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Crimes sans châtiment

par Belkacem Ahcene-Djaballah

On a noté, ces derniers temps, une floraison d'ouvrages en arabe, écrits par des journalistes. Enfin, il était temps ! On a déjà eu des écrits de journalistes (Bouakba, Hemici, Abbas, Benkara? Amimour, journaliste «associé»), mais la plupart rapportaient bien plus leurs productions sur tel ou tel événement politique, économique et social que sur le métier lui-même.

Ils décrivaient peu, ou pas du tout, l'effort fourni, mettant en exergue beaucoup plus leurs rapports aux pouvoirs qu'à celui aux publics. Autres temps, autres mœurs et... autres équilibres! La plupart des nouvelles œuvres racontent le métier, à travers son exercice sur le terrain, avec les «exploits» et les difficultés, les joies et les drames. Soraya Boumama (télévision), Khelifa Benkara (radio), Fatiha Zemamouche (une étude sur le traitement du «printemps» tunisien par un quotidien algérien...étude qui s'est faite grâce, aussi, à des visites et des reportages sur le terrain même durant des moments forts), Othmane Lahyani (d 'El Khabar, un des premiers à avoir couvert les événements de Tunisie), Nazim Aziri (travail de recherche)... Le journalisme national décrit de l'intérieur. Super ! On attend la suite... et des traductions. Mesdames et Messieurs de l'édition nationale, surtout celle relevant du secteur public, faites un effort, s.v.p. Le service public, c'est, aussi, ça.

L'ALLEE DES DAMES. Roman de Djamel Eddine Merdaci. Editions Barbat, 254 pages, 500 dinars, Alger 2013

Après une belle carrière de journaliste (qu'il continue sans trop de contraintes !), l'auteur s'était mis à l'écriture de roman et, mon dieu, son premier-né, L'Impasse du maltais, avait été une heureuse surprise. Il y avait mis du cœur et, surtout du talent. Il avait réussi à (dé- ?) montrer, qu'un bon journaliste peut être, aussi, et bien souvent (s'il y met du sien), un bon écrivain (alors que l'inverse n'est pas certain, la plupart des écrivains étant de mauvais journalistes). Son petit deuxième est consacré aux dames, rien qu'aux dames ; les bonhommes, cette fois-ci, sont cantonnés, pour la plupart, aux rôles ingrats de jouisseurs (l'argent, la boisson, les femmes, la paresse, le sommeil?), de machos? ce qui, dans notre société, est assurément bien vrai, n'est-ce pas ?

Histoire : Lors d'une autre vie... algérienne, durant les années 70-80, juste avant la montée de la «tartufferie» nationale ! Des femmes indépendantes de corps et d'esprit, des femmes qui ne refusent pas la modernité, des femmes qui travaillent parfois bien plus et plus durement que les hommes, des femmes qui élèvent et protègent leurs enfants dans la dignité et l'honneur. Et, gare à celui qui se met en travers de leur route : il sera trucidé .Beaucoup de crimes. Des circonstances atténuantes. De plus, le /la coupable ne sera pas puni (e). Pas moral, tout ça ! Bof ! avec toute l'atmosphère de la réconciliation nationale, pourquoi pas ? Dieu reconnaîtra les sien(ne)s.

Avis : Un roman pas trop compliqué, mais qui vous tient en haleine de la première à la dernière page... et qui finit bien, par l'espoir d'une belle histoire d'amour. Comme un véritable film, avec ses séquences qui entretiennent un certain suspense. L'auteur est en train d'affiner sa technique. De la graine de grand écrivain de roman policier (presque) !

Extrait : «La sainteté n'est pas de ce monde et la vertu est le masque des hypocrites «(p 177),

LES CHEMINS OBSCURS. Roman de Rachid Kahar. Enag Editions, 287 pages, 550 dinars, Alger 2013

Il a déjà «commis», nous dit-on, en 4è de couverture, huit romans dont une bio romancée du poète Si Mohand Ou M'hand, et il a même obtenu un prix... en 82 ( 20è anniversaire de l'indépendance). Bien, bien !

Ce roman, c'est l'histoire d'un jeune homme, très dynamique, très ouvert, qui revient dans son quartier natal d'Alger, après plusieurs années d'exil à l'étranger où il y avait «fait son trou», et ce en pleine tourmente terroriste des années 90... pour investir dans la construction... en plein centre de Bab El Oued. Il fallait vraiment qu'«il en ait»? du fric... et le reste. D'autant que les racketters, tapis dans les mosquées, n'ont pas manqué de le «contacter» vite fait. Sans compter les corrompus habituels de tous poils dans les bureaux des administrations et des établissements financiers, croyant avoir affaire à un «naïf», facile à déplumer.

