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Boycotter n'est pas vaincre

par Mourad Benachenhou

Les combats de boxe sont systématiquement précédés d'une séance publique de pesée des adversaires pour assurer que ceux-ci sont de force égale, et que l'un et l'autre ont autant de chance de l'emporter. Celui des deux qui ne remplit pas la condition de poids est sur-le-champ disqualifié.

Avoir le poids requis pour prendre part au combat

Il doit se mettre à niveau et accepter, sous peine de forfait, de suivre un régime le conduisant au poids requis pour la catégorie dans laquelle le combat doit se tenir. Il ne peut rien faire d'autre que de se rendre au verdict de la bascule.

Il ne viendrait jamais à l'esprit d'un boxeur déclaré inapte à combattre de lancer publiquement un appel à la suspension de tous les combats de boxe et de demander que ses confrères cessent de s'affronter sur les rings. Les boxeurs ne se recrutent pourtant pas dans l'élite intellectuelle et ne prétendent pas être des faiseurs d'opinion doués d'une capacité d'analyse et d'un don d'orateur capable d'emporter l'adhésion à leurs idées, s'ils en ont, des plus réticents parmi leurs auditeurs. Mais ils savent, par intuition ou par simple expérience, que certains comportements face à l'échec ne sont ni raisonnables, ni acceptables, ni mêmes dignes et que l'ambition de se faire un nom sur le ring ne peut justifier un manquement à l'éthique de sa profession et aux bonnes règles de conduite à adopter en cas d'échec.

Comment peser un candidat à la magistrature suprême?

Il est vrai que la politique n'obéit pas à des règles aussi strictes et aussi claires que celles de la boxe ou de n'importe quel autre sport. Les candidats à une position de souveraineté ne sont pas tenus à se soumettre à une séance publique de pesée et ne sont pas obligés de n'affronter que les adversaires de même poids et de même taille, ou de même condition physique qu'eux.

Et puis, il se pose un problème pratique insurmontable, et pour lequel aucune solution universellement acceptable n'a été trouvée: comment déterminer les critères de pesée des hommes politiques qui s'affrontent, critères qui ne sauraient, par définition, être physiques?

On retrouve, ainsi, souvent, des adversaires politiques, dont l'un et l'autre ne sont pas du même poids, se confronter dans un combat inégal et donc perdu d'avance pour l'un des deux.

L'égalité du poids des candidats : un critère non admis

L'égalité des chances n'est pas un critère reconnu en politique. et celui des adversaires qui possède un certain nombre d'avantages par rapport son opposant n'est tenu ni de se mettre à son niveau, ni de lui consentir un handicap accroissant ses chances de l'emporter.

L'équité-ou le «fairness» ne constitue pas un principe admis dans la confrontation entre adversaires politiques nourrissant la même ambition. Dans aucun système constitutionnel à travers le monde, on ne trouve une règle forçant le candidat bénéficiant d'un avantage de position, du fait qu'il occupe déjà un poste de responsabilité étatique , à se démettre de ses fonctions d'autorité pour prétendre à poser -ou reposer- sa candidature, ou, mieux encore, à prendre des mesures réduisant son pouvoir ou sa popularité, juste pour laisser plus de chance à son adversaire de l'emporter.

Le combat électoral est toujours biaisé. Et tout candidat qui estime être lésé par l'avantage de position de son adversaire doit soit accepter cette règle de jeu internationalement admis e dans tous les systèmes politiques où l'accès aux postes de responsabilité est soumis à vote populaire, soit simplement renoncer à se porter candidat et changer éventuellement de métier, embrasser une activité qui soit fondée d'abord et avant tout sur le fair-play (combien y-en-a-t-il répondant à ce critère moral?).

Nul candidat en position de faiblesse ne peut exiger que son adversaire renonce à ses avantages de position pour rendre le combat égal et réduire le déséquilibre de départ entre les deux.

Transférer le combat politique sur le terrain moral?

On peut, sans aucun doute, considérer que tout combat où l'avantage de départ est au profit exclusif d'un adversaire ne vaut pas la peine d'être conduit et que, le jeu étant biaisé à la base, on se doit, par obligation morale, de refuser le combat sur le terrain de la lutte politique , et de le porter sur le terrain de la morale en déclarant forfait pour amoindrir la légitimité populaire de l'incombant le plus fort.» Je déclare forfait» proclame le candidat désavantagé,» parce que les principes moraux qui me guident sont supérieurs aux principes moraux qui sous-tendent les actions de mon adversaire. Il ne fait rien pour me laisser l'emporter sur lui. Je me retire donc.»

Le problème dans cette attitude, c'est d'abord qu'elle soumet le candidat le mieux placé à des conditions que la morale refuse; Nul n'est tenu de se désarmer face à son adversaire, quel que soit le combat engagé, pour lui donner plus de chances de l'emporter. Le plus fort, quelle que soit la définition que l'on donne à la force, se doit de mettre en œuvre toute les composants de sa suprématie pour imposer sa volonté à son adversaire. L'équité ne fait pas partie des règles du combat. Sinon le seul type de résultat acceptable serait le «match nul,» tout autre résultat étant rejeté par avance. C'est là une position absurde qui rendrait tout combat inutile.

La règle universelle de tout combat

La règle de l'exploitation maximale des avantages que l'on possède face à son adversaire est une règle universellement acceptée, en sports comme en politique. Des joueurs de foot ne vont pas se mutiler pour donner à l'équipe adverse plus de chance de l'emporter sur leur propre équipe. Un candidat n'est tenu par aucune règle morale de commettre des erreurs ou de réduire les avantages dont il dispose, uniquement pour que son opposant puisse accroitre ses chances de l'emporter sur lui.

