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Constitution ou statut ?

par El Yazid Dib

L'on dirait que la constitution est un statut d'une entreprise privée. Seuls les membres du conseil d'administration ont eu droit à une ampliation. Les autres, ce ne sont en fait que de simples clients, des usagers. Ainsi Ouyahia s'est vite mis dans la peau d'un notaire de la république voulant acter sa refondation.

Les parties destinataires en leur diverse expression politique ou nationale n'ont rien à envier aux autres. Ce texte, considéré comme acte fondateur de l'Etat ne semble pas pour autant apparaitre comme tel. Plusieurs fois trituré au gré des recettes mijotées par les circonstances ; il ne tend plus maintenant à se faire respecter. Il se met par contre en toute disposition à la l'ardente humeur du moment. Il vient toujours à propos arranger des situations et amadouer des réticences.

«Ces suggestions vous sont adressées à titre indicatif, car, je vous précise, au nom de M. le Président de la République, que le chantier de révision constitutionnelle ne fait l'objet d'aucune limite préalable, hormis celles relatives aux constantes nationales ainsi qu'aux valeurs et principes fondateurs de notre société. » c'est ainsi que s'est adressé Ouyahia aux destinataires invités à la concertation sur la révision constitutionnelle. Le chantier est ouvert. Les travaux vont timidement. Point d'échéances, pas de délais. Un calendrier bien étalé, étayé selon les différentes phases de la concertation dite participative aurait apporté plus de transparence et surtout plus d'engagement fermes et explicitement fixés dans le temps. Laisser un « chantier » ouvert sans date précise prête à confusion et permet sans gêne d'éluder la réalisation de taches confiées. Le temps dans toute opération est un facteur déterminant quant à l'aboutissement d'une mission, d'une besogne, de surcroit un engagement politique.

Au sortir d'une campagne précédant une élection un peu controversée ; le pouvoir dans un élan de correction et de charme veut par cette démarche faire omettre les couacs et les anicroches vécues électoralement. La pilule est goulûment avalée. Tout le monde commence à en converser. Voulue sans être déclarée, constituante ; l'approche de la concertation s'est vite mue en un contrat quasiment d'adhésion. Cependant, à défaut de se réunir à la tunisienne le pouvoir a préféré le dialogue à distance, une constituante par correspondance. Mais là aussi des incompréhensions subsistent. Soumettant un texte juridique, soit technique à des corporations d'essence politique ne semble pas trop résoudre la problématique. L'idéal aurait été d'abord de bien leur tendre une oreille attentive pour qu'ensuite soumettre cette « écoute » à un comité de professionnels neutres et non partisans à l'effet de dresser un avant ?projet pour en finalité regrouper les acteur une seconde fois et en tirer définitivement une mouture finale à soumette à qui de droit.

Si l'on revient sans égard à la façon préconisée par le pouvoir à l'effet de susciter les réactions ni à la substance contenue et ciblée dans la copie transmise ; faculté y est de dire que le problème de la constitution algérienne dépasse grandement le souci récupérateur de confiance. Il outrepasse aussi une actualité peu soucieuse d'un devenir toujours en pleine compromission. La constitution ne doit pas être l'apanage d'un pouvoir en place. Celui-ci aléatoire et celle-là pérenne, il faudrait chercher l'avenir dans la symbiose nationale consensuelle. Pourquoi a-t-on toujours peur d'une assemblée constituante ?

Une définition sort du document accompagnant les propositions et tend de décrire les constantes nationales comme étant « ces valeurs et principes fondateurs de la société algérienne qui incarnent sa longue histoire, sa civilisation millénaire et une vision d'avenir portée par des valeurs et principes partagés par l'ensemble des citoyens algériens ». Que vient faire alors dans le préambule la réconciliation nationale ? Ce n'est là qu'une simple transcription d'une politique conjoncturelle donnée et limitée dans le temps et ayant déjà produit ses divers effets et n'agit point donc sur l'avenir. Nous n'allons pas rester éternellement dans le repentir ni vivre continuellement dans les résidus terroristes. Elle ne peut par son historicité et son caractère ad-hoc, n'ayant réglé qu'une crise politique passagère et un drame national, cette politique de réconciliation pouvoir accéder aussi facilement au rang des constantes nationales. Elle n'est pas une seconde religion, ni une origine identitaire. Pour se pérenniser de dire sans ambages que « Ces principes fondateurs de notre société sont immuables et ne sont pas révisables ». Rien n'est sur Monsieur Ouyahia ! On a bien dit ceci auparavant. N'avions-nous pas un temps dans un même texte de même valeur juridique clairement clamé que « l'option socialiste est irréversible » ? Donc l'idée de faire astreindre à ses propres penchants un tel texte n'est pas nouvelle et ne pourra s'arrêter à ce seuil. Rien n'obstruera le chemin d'amendements futurs. C'est un peu comme la constitution de 1963 qui annonçait pompeusement que le FLN devrait « Mobiliser, encadrer et éduquer les masses populaires pour la réalisation du socialisme »

