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De la cour des grands au coin du préau !

par Abdelkader Khelil *

Notre enfermement sur nous mêmes, dans une bulle taillée à notre mesure d'énergétivores et de prédateurs de ressources rares, peu soucieux du devenir des générations futures, fait de nous des gens suicidaires, victimes de notre inconscience collective.

Il est vrai que nous disposons d'un bien-être social relatif, au point d'être enviés par bien des pays, mais cela n'est en rien la moisson d'un effort collectif, fait de labeur et de suintement de sueur !

C'est tout simplement le fruit d'une partie des dividendes, distribuée par « l'État-Sonatrach » à un peuple de plus en plus assisté, sans contrepartie productive ! Si malgré cela , notre société reste « déboussolée », c'est que chacun de nous a sans doute sa part de responsabilité dans cette léthargie d'un corps social « comateux », qui peine à se départir de certains réflexes qui le confinent par habitude, par démission ou par paresse, dans une forme d'attentisme, synonyme d'impuissance, quant à la prospection de la voie de sortie du bourbier dans lequel nous nous sommes enlisés, faut-il le craindre, cette fois-ci durablement !

SOCIÉTÉ GÂTÉE PAR L'ÉTAT PROVIDENCE !

Si nous sommes dans cette situation peu enviable d'une société sans horizon ni perspective, c'est qu'encore une fois, nous faisons l'impasse sur cette interrogation capitale qui consiste à savoir en quoi nous avons failli, en tant que collectivité nationale et en tant qu'individus pris séparément. Jamais évaluation en termes de plus (+) et de moins (-) n'a été faite chez nous, pour jauger la dynamique interne de notre société et solder nos comptes, selon le principe de comptabilité, cette pratique usitée par tous les pays marqués du sceau de la réussite. Oui ! La navigation à vue n'a que trop duré ! Nous avons grandement besoin d'éclaircie !

A défaut de cela, on se contente de nourrir à l'excès ce peuple qu'on dit fainéant, mais dont on veut gagner les faveurs, dans une logique du donnant-donnant, sans pour autant, qu'elle soit celle du gagnant-gagnant ! Pour tout le reste, c'est à dire, son éducation, sa formation, sa culture et ses activités productives, nous sommes dans la sphère de « l'apeuprisme », de cette action minimale qui entretient l'illusion de faire comme les autres, tout en étant satisfait de rester dans cette plage d'évaluation, rouge-orange, du mauvais au médiocre en tout ! C'est « khair men oualou », sommes-nous habitués d'entendre, comme par fatalisme ! De par les pratiques populistes, nous avons réussi ce tour de force, d'être dans le peloton de queue dans bien des domaines, alors que disposant d'atouts non négligeables.

Oui ! Encore une fois, l'un dans l'autre, c'est « khair men oualou » chez ceux qui ne savent pas compter, anticiper et se projeter sur l'avenir ! Il n'y a qu'à voir le bradage du Bac et de bien d'autres diplômes distribués, et sans valeur, pour comprendre au plus prés, l'ampleur de notre hara-kiri ! N'est-ce pas qu'il est bien regrettable, qu'au regard du fonctionnement de notre société, nous soyons dans cette difficulté à opposer un argumentaire crédible, à tous ceux qui disent, qu'il n'y a point d'intérêt à faire des études dans l'état actuel des choses !

Cela tient au fait, que nous sommes dans une société tirée par le bas et nivelée par la débrouille trabendiste, qui glorifie l'informel et déprécie le savoir et la connaissance. Dans cette jungle animée par l'import-import des pétards, des chiffons, de la vaisselle, de l'électroménager et des pièces détachées bas de gamme d'origines asiatique et turque, comment peut-on construire dans cette atmosphère malsaine, un avenir pour notre progéniture, prise en étau entre la voie du gain facile et celle du travail court-circuité par les pratiques de l'Etat-providence (cf. ANSEJ et autres centres distributeurs de deniers publics) !

En effet, dans le « paradis du social » qu'est devenu notre pays, en travaillant moins de trente (30) minutes par jour, tout au moins dans la fonction publique, nous arrivons pourtant à manger copieusement jusqu'au gaspillage des denrées alimentaires, et à nous soigner pour l'essentiel, même si la qualité de l'accueil et des soins ne sont pas encore correctement ressentis par nos concitoyens.

