Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Une constitution, s'il vous plaît

par Abed Charef

Une seule disposition, dictée par des impératifs de fonctionnement du pouvoir, compte dans la nouvelle constitution. Le reste n'est qu'habillage.

Le projet de constitution proposé par le président Abdelaziz Bouteflika n'évoque pas le poste de vice-président. Trop encombrant. Le poste a été oublié. Il a pourtant meublé les soirées d'ennui et d'analyse depuis trois ans, quand le chef de l'Etat, secoué par le printemps arabe, avait évoqué des réformes. Le vice-président doit-il être élu, dans un ticket, avec le président de la république ? Doit-il être nommé par le chef de l'Etat, une fois celui-ci élu ? En fonction de ce choix, dépendra tout le reste : le vice-président aura t-il un vrai pouvoir, ou bien se contentera-t-il de ce que lui délèguera le chef de l'Etat ? Juristes, hommes politiques, analystes bien introduits et constitutionnalistes se sont cassé les dents pour tenter de savoir quelle formule serait retenue.

C'était mal connaitre le président Bouteflika. Celui-ci ne supporte aucun pouvoir à côté du sien. Il l'a suffisamment montré durant les quinze dernières années. A l'exception de l'armée, tous ceux qui ont essayé de se construire ou de s'affirmer à côté de lui ont été détruits, qu'il s'agisse d'hommes, de partis, d'institutions ou d'associations. Le parlement, le gouvernement, les structures de médiation, tout a été laminé. Certes, il a été contraint, parfois, de composer, quand la conjoncture était difficile. Il a même fait quelques concessions, opérant des replis tactiques face à l'adversité. Pour accéder au pouvoir, il a accepté d'entériner les accords conclus avec l'AIS, et de parrainer la loi sur la réconciliation. Face aux évènements de Kabylie, il a amendé la constitution pour introduire le tamazight comme langue nationale. Dans la foulée du printemps arabe, il a procédé à des redistributions massives d'argent, sous forme d'augmentations de salaires, et promis des réformes.

UNE DEMARCHE CONSTANTE

Mais sur le fond, il n'a rien cédé. Bien au contraire. Il a étouffé le poste de premier ministre, pour mettre fin à la dualité de l'exécutif, avant de l'éliminer, au profit d'un simple premier ministre chargé de coordonner l'action du gouvernement. Il ne s'est jamais adressé au parlement, ni à la presse algérienne. Il a détricoté la constitution précédente, pour en faire un texte sans relief. Les ministres ne sont pas responsables devant le parlement, encore moins devant le premier ministre, c'est au seul président qu'ils rendent compte. Ses deux grands coups de force, l'amendement la constitution en 2008 pour briguer un troisième mandat, et le passage en force en 2014, constituent des dates marquantes dans le délitement institutionnel du pays.

Pourquoi tous rappels ? Pour deux raisons. D'abord, pour dire une évidence, presque une banalité: un homme qui a dépensé autant d'énergie à imposer son propre pouvoir ne peut être soupçonné, au crépuscule de sa carrière, de vouloir offrir à son peuple une constitution démocratique pour assurer l'alternance, renforcer les contre-pouvoirs et renforcer les libertés. Ce serait un non-sens. M. Bouteflika a fait preuve d'une rare constance sur ce terrain. Il a, certes, manœuvré, se rapprochant tantôt des uns, tantôt des autres, il a rendu les dirigeants interchangeables, il a prôné une ligne économique puis son contraire ; mais sur la question du pouvoir, il n'a jamais varié.

Ensuite, cela permet d'éclairer le proche avenir, pour savoir pourquoi le président Bouteflika veut faire amender la constitution. Là, tout le discours sur la démocratie, l'alternance, les institutions et le pluralisme est obsolète. Celui qui porte un tel projet le concrétise lors de son premier mandat, quand il en a la force, l'énergie, le temps, et les alliés, pas à la fin du quatrième mandat. Ce qui amène évidemment à cette ultime question : pourquoi cet amendement de la constitution ?

NECESSITE DE FONCTIONNEMENT

Une seule raison pousse le Président Bouteflika à amender la constitution: se donner la possibilité de déléguer une partie de ses prérogatives constitutionnelles, celles qu'il ne peut assurer pour des raisons physiques. Le reste n'est qu'habillage, de simples mesures d'accompagnement, pour faire avaliser le seul changement significatif. En 2008 déjà, l'amendement de la constitution avait pour unique objectif de supprimer la limitation des mandats. Cette fois-ci, des impératifs de fonctionnement imposent des modifications adaptées, pour éviter une paralysie trop grave de l'appareil de l'Etat.

Mais pour le président Bouteflika, il était vital que la décision de déléguer ces pouvoirs relève de sa seule volonté, non d'impératifs constitutionnels. Il doit donc pouvoir déléguer ces pouvoirs quand il veut, à qui il veut, et annuler ces délégations quand il veut. Dans sa logique, il est hors de question que quelqu'un puisse utiliser éventuellement ces prérogatives en dehors d'un cadre qu'il aura lui-même fixé au préalable. C'est ce qui explique la disparition de l'idée de vice-président, un poste dont le titulaire pourrait avoir des velléités de pousser le président vers la sortie.

Ce ne sera pas le cas avec M. Bouteflika qui prouve, cinquante ans plus tard, que Houari Boumediene a totalement échoué. Boumediene voulait construire un Etat qui survive aux hommes. L'Algérie a des dirigeants qui adaptent la constitution à leurs propres besoins. Y compris à leur état de santé.