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Terrorisme routier et mal-gouvernance

par Hassan El Benaissi *

Les 24 et 25 mai de cette année, s'est tenu, à l'université d'Oran, sous le parrainage du Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et avec la collaboration du Commandement régional de la gendarmerie nationale, un séminaire d'étude intitulé «Sécurité routière : mesures, enjeux et stratégies d'acteurs».

L'initiative et l'intérêt portés à cette thématique particulièrement sensible pour notre pays sont louables, salutaires et méritent toute notre considération et attention. Enfin, l'université algérienne, par de telle disposition et engagement, réinvestit sa vocation à étudier et analyser une problématique qui se pose avec acuité au pays, à trouver des solutions en assumant ses rôles et prérogatives naturelles d'avant-garde du pays et de réelle locomotive de son développement. ''Les savants sont les héritiers des prophètes'', nous enseigne notre culture et tradition islamique. Ils sont, par conséquent, les sentinelles et éclaireurs de leurs sociétés et communautés. Ils se doivent, donc, de contribuer et d'apporter bien-être et sécurité à leurs compatriotes. Et ce, sans morgue, ni gloire ? d'une manière seulement, et suffisamment, responsable. Car ce phénomène de Terrorisme routier est devenu aujourd'hui un réel et bien préoccupant fléau national qu'il faudrait coute-que-coute, analyser, décrypter et juguler. Il faudrait, peut-être, préciser, en ce préambule, que l'expression de Terrorisme routier n'est pas de moi, mais je me l'approprie, la revendique à titre de signifiant et l'intègre volontiers à l'analyse du phénomène. Celle-ci s'est imposée depuis quelques années déjà à l'imagerie populaire algérienne et au vocable usité par les uns et les autres dans notre pays. On verra que cette terminologie qui parait, à première vue, excessive , hasardeuse et dénuée de tout fondement, renferme des signifiants et symboliques bien plus loquaces en matière de représentations psychologique, sociales, culturelles et même politique.

Les accidents routiers, dans notre pays, tuent plus que ne tue le tabagisme, l'hypertension ou le diabète

Avec ses constants et continuels 5000 décès par an et plusieurs centaines de milliards de dinars de pertes économiques annuelles, les accidents routiers, dans notre pays, tuent plus que ne tue le Tabagisme, l'Hypertension ou le Diabète. D'où, il y a péril en la demeure, Algérie. Et là, en bons citoyens et patriotes nous devons réagir d'une manière aussi sérieuse que responsable pour comprendre, évalué scientifiquement, les causes réelles et les tenants et aboutissants du phénomène afin de pouvoir le juguler durablement avec l'élaboration d'un plan de lutte nationale.

Si le Terrorisme civil de la tragédie nationale a occasionné plus de 100.000 morts durant la décennie noire et plusieurs centaines de milliards de Dinars de pertes, le Terrorisme routier occasionnera en deux décennies consécutives, et au minimum, les mêmes dommages. Alors, de grâce, ne gaspillons pas nos moyens et notre énergie en discours approximatifs, démagogiques et surtout auto-complaisants avec des conclusions hâtives, simplistes et parfois même ségrégationnistes où on ne charge que les usagers de la route. Les causes principales des accidents de la route en Algérie sont à 90 % dues aux usagers, relatait un intervenant du séminaire. L'enfer, c'est toujours les autres, n'est-ce pas!

Et pour les 10 % restants, à en croire qu'il n'en ait que ça, qui en est responsable : le concepteur et réalisateur du réseau routier, l'aménageur de la signalisation routière de régulation, le législateur impotent, la direction des transports qui a réceptionné des travaux sans émettre de réserves, le Wali qui a la charge de contrôler ses équipements, les exécutions élastiques des règles de répression promulguées en fonctions des clientèles contrevenantes et de leurs soutiens dans l'administration, etc? C'est un peu trop simple et surtout improductif de bâcler ainsi l'analyse pour espérer une définition correcte des responsabilités, en ne jetant la pierre qu'aux plus exposés (et surtout à l'Absent !).

Quant au rôle du législateur algérien en la matière, il faut lui reconnaitre d'avoir, au moins cette fois-ci, exercé pleinement sa vocation et prérogatives d'élu. Quoique l'équation algérienne de la forte et excessive mortalité routière, comparativement à son faible parc roulant, n'a pas trouvé encore un dénouement encourageant , malgré le copié-collé que nos législateurs ont appliqué en la matière , s'inspirant d'autres pays voisins , sans partir de véritables diagnostics et d'une étude scientifique nationale et rigoureuse tenant compte de tous les critères de causalité , entre autres, sociologiques, culturels, psychologiques pour ne pas dire Psychiatriques? comme on le verra plus loin ! En effet et malgré, l'adoption approximativement, du même arsenal juridique, règlementaire et répressif adopté par notre pays, pourquoi nous n'enregistrons aucune baisse ou tendance significative de la mortalité routière, par rapport à nos voisins qui, eux, disposent d'un parc roulant 50 fois plus important ? N'avons-nous pas, surtout, traité les symptômes visibles plutôt que les causes profondes. Et nous nous étonnons, de constater que le phénomène perdure et prendre même de l'ampleur !