Nous nous permettons même quelques extras, à travers l'acquisition de véhicules personnels qui pour la seule année 2013, a atteint prés de 520.000 unités, à défaut d'un développement optimal et efficient du transport public intermodal, chose par laquelle ont commencé tous les pays qui ont fait de la productivité de leurs économies, leur crédo et dans bien des cas, chez les asiatiques par exemple, leur point d'honneur, dans le propre style de ces guerriers samouraïs.

Nous par contre, trop longtemps abreuvés par des discours pompeux et vaniteux, structurés autour de toute une panoplie de qualificatifs élogieux, disant de nous entre autres choses, que nous sommes ce peuple vaillant, prédestiné à jouer un rôle majeur sans pourtant arriver à faire l'exercice d'une validation au présent, et à se projeter sur un lendemain fait de pédagogie autour du travail, cette seule source pérenne de richesses.

DES ESPOIRS DÉCHUS À L'INCERTITUDE DU LENDEMAIN !

Est-ce à dire, que l'avenir n'appartient qu'aux autres, et qu'il faille se contenter de quelques bienfaits d'un demi-siècle d'indépendance ! Il est vrai, qu'à défaut d'un projet de société totalement inscrit dans un destin national commun, c'est l'attitude égoïste d'essence solitaire qui prend le dessus, dans une sorte de fuite en avant animée par une course effrénée autour de : qui prend le plus au « beylik ». Tout se passe donc, comme si nous étions dans une atmosphère de banqueroute, qui éclipse la morale et extériorise l'instinct de survie, face à la chose désirée ! C'est là, une dimension animale de la meute !

Cette situation délétère ne profite en fin de compte, qu'aux futés et aux opportunistes qui gravitent à la périphérie des sphères décisionnelles, tels des bourdons audibles par l'agitation de leurs ailes, mais sans effets sur l'émancipation et le développement de notre société ! Quand aux autres, envahis par l'angoisse et l'incertitude du lendemain, ils ne leur restent que les souvenirs d'un passé glorieux et laborieux en guise de bouffées d'oxygène pour les plus âgés, et la chimère d'un voyage périlleux et mortel vers un éden outre-mer, pour les plus jeunes ! En tout état de cause, force est de constater, que notre société reste sans lisibilité et tout semble dire que le compteur de sa dynamique interne s'est bloqué sur cet unique souvenir consensuel des années 70, qui auguraient bien des espoirs avant que la trajectoire ne notre développement ne fût brisée et infléchie vers le recul, la stagnation et le « pilotage à vue » !

Encore faut-il préciser que cette satisfaction relative à connotation nostalgique, n'appartient qu'aux générations de l'indépendance. Toutes celles qui ont suivi, sont pratiquement sans mémoire de faits saillants et fondateurs qui font l'identité d'une nation à laquelle s'apparente avec fierté, tout authentique citoyen ! Ils n'ont pour seuls souvenirs marquants, faut-il le déplorer, que ceux qui se rattachent au basculement de notre société dans l'intégrisme, aux effets collatéraux de la décennie noire, et aux scandales économiques et financiers d'une ampleur jamais égalée, c'est à dire, tous ces ingrédients qui sèment le doute dans leurs esprits et les plongent bien souvent, dans une série de questionnements qui génèrent isolement, enfermement et repli sur soi. La société de la sorte éclatée, devient une agrégation de familles et de groupes hétérogènes, sans ce lien qui fait sa cohésion et sa force ! Alors ! Comment ne pas dire, qu'il y a danger dans la maison Algérie ?

Oui ! À trop vouloir regarder les télés des autres, par besoin de se comparer, ou de se distraire par défaut, ce qu'autorise de nos jours le zapping, l'on ressent une frustration certaine pour n'avoir pas atteint comme prévu, les niveaux de développement de pays comme l'Espagne ou la Turquie ! Cela nous désole et nous attriste lorsqu'on prend conscience de tout le chemin qui nous sépare de cette rive du progrès accompli par ceux qui savent conjuguer les intérêts de leurs pays, au présent et au futur, sans pour autant se départir de leurs identités multiples, qu'ils affichent comme une norme ISO de fabrique !

Et pourtant ! Bien que gâté par la géographie et par son sous-sol, notre pays se porte mal dans l'étroitesse du costume qui lui a été taillé par coups de ciseaux successifs, alors que censé porter du XXL, cette taille qui lui sied le mieux, ce signe distinctif de pays dits développés ou émergents, et dont certains sont pourtant moins nantis que lui !

