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Brésil : La coupe est déjà pleine

par Abdelkader Djebbar

«Pas de football, mais de l'éducation !». A quelques jours du Mondial, des dizaines de milliers de Brésiliens descendent dans la rue. Presque tous les jours. Sans relâche et avec beaucoup de sacrifice au jour le jour. La facture démesurée de la Coupe du monde, qui s'élève à 15 milliards de dollars, est surtout un prétexte. Mais la coupe est déjà pleine.

Les Brésiliens dénoncent la hausse des prix, qui dépasse 6,5% dans un pays pour qui les années de croissance folle semblent terminées. Le Brésil est en outre le 17e pays le plus inégalitaire du monde. Et dans la vie quotidienne, cela donne quoi ? Un peu partout dans les pays qui participeront à la phase finale du mondial 2014 au Brésil, on se demande si réellement la compétition aura lieu.

Rien de plus légitime quand on apprend, chaque jour qui passe, la gronde qui secoue le pays du plus grand carnaval du monde. Celui de Rio qui bat tous les records et qui occupe toute la place, tout le temps et tout le reste. L'heure est à la fête. Et seulement à la fête, tout inclus. Le temps que la samba s'estompe. Que les cœurs se durcissent de nouveau après une semaine de folie. La folie brésilienne qui n'a pour nom que les nuits sans sommeil et les jours sans travail. Et rien n'est exagéré quand on parle du superlatif brésilien. Y compris le mécontentement du peuple qui dénonce la baisse du pouvoir d'achat, situation imputée à l'organisation du mondial 2014. Le principal agent de leur misère n'est autre que la FIFA.

LA SAMBA

Au Brésil, on ne compte plus les manifestations contre la chute et la dégradation du pouvoir d'achat. Contre la flambée des prix. La FIFA se montre de plus en plus inquiète. Le Mondial de foot aura-t-il lieu ? La question revient tel un leitmotiv dans tous les milieux sportifs. Et il y a de quoi! À quelques semaines du début du Mondial, les installations et équipements ne sont tout simplement pas prêts à recevoir spectateurs et footballeurs. Mais le pays organisateur n'en démord pas. Tout sera prêt pour la cérémonie d'ouverture et le mondial aura lieu contre vents et marées avec une cérémonie des plus grandioses, affirme-t-on. Et encore un autre superlatif pour démontrer que rien n'est laissé au hasard. Que tout est calculé. Que tout est sous contrôle. Et que tout se déroulera comme prévu. Elle aura bel et bien lieu, cette Coupe 2014, même s'il faudra augmenter le budget prévu, un budget qui crève tous les plafonds déjà.

La cérémonie d'ouverture sera grandiose. "Une compétition dans le pays où le football est partout et le ballon rond fédère toute une nation" dit-on en affirmant que "le Brésil sera uni derrière son équipe; nous vivrons au rythme des matchs, des défaites, des victoires. Le tableau est idyllique. Un peu trop, je trouve?Heureusement qu'il y a aussi la samba dans le cas où? Sait-on jamais !

Faire rêver la population brésilienne en organisant la Coupe du monde de football certes, mais à quel prix ? De 67 à 700 euros environ la place suivant les matchs ? ce n'est vraiment pas donné surtout quand on dit que les brésiliens depuis quelques temps, tournent sept fois la langue dans leur bouche avant de dire "on va faire le marché". Au moindre toucher, le légume le plus courant brûle le bout des doigts et fait saigner les portefeuilles. Mais cela rappelle d'autres pays et pas forcément à cause du Mondial. Il y a d'autres facteurs tantôt objectifs, tantôt subjectifs et donc spéculatifs.

Prohibitif pour la quasi-totalité des Brésiliens. Mais tant pis ! Qu'à cela ne tienne, eux, regarderont les matchs à la télévision? Le prix des billets d'entrée frise l'inimaginable. Mais la nation sera soudée le temps du Mondial qui tarde à commencer pour vite se terminer. Les artères de Brasilia, et les favelas de Rio de Janeiro seront, comme partout ailleurs au Brésil, noires de monde les jours de match. Et la chasse aux pigeons venus d'ailleurs sera une activité des plus fébriles. À un point tel que d'ores et déjà les consignes de sécurité sont de mise. On recommande, par exemple, de ne pas circuler avec beaucoup d'argent en poche. On déconseille fortement de ne pas se pavaner dans les rues avec des bijoux bien exposés. On insiste également sur les "invitations" qui tombent du ciel.

