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Le grand sommeil       

par Abed Charef

Ramadhan, Coupe du monde, vacances. L'Algérie s'apprête à décrocher. Rendez-vous en octobre, avec une nouvelle constitution, ou un nouveau gouvernement.

L'Algérie plonge, ce week-end, dans le long tunnel de l'été. Ramadhan et vacances vont avaler les mois de juillet et août, imposant leur propre rythme.Les préoccupations traditionnelles de cette période, consommation effrénée, mêlée de détente et de loisirs pour qui c'est accessible,constituent une marque algérienne reconnue. Ni Ahmed Ouyahia et son projet de constitution, ni l'opposition et ses propositions pour organiser la transition ne semblent en mesure de sortir le pays du long ronronnement qui sert de musique de fond durant l'été.

Un long sommeil, donc. Mais un sommeil entrecoupé de rêves pour les uns, de cauchemars, pour d'autres. Les rêves d'abord. Il y a celui de la coupe du monde, et une qualification possible pour le second tour. En un seul match, celui contre la Corée du Sud, l'opinion algérienne, versatile comme toujours, a réappris à adorer des dieux qu'elle était sur le point de présenter au bûcher. Elle porte aux nues des joueurs dont la valeur marchande est considérée comme la moins élevée parmi les équipes qualifiées. Ce n'est pas encore l'explosion héroïque d'Oum Dourmane, mais on n'en est pas loin. La rue en rêve, le pouvoir aussi. Cela lui permettrait de passer un été tranquille, sans la pression des émeutes, des pénuries et des pannes histoires de délestage.

Le rêve, c'est aussi les vacances, avec les millions d'Algériens qui vont se ruer sur les plages. Le ministère du tourisme et les différentes structures chargées du secteur ont abdiqué. Elles vont se contenter de gérer des flux qu'il sera impossible de satisfaire. On entendra donc les mêmes discours sur les plans mis en place pour surveiller les plages et organiser la sécurité. Mais la balance touristique demeure, comme la balance commerciale, déséquilibrée. L'Algérie exporte le seul produit qu'elle devrait importer : les touristes.

Avant la période des congés, le Ramadhan imposera ses rites et ses traditions. L'Algérie sera à l'arrêt. Un pays qui ne travaille plus. Pendant cette période, seul le commerce et le discours creux fleurissent. Le ministère du commerce fera ses traditionnels communiqués sur les actions engagées par le gouvernement pour préserver le pouvoir d'achat des plus démunis ;celui de la solidarité fera le décompte des repas distribués ; la presse dénoncera la flambée des prix et s'en prendra aux spéculateurs, une espèce née sous Boumediene et toujours très puissante ; les citoyens se plaindront de la cherté des prix et de l'impuissance du gouvernement, mais ils achèteront plus et gaspilleront davantage.

Ouyahia veille

Dans un tel climat, y a t-il encore une place pour la vie politique et économique? Peut-être. Avec un peu de chance, Abdelaziz Belkhadem et Amar Saadani pourraient relancer la guerre du FLN, pour proposer aux Algériens un nouveau feuilleton pour meubler le Ramadhan. Le retour des deux dirigeants du FLN devient vital pour animer une scène politique désespérément vide. Et ce n'est pas le placide Ouyahia qui va changer la donne, avec ses consultations sur la constitution. Lui-même ne semble guère se faire d'illusions, tant sa démarche de bureaucrate est peu convaincante. Elle se limite en fait à recevoir des gens, à bavarder avec eux, avant de publier, au terme des « consultations », un bilan digne d'un sous-directeur de wilaya.

Ce grand sommeil dans lequel s'enfonce le pays cache pourtant un immense péril. Pendant que le pays dort, pendant qu'il s'amuse à comparer les mérites de la génération Belloumi à celle de Djabou, et à mettre en parallèle les méthodes Saddane et Hallilodzic, pendant ce temps, donc, Ahmed Ouyahia, celui qu'on présentait comme un des rares hommes d'Etat de l'ère Bouteflika, s'apprête à détricoter la constitution actuelle. Il prépare le terrain à un texte qui videra la constitution algérienne de tout son contenu. Il va livrer une copie qui permettra au président de la république d'adapter la constitution à son état de santé, pour ne plus avoir ni à présider le conseil des ministres, ni à tenir des réunions, ni à avoir le moindre soupçon de responsabilité devant n'importe quelle institution. Le président Bouteflika va déléguer ses pouvoirs de manière presque informelle, et des hommes, ou des groupes occultes, exerceront le pouvoir en son nom.

Subjugués par les dribbles de Djabou et par la beauté des plages tunisiennes, les Algériens ne se rendent même pas compte de ce qui se trame. Ou bien ils s'en désintéressent, parce qu'ils ont été désarmés, parce qu'ils n'ont plus de levier pour agir, plus d'instruments pour s'y opposer. Ils n'ont plus que l'émeute, mais l'émeute est devenue aussi banale qu'improductive.