S'il fallait chercher des causes à cette sous estimation dimensionnelle d'un « pays- continent » qui a tout pour jouer dans la cour des grands, et non dans un petit coin de préau tel un enfant timide, de toute évidence, la première qui vient à l'esprit, est cette panne de gouvernance qui a négligé le rôle d'acteur du citoyen et sa position centrale au cœur de toute action de développement.

C'est aussi, cet excès de centralisme qui inhibe les initiatives locale et régionale et place les citoyens dans une situation d'égalité, dans l'immobilisme et l'attentisme ! Tout doit passer par Alger et toute notre énergie est dissipée dans les embouteillages ! Alors ! Comment peut-on demander à nos concitoyens de la sorte épuisés avant d'arrivée au boulot, d'être productifs ! Ils font donc semblant de travailler, et l'Etat fait semblant de les payer ! C'est là sans aucun doute, un système atypique, unique au monde et un cas d'école à citer comme exemple à ne pas suivre par tout pays qui veut réussir !

LA QUESTION ÉNERGÉTIQUE ET LES ENJEUX FUTURS !

Il n'est point besoin d'être grand clerc pour prédire ce qui peut nous arriver, si on persiste à vivre en rentiers, tributaires pour notre nourriture des efforts des paysans canadiens et des européens ! Nous risquons tout simplement de devenir ce pays dépourvu de moyens, quand notre sous-sol exploité par les multinationales sera asséché ! Le gaz de schiste nous dit-on est là pour prendre le relais ! Il semble aussi, selon ces mêmes voix autorisées, que nous avons encore du temps devant nous et bien d'autres alternatives, pour nous permettre de continuer à nous endormir sur nos lauriers, sous l'œil vigilant de l'Etat providence !

Si l'on considère sérieusement les intérêts des générations futures, ce n'est là malheureusement qu'un leurre et il faudra bien qu'on songe à travailler si l'on veut éviter la famine qui étale sa misère dans nos villes convoitées par ces migrants subsahariens, de plus en plus nombreux. A trop croire à notre bonne étoile, à négliger le labeur et à écouter le chant des sirènes, nous risquons d'être un jour dans la même situation que nos voisins du Sud, d'autant plus qu'il faut s'attendre à des effets plus marqués du réchauffement climatique. Dans un avenir proche, ceux qui nous aurons promis la prospérité ne serons plus là, et les générations futures n'auront que leurs yeux pour pleurer l'étroitesse de vue et la gabegie de leurs ainés, qu'ils finiront par maudire ! N'est- ce pas là, un triste héritage qu'aura à consigner la mémoire collective ?

Oui ! L'histoire retiendra qu'au moment d'une aisance financière jamais égalée, nous n'avons pas su saisir notre chance de pays éligible à la prospérité et à l'émergence, de par la faute de ces ondes négatives qui empêchent notre pays d'avancer, parce que trop soucieux de leurs intérêts et de leur devenir, cette préoccupation qu'ils n'ont pas su rendre compatible avec les intérêts de leur pays.

Nous sommes donc dans une logique de partage de la rente et du « qui prend quoi » ! Le « qui fait quoi pour Algérie », dans la conformité d'une vision stratégique convenablement cogitée et en adéquation avec les intérêts des générations futures, n'est pas la préoccupation de l'heure ! Elle n'est que celle d'une élite non polluée par le fric, assimilée à la famille des technocrates, ce corps de « pompiers » auquel on ne fait appel, que lorsqu'il y a le feu ! Pour tout le reste du temps, ils sont taxés de rêveurs, de philosophes, voire d'oiseaux de mauvaise augure et de troubles fête ! C'est vrai qu'il est plus facile d'acheter la paix sociale, que de faire le pari de la mobilisation autour d'un minimum commun, dans une atmosphère marquée par l'esprit de la bonne gouvernance !

Cela renvoie à l'ouverture du cercle restreint, aux compétences locales et celles qui ont suffisamment butiné à l'étranger pour pouvoir aujourd'hui remettre sur rail, «le train Algérie», sur la voie du savoir et de la connaissance ! La logique est donc cette fois-ci, celle de la compétition où il n'y a que les meilleurs qui pourront rester sur le champ de l'action ! Saurions-nous un jour accepter cette nouvelle règle, qui met sous les feux de la rampe, les hommes et les femmes les mieux habilités à nourrir le rêve d'une nation ancrée dans son siècle ?

* Professeur