C'est, aussi, l'histoire d'autres héros anonymes, jeunes et moins jeunes, des enfants parfois, et, aujourd'hui, oubliés, de la vie quotidienne des années rouges ; des héros car ils n'ont jamais baissé les bras. Ils ont toujours résisté, ils ont toujours continué à vivre normalement, ils ont toujours refusé le diktat des «fous de Dieu», ils ont toujours cru que la vie reprendra, un jour ou l'autre, le dessus sur la terreur et la mort. Ils avaient raison !

Avis : L'auteur remue le couteau dans une plaie qui commençait à se refermer mais, à vrai dire, on en avait bien besoin. Pour ne pas oublier tous les dégâts et toutes les victimes du fanatisme. Un peu trop de longueurs ! Mais, pour un politologue de formation, avocat de métier, c'est normal.

Extraits : «Demeurer neutre devant le puissant qui massacre le faible, ce n'est plus de la neutralité, mais déjà de la complicité» (35), «S'occuper de ses propres affaires est un idéal qu'on est loin d'atteindre. Le malheur est, qu'aujourd'hui, chaque citoyen naît avec un diplôme de sciences politiques» (p 35), «A l'heure où on joue avec des voitures téléguidées sur la planète Mars, on laisse entrevoir à nos enfants que les seuls métiers d'avenir sont : bourreau et rémouleur. On leur a appris à produire des réactions : devant la modernité, il faut qu'ils cherchent où se cache l'Occident qui veut l'influencer(...). On leur fait croire que le monde entier a les yeux rivés sur notre pays (...). On leur laisse croire que nous sommes les victimes éternelles des Etats envieux et des agresseurs qui veulent la perte de notre pays(...). On suggère que le salut tient dans le repli frileux sur soi, comme s'il existait une manière autarcique de jouir du bonheur (p 193)

LES VOIES DE L'ERRANCE. Roman (traduit de l'arabe par Lotfi Nia) de Abdelwahab Benmansour. Editions Barzakh, 178 pages, 500 dinars, Alger 2012

Sept errances, sept portes, à la recherche de la Vérité? sur le destin d'un père très tôt disparu. On ne sait où. On ne sait comment. On ne sait pourquoi. Peut-être l'Ancêtre, la grand-mère paternelle, seule survivante d'une famille décimée ? Mais, elle ne veut rien dire, rien avouer, murée dans un silence à la limite du coupable et dans sa douleur d'avoir tout perdu (son fils unique, difficilement procréé...), on le saura par la suite, en raison d'un engagement spirituel? irrespecté.

De porte en porte et d'errance en errance, de découvertes en révélations, de visions en rencontres, la Révélation, la Vérité vient enfin..., mais seulement lorsque l'être prend le dessus sur le paraître, lorsque grâce aux maîtres soufis rencontrés au cours de l'errance, plus aucun atome d'impiété n'existe, et après s'être débarrassé de tous les sacrilèges, lorsque après avoir longtemps «marché sur le chemin du quérir» et expérimenté bien des voies mystiques, on perce le secret des secrets : «Il n'y a pas de destination pour celui qui n'est pas l'amant et l'aimé».

Avis :Les enfants doivent-ils payer pour les fautes des Ancêtres ? Grave question... mais réponse claire : pas question. Encore faut-il ne pas suivre l' «étoile éphémère qui parcourt le ciel» et ne pas «être prisonnier de l'image». Roman compliqué mais à sous-bassement philosophique et spirituel de grande qualité. Les lecteurs de l'Ouest comprendront mieux les sens cachés de l'œuvre (qu'il vaut peut-être mieux lire en arabe, bien que la traduction soit irréprochable) tant l'histoire de la région, Nedroma, en particulier, est une sorte de carrefour chargé de mythes, de mystères... et de miracles.

Extraits : «Il faut être au bon endroit pour agir, mais bien placé pour s'instruire» (p 24), «Ce qui se réfugie dans la solitude de l'âme n'est pas un secret et ce qui est partagé par plus de deux personnes n'en est plus un» (p 88), «N'est pas fou celui qui a perdu la tête, mais celui qui a perdu la vérité» (p 97).