L'Algerien est rebelle à la loi

Fatalisme de la mise en danger d'autrui, vitesse excessive, refus volontaire de priorité, non-respect volontaire de la règlementation routière, et bien d'autres actes et comportements inciviques chez les usagers de la route en Algérie sont en fait des actes de rébellion et de révolte sournoise à l'ordre établi. L'individu et sa construction ne sont qu'une somme de situations et d'expériences tirées de son vécu. C'est un complexe varié mais construit de ces informations et expériences durant la période de formation de sa personnalité intrinsèque et, par la suite, citoyenne dans le groupe, qui vont en finalité ''formater'' l'individu et préfigurer de son comportement devant la loi, devant la sécurité d'autrui, etc? De par son histoire depuis de longues décennies, les traumatismes multiples subis, les multiples bouleversements de ses rapports aux autorités et à la loi, l'algérien est rebelle à la loi. IL est convaincu, de par sa propre expérience ou de celle héritée des siens, que la Loi s'est souvent exercé à ses dépens. Qu'elle n'est pas faite pour Tout le monde ; que certains citoyens n'y sont pas soumis, car ils peuvent y déroger par leurs moyens ou par leurs soutiens ou relation : donc, il n'a aucun respect pour cette loi, ni envers l'autorité qui l'a promulgue, ni celle qui veille à son application. Et quand, il y peut y déroger à cette loi, par un quelconque irrespect, il le fait pour se défouler, pour s'affirmer, comme ses milliers de voyageurs de bus ou de trains qui vandalisent et détériorent, sans gêne aucune, ces biens publics qui sont, pourtant, à leur service. L'algérien a adopté et cultivé un rejet de la Loi, depuis la période coloniale et son Code et Loi de l'Indigénat, puis les lois assimilationnistes des Deux collèges et de l'usurpation légalisée de la fraude électorale, jusqu'à notre époque et ses soubresauts, en passant par les différents régimes et situations politiques particulièrement éprouvantes dans notre pays. En quelques mots, l'algérien ne croit pas à ses institutions ; il ne croit pas à ses élus, il ne croit pas que ces derniers sont là pour veiller à sa sécurité et liberté. Alors tout ce qui vient d'eux est ressenti comme un moyen de répression et d'infériorisation? alors, il se sent porté à les violer, quand il peut, pour affirmer, quelque part, sa part de dignité, d'intelligence et d'humanité !

L'Algériens une, propension sociologique a la rébellion et à l'irrespect de la loi

Faire acte de terrorisme, c'est exercer un pouvoir en violant la Loi. Et l'algérien, a acquis par la force des choses et par un vécu particulièrement traumatisant et surtout non dénoué, non explicité et non assumé psychologiquement, une propension sociologique à la rébellion et irrespect de la loi. Chacun de nous, est quelque part rebelle, réfractaire à la loi, incivique et potentiellement hors-la-loi dans ses profonds retranchements. Tout cela, pour dire qu'on ne transplante pas des lois et législations en matière de code de la route en pensant qu'on a résolu le problème? Ou alors, il faudrait aussi transplanter, avec, les individus chez lesquels ont été définies et validées des études de causalité. Et cela ne vaut pas seulement pour le code et règlement de la route, mais pour l'ensemble des contrats de citoyenneté, de solidarité nationale et du vivre ensemble. Les critères sociologiques, psychologiques et même psychiatriques sont aujourd'hui largement exacerbés dans l'équation de la mortalité routière dans notre pays. Bien au-delà des causalités prétendument retenues par les analystes mettant en, surtout, l'imprudence irresponsable des usagers. D'où, pour traiter ce fléau, il faudrait prospecter et mobiliser plus vers l'éducation, la sensibilisation et la formation qui, elles, pourront contribuer davantage à susciter plus d'adhésion citoyenne des usagers que vers le législatif-répressif qui a montré ses limites. En un mot et dans le cadre, on espère à venir, d'un plan national et véritablement ambitieux de lutte contre ce fléau de la route, osons rétablir la confiance entre les autorités, les législateurs et ce qu'on appelle communément le Pouvoir et ses institutions et les Administrés ou Citoyens, et dans ce cas présent, les usagers de la route ?

* Université d'Oran