LA SECURITE

Dès l'arrivée à l'Aéroport international Presidente Juscelino Kubitschek, les orientations aux étrangers sont claires, nettes et précises dans différentes langues. Des orientations noyées dans des directives d'ordre général pour ne pas laisser planer un avant-goût de pays rongé par tous les maux possibles. Les brésiliens veillent au grain pour laisser également bonne impression. Que le Mondial n'est pas seulement une occasion de s'enrichir mais aussi de rapprocher les peuples de la planète.

Et le lendemain ? On oublie tout le reste ? Pas vraiment. Après la fête, c'est à une réalité moins joyeuse et peut-être un plus amère qu'il faut faire face.

Soudée pour vibrer au rythme des matchs, la population l'est tout autant, pour manifester son mécontentement; un ras-le-bol que les brésiliens surnomme "révolte du vinaigre".

Partie de Sao Paulo pour protester contre l'augmentation des tarifs des transports publics, la contestation générale se propage peu à peu dans la plupart des grandes villes du pays et prend de l'ampleur. Réaction épidermique du président de la FIFA : " Les gens se servent de la vitrine du football et de la présence de la presse internationale pour faire certaines réclamations". Oui, les manifestations sportives peuvent être l'occasion de mouvements sociaux. Certes, cette Coupe du monde 2014 apparaît comme le révélateur de tous les maux dont souffre le pays. Et alors ? Horrifié par l'ampleur que peut prendre ce mouvement, le gouvernement essaye tant bien que mal de dissocier ce mécontentement de l'organisation de la coupe. Or, c'est un tout.

Pour nous rassurer, on nous affirme même que l'événement sera un atout majeur pour le développement économique. Toujours le même refrain, le disque semble être rayé. Sans

Enfin? dès "le troisième jour de la compétition, cela va se calmer" d'après la FIFA. Ah oui ? Et comment ? Par la charge des forces de l'ordre sur les manifestants ?! C'est à craindre? Attention tout de même, que cette révolte, ne tourne pas trop vite au vinaigre !

Hué par le public du stade de Brasilia, samedi, lors du match d'ouverture de la Coupe des confédérations, Sepp Blatter est aussi critiqué en raison de l'ingérence de la Fifa dans les affaires du Brésil. Elle impose ainsi au pays hôte un droit d'exception offrant aux sponsors l'exclusivité de l'occupation de l'espace public.

LE QUOTIDIEN

Se déplacer, ça coûte combien au Brésil ? "Ici, un employé touche un salaire minimum de 678 réaux (350 dollars environ) et on veut nous faire payer 3,20 réaux (1,50 dollar) pour un billet de transport", dit-on. Et la qualité de transports ne s'améliore pas... nous ne voyons pas d'introduction de nouvelles lignes, ni d'augmentation de la fréquence des métros ou des autobus. Les gens se demandent alors où part leur argent. C'est un peu le cas de toutes les villes brésiliennes", détaille Emerson Fernandes Marçal, le coordinateur du département des études macroéconomiques à l'Ecole d'économie de São Paulo.

Manger, ça coûte combien au Brésil ? D'après Numbeo, un site participatif qui recense les prix dans différents pays du monde, les prix des aliments au Brésil ne diffèrent pas beaucoup de ceux pratiqués en France. Le problème, c'est que le salaire minimum au Brésil est quatre fois moins élevé que le smic français.

Qu'est-ce qui a provoqué la colère ? La tomate. Alors que, début 2011, un kilo de tomates coûtait environ 1 euro, "fin 2012, le prix est grimpé jusqu'à 2,43 euros". "Certains restaurateurs ont annoncé qu'ils retireraient la tomate de leur menu tant que les prix ne seraient pas revenus à un niveau normal". Qu'est-ce que cela révèle ? A l'image de la tomate, les prix d'autres denrées alimentaires se sont envolés. Celui des oignons a grimpé de 70% en un an, celui du riz de 20% et celui du poulet de 23%. "Depuis le début 2012, les prix ont explosé. Les responsables sont à chercher dans la météo (une sécheresse suivie de pluies trop abondantes) et dans la hausse du prix du pétrole, qui augmente le coût des importations", explique l'économiste brésilien.

Aller à l'école, ça coûte combien au Brésil ? Les écoles publiques sont gratuites, mais? "Si vous voulez une bonne école pour vos enfants, vous les enverrez dans une école privée. Et cela coûte cher. " Une famille qui a deux enfants de moins de 10 ans paie plus de 700 euros par mois et par enfant". Plus de 80% des jeunes Brésiliens étudient dans les écoles publiques, faute de moyens, mais sont confrontés à la pénurie de matériel et d'enseignants, ainsi qu'à la violence. Certaines familles étouffent. Un point c'est tout?