdoce dans l'enseignement n'était pas bien solide. Non l'université doit être sauvée.

* Professeur - Ecole polytechnique enp-edu.dz

1. http://www.osc.bj.refer.org/article.php3 ?id_article=168

2. Max Biederbeck Süddeutsche Zeitung 13 février 2013

3. http://www.courrierinternational.com/ revue-de-presse/2012/04/05/la-demission-de-pal-schmitt-une-revanche-pour-la-bulgarie

4. Hanna Gersmann Die Tageszeitung 5 mars 2013 http://www.courrierinternational.com/article/2013/03/05/tous-a-la-chasse-au-plagiat

5. Dr Ahmed Rouadjia, http://dzactiviste. info/revelations-la-banalisation-du-plagiat-au-sein-de-luniversite-algerienne/

6. K. Laroussi http://www.bladi-dz.com/articles/2104/1/La-corruption-et-lusure-envahissent-luniversite-et-le-professeur-en-est-le-responsable/Page1.html

7. M. Beghdad http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5179511