Pourquoi l'alternance au pouvoir vient encore se redécouvrir une virginité de haute sainteté démocratique alors qu'en 2008, cette sainteté a été profanée par ceux là même qui la louent maintenant en la rendant comme une exigence et un fondement essentiel de nature à consolider la construction démocratique, redynamiser la vie politique et favoriser ainsi l'émergence d'une culture appropriée de l'alternance ? Tant mieux si ce sursaut réparateur d'une prodigalité de tempérament vient à point redresser un tord constitutionnel. Dans la constitution tunisienne du 27 janvier 2014 il y est inscrit à propos des mandats présidentiels « qu'Aucun amendement ne peut augmenter en nombre ou en durée les mandats présidentiels » assorti également d'une « interdiction d'occuper la Présidence de la République pour plus de deux mandats entiers, successifs ou séparés » Il fallait insérer ne serait-ce que par formalisme un truc pareil dans l'article 20 du projet amendant l'article polémique 74. Les modalités inhérentes à l'éligibilité du président de la république ne sont pas expressément et en leur totalité identifiées.

D'où peut-elle provenir sa candidature ? D'un parti ? D'un parrainage ? Et pourquoi ne pas consacrer définitivement une disposition rendant obligatoire l'appartenance à un parti pour tout éventuel candidat à la magistrature suprême ? Ceci ne fera que promouvoir l'action politique et accréditera davantage l'exercice partisan tout en mettant la conquête du pouvoir aux mains des partis et non de personnalités qui pourraient survenir comme des spectres intrus dans un paysage originellement réservé aux acteurs politiques. C'est de cette façon que le « candidat du consensus » le « moins mauvais » et « le candidat de l'armée » iront en disparaissant. L'honneur serait dû à ceux et celles qui auront à militer, crapahuter le long des chemins sinueux de l'action politique. Laisser libre cours à un parrainage d'élus ou de citoyens pour un quelconque « candidat libre » est paradoxalement plus ardu que d'aller faire ses classes dans un parti, user ses culottes dans une kasma, franchir l'écueil des primaires et recueillir en apothéose de suffrage la confiance du peuple.

La lutte contre la corruption, ses différents supposés remparts, son attirail juridique mériteraient d'être incrustés dans une loi spéciale et n'a nullement besoin de venir gâcher l'harmonie d'un texte aussi éloquent et supranational, tel que formulé par l'article 4 proposant l'amendement des dispositions de l'article 21. Juste faut-il trouver dans la réalité des mécanismes de contrôle plus adéquats à l'effet de juguler ce fléau qui s'est répandu tentaculairement. La déclaration de patrimoine a un effet d'éblouissement, sans plus. Le détournement de propriétés et les énormes subterfuges qu'offrent les officines sont signalés à longueur de presse nationale et ceci en présence de textes fortement présentatifs et répressifs.

L'article 41 bis reformulant autrement les conditions de création et de fonctionnement des partis n'appelait aucune utilité d'insertion dans l'acte fondateur de l'Etat. Le principe sacralisant le droit de le faire aurait suffit. L'autre phraséologie , puisqu'il y est dit en fin de son agencement que « d'autres obligations et devoirs sont prescrits par la loi organique » est digne d'être prise en charge par cette même loi organique prévue pour régir les partis politiques dont l'urgence de toilettage est primordiale et va de concert avec l'exigence actuelle. Ces partis doivent avant tout être protégés contre toute tentative de déstabilisation ou d'actions de sabordage. L'immunité politique doit être l'un des principaux avantages que la constitution puisse présenter à cette garantie de droit et protection. Les partis chez nous ne sont pas forts. Ils ne sont là que pour la jubilation d'une démocratie façadière rendue par ailleurs impérative, quad elle n'est pas un mode de new-gouvernance.

Pour ce qui est des conditions liées à l'éligibilité du président de la république, pratiquement rien de neuf n'est venu secouer ce qui est déjà presque pris pour constante nationale. La nationalité d'origine unique etc? cependant si pour un quelconque dossier administratif un certificat de résidence est exigé, le futur candidat à la présidence peut valablement résider, sans soucis à l'étranger et revenir le temps de déposer son dossier et puis hop ! C'est bizarre comme tout, c'est aussi banal penserez-vous mais si l'on se tient à l'esprit de fait, oui le candidat doit prouver qu'il vit avec son peuple, qu'il connait ses ruelles, ses quartiers, qu'il a son épicerie du coin, son tailleur, son coiffeur, qu'il sent le froid de ses hivers et la tiédeur de ses étés, qu'il connait les enseignants grévistes de ses rejetons, et leurs caves de cours de soutien. Un algérien entier quoi ? Pas un coopérant technique, ni un usager fréquent d'air Algérie.