Pourtant cette position, absurde et qui ridiculise ses défenseurs, est soutenue «bec et ongles» par des candidats potentiels à la future élection présidentielle; les tenants de cette thèse se prévalent de principes «démocratiques» pour exiger l'absolue égalité des chances entre candidats comme condition tant de leur participation que de la légitimité des résultats de cette élection.

Pour eux, si cette condition n'est pas remplie, le jeu politique est faussé et le résultat futur discutable avant même qu'il soit proclamé. Ils vont jusqu'à proclamer que ces résultats étant connus à l'avance, il est inutile de participer au combat électoral, présenté comme «une simple mascarade» à la signification politique déjà établie.

L'équité n'est pas un critère de la lutte politique

Plus encore, ils lancent un appel à l'annulation de ces élections, ou au boycott du scrutin futur. Cette position est moralement tout à fait louable, lorsqu'on estime que les conditions d'équité dans le combat ne sont pas respectées, mais irréaliste.

Le candidat défavorisé, qui se place sur les hauteurs de la moralité violée, changerait-il de position s'il se trouvait avoir l'avantage sur son opposant? Serait-il disposé à donner à son adversaire, plus faible que lui, le handicap qu'il réclame maintenant de la part de son concurrent mieux placé que lui? On ne peut qu'en douter à moins de changement dans la nature humaine qui pousse l'individu à se préférer à son voisin!

Même dans un contexte de démocratie pure et parfaite, les candidatures aux chances égales n'existent que dans les commentaires des faiseurs d'opinion ;et puis, les critères de déterminations des chances de victoire en politique sont à la fois vagues et infinis, allant de la personnalité propre des candidat, en passant par la conjoncture économique et sociale du moment, sans compter les idées à la mode dans la période des élections.

La victoire et la gloire à celui qui abandonne le champ de bataille?

Si fermé puisse-t-il paraitre, le jeu électoral est plein de surprises; celui qui n'est prêt à se battre que s'il est assuré à l'avance de l'emporter renonce explicitement à s'engager dans la lutte pour le pouvoir, et ne peut que s'en prendre à lui-même de refuser le combat et donc la chance de l'emporter sur son adversaire, si puissant soit-il.

De plus, jeter l'éponge avant le début du combat n'est pas une preuve de supériorité sur l'adversaire. On ne prouve pas sa force et sa détermination en refusant d'affronter son ennemi. Comment peut-on vouloir faire croire au spectateur, ou à l'électeur qui ne demande qu'à être convaincu, qu'en quittant le champ de bataille, l'homme politique peut prétendre avoir remporté une victoire morale?

La lâcheté est-elle devenue le critère moral du courage politique? C'est là une position à la fois intenable et contraire à toute définition, non seulement du courage politique, mais également de l'engagement politique. Déclarer forfait n'est jamais une preuve de supériorité sur l'adversaire ou de haute valeur morale. C'est même le comble de la mauvaise foi que de fuir le combat tout en prétendant qu'en fait on a écrasé son adversaire en lui «faisant honte» par le refus de le combattre!

Si les hommes «politiques» qui ont adopté cette position, et ont même lancé un appel à la cessation du combat politique, ce qui est le sens du «boycott électoral,» ne saisissent pas l'absurdité de leur réaction, conséquence d'ambitions frustrées, non justifiée par les avantages du candidat le mieux placé, mais par leurs propres faiblesses politiques, c'est que vraiment ces ambitions dépassent leur capacité d'en prouver le réalisme. Plus clairement leurs qualités, leur talent, leur personnalité, ne sont pas à la hauteur de leurs ambitions, et ils se sont engagés dans un combat perdu d'avance, non du fait du machiavélisme ou des avantages détenus par leur adversaire, mais du fait de leur propre incapacité à l'auto-évaluation, et de leur prétention à un poste pour lequel ils sont loin d'avoir les qualités requises.

L'appel au boycott : un acte de déni de droits civiques

De plus, il y a une contradiction mortelle entre leur appel au boycott des élections, appel dont l'objectif est trop clair pour être débattu, d'un côté, et de l'autre leur volonté affichée de tout faire pour «barre le chemin» au candidat le mieux placé. On ne barre pas la route de quelqu'un en se plaçant sur le trottoir pour le laisser passer.

Car c'est là la conséquence du boycott qui, en fait, laisse la voie libre à ce candidat, et n'enlèvera à sa réélection, lorsqu'elle aura lieu, ne serait-ce qu'un micron de légitimité.

Cet appel, dont les auteurs demandant aux Algériennes et Algériens de renoncer à exercer leur droit civiques en ne participant pas aux élections présidentielles, est loin de conforter le jeu démocratique. Au contraire, il contribuerait encore plus à encourager la passivité politique des citoyens, et donc affaiblirait la mobilisation souhaitée pour le soutien populaire aux réformes politiques tant réclamées par ces «boycotteurs.»

EN CONCLUSION

L'appel au boycott, de la part de ceux qui refusent le combat politique et ont décidé d'abandonner le champ de bataille des élections présidentielles, en prétendant qu'elles sont biaisées au profit d'un candidat, et qui se couvrent du manteau de la démocratie, et du voile du moralisme offusqué, contredit leurs prétentions à oeuvrer pour l'avènement d'un réel régime de gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple.

On ne peut pas demander aux Algériennes et Algériens de ne pas participer au devoir civique qu'est le scrutin présidentiel, et en même temps proclamer qu'on se bat pour l'avènement de la démocratie citoyenne. Et, comble de l'absurdité politique, ce boycott laisserait le chemin totalement libre au candidat le mieux placé, résultat pourtant refusé par les partisans de cette position ! Le boycott, présenté comme un acte d'opposition absolue au système actuel, aboutira donc à la défaite des opposants au Quatrième Mandat.