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Pourquoi l'éthique à l'école ?

par Yazid Haddar *

Peut-on parler de l'éthique à l'école ? Si oui, dans quel programme doit-on l'insérer, en science islamique, sciences exactes ou en philosophie ? Doit-on distinguer l'éthique de la morale ?

L'éthique est devenue une urgence nationale car l'ensemble des institutions de l'Etat seraient atteintes par la maladie incurable qu'est la corruption. D'une corruption matérielle à celle morale ! Je suis impressionné quand je rencontre des concitoyens algériens, qui arrivent à justifier leurs comportements et attitudes par des valeurs dénudées de toute éthique, le tout afin de justifier leur acte déviant. Le pire, c'est quand la corruption et la violence sont justifiées par la morale religieuse ! D'où l'importance de distinguer la morale de l'éthique, car la morale se réfère à un ensemble de valeurs et de principes qui permettent de différencier le bien du mal, le juste de l'injuste, l'acceptable de l'inacceptable, et auxquels il faudrait se conformer, autrement dit la morale s'imprègne de la religion. Cependant, l'éthique n'est pas un ensemble de valeurs et de principes en particulier. Il s'agit d'une réflexion argumentée en vue du bien-agir. Elle propose de s'interroger sur les valeurs morales et les principes moraux qui devraient orienter nos actions, dans le but d'agir conformément à ceux-ci. Cela nécessite que l'ensemble des institutions de l'Etat se mettent au travail pour faire face à ce fléau, c'est-à-dire l'absence de l'éthique dans l'exercice de la citoyenneté ! Malheureusement, ceci ne sera pas pour demain, car l'ensemble des facteurs tendent plus vers un pourrissement éthique, et en conséquence, la corruption pourrait être le facteur d'une violence inouïe pour les générations futures. Une bombe à retardement ! Contradictoirement, on assiste à la présence de la morale religieuse qui envahit les comportements quotidiens du croyant et qui le pousserait à des comportements hypocrites ! Eternel débat sans issue !

L'école, une institution de la République et elle qui est l'un des ses piliers, joue un rôle déterminant pour œuvrer à une citoyenneté responsable et soucieuse de transmettre des valeurs républicaines, le tout pour assurer une pérennité transgénérationnelle. C'est dans cet esprit qu'Ahmed Tessa, pédagogue, a écrit un ouvrage pour une éthique éducative au service des élèves, qui pourrait être la base d'une charte entre l'ensemble des professionnels de l'éducation, et qu'on devrait enseigner dans les écoles qui forment des enseignants. Cet ouvrage est outil, car il s'inscrit dans l'esprit républicain et respecte l'autre par des valeurs universelles. Nous vivons de plus en plus dans un monde pluriel, où les différences identitaires se brassent et le multiculturalisme s'impose par la mondialisation et la libéralisation des marchés. Il faut préparer les générations à venir à intégrer ce monde avec plus d'aisance et non en conflit !

L'éthique a été réduite dans les manuels scolaires à l'éducation religieuse, qui pourrait réduire son message, autrement dit les valeurs sont perçues comme licites et illicites, sans les soumettre à la critique ni leur donner un sens pratique. J'attire l'attention des spécialistes de l'éducation nationale et de l'opinion publique avertis qu'il existe certaines drives sémantiques dans la pédagogique de l'enseignement des sciences en Algérie. La séparation de la science de la religion est fondamentale, car au niveau épistémologique, l'évolution de la pensée scientifique et en lien à cette séparation, qui a permis l'épanouissement des autres sciences et de leur objectivation, c'est-à-dire l'expérimentation, comme méthode scientifique objectivable, elle-même soumise à des critères et à des normes. La méthode scientifique est en évolution permanente et elle marque des nouvelles disciplines, comme par exemple l'histoire, qui est désormais soumise à des méthodes de travail scientifique, qui extraient le subjectif des évènements historiques pour les rendre objectifs et leur donner un sens vrai. Un autre exemple, le plus marquant, c'est la psychologie, qui a nettement évolué depuis l'introduction de la méthode scientifique dans sa pratique, ce qui a eu pour conséquence des prises en charge qui sont plus efficaces. Ceci dit, ce travail de séparation entre la religion et la science a été fait remarquablement par le philosophe allemand Kant au 19ème siècle. Il est impensable à l'heure actuelle que la science soit utilisée pour justifier un texte, un dogme, etc., religieux. Car le sujet moderne ou sujet de la science, comme l'a écrit F. Benslama dans l'Islam à l'épreuve de la psychanalyse, c'est un sujet qui se met à penser son existence à partir de la rationalité scientifique. L'autonomie de la méthode scientifique devrait être préservée de toute forme de manipulation. Cette autonomie devrait être renforcée et élargie pour les sciences humaines, qui sont à ce jour négligées.

L'éthique pourrait être une solution durable à long terme aux maux qui secouent la nation actuellement, car elle touche la pensée en amont et forcément elle changera le comportement en aval. L'éthique n'est pas uniquement la question de la corruption, mais elle contient également les pratiques quotidiennes, le rapport à l'autre, au travail, à l'espace commun, à la notion du temps, etc., d'où l'importance de la faire ancrer dans les enseignements pas explicitement, mais plus d'une manière implicite ou pratique et non plus par la moralisation, car à force de moraliser par la pénalisation, les valeurs morales se banalisent et elles deviennent déficientes.

* Psychologue.