Le plus important dans la constitution de 1963 était cette prescription audacieuse de l'article 55 qui stipule « L'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Président de la République par le dépôt d'une motion de censure qui doit être signée par le 1/3 des députés composant l'Assemblée » on en est loin de ce parlementarisme qui bien au contraire s'est fait piégé par l'interposition d'une histoire de sang, de coup d'Etat et d'emprise personnelle. L'assemblée populaire nationale gagnerait au titre de cette nouvelle constitution à recouvrer un tant soit peu sa véritable inspiration populaire. L'article 103 soumis à concertation prétend prendre en charge les modalités d'élection des députés et des sénateurs par une loi propre. Il s'agirait là en toute certitude de la loi portant code électoral. C'est à travers ce code que des députés et des sénateurs fortuits et mal élus sont crées et mis sur orbite. Leurs conditions d'élection ou de désignation ne permettent pas une franche représentation populaire exprimant les espoirs évidents de la population. Ce code une fois, cernés tous les profils du mandat électif devra donner plus de flexibilité à l'élu.

La responsabilité s'érigera de facto avec le titre ainsi obtenu. Qui veut une autorité d'influence ou morale doit se mettre en pleine responsabilité. Comme le candidat présidentiel, cette notion fourre-tout du candidat libre ne peut subsister. Si aux termes du code actuel quelqu'un est capable de pouvoir réunir des milliers de signatures, il lui est donc commode de fabriquer un parti. Les méthodes seront ainsi plus chatoyantes et participeront à la promotion de la pratique démocratique. Mais venir récolter des souscriptions, se voir évincer et disparaitre à jamais n'est pas un acte de militantisme. Il est une simple jouissance individuelle. Du narcissisme espiègle. L'article 103 en question pourrait retenir un critère conditionnel dans l'élection du député pour affirmer solennellement que pour être candidat aux législatives, obligation d'avoir déjà jouit d'un mandat local est de mise. On ne vient pas apprendre la politique à l'APN, on est sensée l'avoir apprise sur le terrain, chez soi, dans sa dachra. Et puis au moment ou le parlement des USA compte 435 députés, le notre s'assigne 462 ! Pléthore. Avec le nouveau découpage l'on arrivera à faire les séances à la coupole du 5 juillet. Deux députés, par égalité à chaque wilaya est assez expressif de la volonté populaire ; quelque soit le nombre d'habitants qui en fait est un mauvais et vicieux indicateur.

Les sénateurs du tiers n'obéissent par ailleurs à nul indicateur. L'on peut compter 5 à 6 sénateurs pour une seule wilaya... la sanction du nomadisme politique est une bonne chose dans la mesure où elle vise à fidéliser le militant et sauvegarder un peu la confiance mise en lui.

Cette assemblée doit avoir ses prérogatives de contrôle dit populaire. Emanation légitime en principe, de l'aspiration des électeurs c'est d'elle et elle seule en temps normal que doit être issu le gouvernement. La majorité, sans ça, n'allait rien valoir. C'est bizarre tout de même de voir un parti siégeant en majorité à l'assemblée et qui n'est que minoritairement représenté au gouvernement. Ce dernier extirpe ses membres, loin d'une force politique pour rester dans le copinage, l'équilibre régionaliste et le retour d'ascenseur. Le comble de cette bizarrerie est aussi de voir cette majorité se taire, se terrer et se défaire par-devant le déni de son droit. Elle trouverait ailleurs ses récompenses. Alors constitutionnaliser le respect de la majorité et sa primauté à gestion n'est qu'une évidence, voire une considération de soi. Si l'initiative des lois est octroyée à un collège de 20 députés, après encore un contrôle du conseil d'Etat ; la saisine du conseil constitutionnel ne leur est pas possible sauf si leur nombre dépasse les 70 ou 40 pour les sénateurs. Voyez-vous une différence dans le chiffre ?

Alors portant un regard serein et de justice sur ce conseil constitutionnel. Composé de 12 membres (2 APN, 2 Senat, 2 Conseil d'Etat, 2 Cour suprême) que la proposition dans son article 42 amendant l'article 164 les oblige à être tous élus par leurs pairs. Sauf les quatre désignés par le président de la république. Normal diriez-vous. Le président et le vice président du conseil sont désignés parmi ces quatre désignés. Risible parité de genre et non en nombre ! Pourquoi n'a-t-on pas opté pour l'élection du président et son adjoint au sein même de l'équipe des 12 ? La main du président dans le choix du chef n'est pas apte à garantir la moindre indépendance. La désignation aussi du vice président est jugée comme une précaution, en cas d'empêchement du président, car le mandat s'avère pour la besogne trop long -8 ans- Yamen aach !

A défaut enfin de délais et d'actions politiques à venir, il n'est pas permis de pouvoir dérouler un fil d'actualité future. Une feuille de route amoindrirait amplement les doutes et réduirait les défiances. La classe politique reste en attente de ce qui doit encore sortir de l'escarcelle d'Ouyahia. On peut toujours, étant dans une officine notariale avoir des surprises.