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Le poids des «Muscles»,  le choc des «Cerveaux»

par Belkacem Ahcene-Djaballah

SOCIETE ET POUVOIR EN ALGERIE. La décennie des ruptures. Etude de William B. Quandt. Casbah Editions, 254 pages, 330 dinars, Alger 1999  

Bien sûr, l'auteur, un des meilleurs analystes et universitaires spécialisés américain n'avait pas prévu, contrairemnet à d'autres analystes de l'époque, la victoire des islamistes radicaux. Mais là où il avait tort (en bonne partie), c'est quand il n'envisageait pas, non plus, l'éventualité d'un retour à l'ordre ancien. Optimiste, et se basant sur le «Printemps algérien» (déjà !) d'Octobre 88, il était presque sûr que la lutte se prolongera et «mènera ultérieurement vers une issue plus démocratique que n'ont pu le penser la plupart des observateurs». Avec un chemin, «ni direct, ni court, ni paisible».

Bien sûr, c'est une étude de «commande» ...les frais de recherche et de déplacement étant fournis par le Programme d'études sur la Politique étrangère de la Brookings Institution (Washington D.C.), ce qui paradoxalement lui donne sinon le label d'objectivité, du moins celui de l'exactitude inhérent à toute recherche universitaire scientifique digne de ce nom.

Pour réussir son étude, il a rencontré toutes celles et tous ceux ayant connaissance, peu ou prou, des situations algérienne et dans le Monde arabe : hommes politiques (de droite, de gauche, du centre, de n'importe où et de partout? ), anciens ministres, anciens chefs de gouvernement, universitaires, journalistes, diplomates, chercheurs étrangers... Ayant déjà écrit un ouvrage en 1969 sur la Révolution algérienne de 1954 à 1968. Opération «grandes portes ouvertes» ! Il est vrai, qu'à l'époque, après l'échec de la première expérience démocratique, à cause de barbus «surgis de nulle part», notre enfermement involontaire et un certain désespoir nous poussaient à chercher des confessionnals encourageants... Pourvu que l'on nous écoute ! Dieu le bénisse.

Il résume le passé, décortique le présent, avance des perspectives et termine avec une interrogation...en essayant de ne pas s'enfermer (comme beaucoup de nos analystes) dans l'annulation des élections de 92 .. «Une Algérie démocratique ?» . Il y croit. En tout cas, c'est, dit-il, ce qu'il attend et ce qu'il espère. Dieu l'entende ! Car, 16 après, la route vers la démocratie, menant loin de l'Etat autoritaire est plus longue et plus tortueuse qu'espérée. Peut-être moins de violences horribles ?

Avis : Un livre qui date (première édition en 1998 aux Etats Unis sous le titre : «Entre Bulletins de vote et balles. Transition algérienne de l'autoritarisme» ) mais qui marque la bibliographie sur l'analyse politique correcte du pays. (Re-) lisez-le, vous ne le regretterez pas ! Des vérités crues et à croire. Une bibliographie très fournie. Et, des centaines de notes explicatives.

Extrait : «Le système politique algérien, plus que beaucoup d'autres, a eu fort à faire pour former des coalitions voulant les réformes. En effet, le factionnalisme de l'élite s'est souvent traduit par l'immobilisme, et même les mouvements d'opposition ont eu tendance à se fragmenter»( p 19), «La vengeance des générations est partie prenante dans la politique algérienne, comme le montrent encore les terribles massacres de civils perpétrés durant la période 1996-1998» (p 28), «Les régimes autoritaires comptent sur quatre éléments combinés qui les aident à rester en place : l'idéologie, la répression, les gratifications et l'appui des élites» (p 43), « Pour l'instant, l'Algérie en est encore à se débattre dans sa «chaude vendetta familiale». Elle est loin d'avoir atteint le point «d'accoutumance» qui fait accepter les lois en tant que moyen légitime, et meilleur que d'autres, pour résoudre les conflits» (p 196), «Le pays n'a pas eu le bonheur de posséder de grands leaders. On peut même dire que la crise algérienne,même si son origine est socio-économique, s'est aggravée du fait de la médiocrité de sa classe politique» (p 211).

ABANE RAMDANE. Finalement, le père de l'Indépendance. Etude historique de Khalfa Mameri. Thala Editions (8è édition) 420 pages,

775 dinars, Alger 2013  

Un ouvrage qui voit une 8è édition et qui certainement en connaîtra bien d'autres tant le sujet reste encore ?d'actualité.Car, au-delà des autres aspects de l'histoire de la lutte de l'Algérie pour sa liberté, il restera toujours cette lancinante question : Qui a tué Abane Ramdane, comment, pourquoi et, surtout, quelles en sont les conséquences ? Pas immédiates. Historiques sur le devenir du pays. Des questions encore sans franche et totale réponse, des questions que se posent à nous et se poseront tous ceux qui vont naître après nous. Pour la simple raison que le bonhomme est un héros du peuple au sens propre et plein du mot. L'image qui nous reste de lui, avec des yeux vifs et rieurs à qui on ne «la raconte pas», un front volontaire et décidé («un caractère entier»), un sourire presque d'enfant toujours optimiste en font le symbole de l'Algérien qui gagne (il réussit son bac,mais décide de continuer son combat ailleurs que sur les bancs de l'Université, et ce en écartant toutes les pressions, même familiales , au gand dam de son père?comme beaucoup de pères de l'époque ), l'Algérien qui avance, l'Algérien qui fonce méthodiquement («A l'école, fort bien classé, avec une préférence accentuée pour les matières scientifiques»), l'Algérien héroïque ...l'Algérien qui, déjà, faisait peur à tous ceux qui, bien qu'eux aussi combattants, avaient une idée concentrationnaire du pouvoir et de la Révolution. Déjà !On connaît la suite .Les «muscles» allaient prendre le pas et le pouvoir (et de quelle manière ! par le fratricide toujours inavoué) sur les «cerveaux». Pour très longtemps !

Avis :Une recherche rigoureuse, pointilleuse. Sur Abane, bien sûr, mais aussi sur la très longue histoire des multiples luttes pour la libération du pays.Des détails, des détails et encore des détails. Ainsi, Abane Ramdane aurait lu 5 à 6 000 livres, en prison ou ailleurs. Je n'avais pas lu les premières éditions. Je le regrette énormément. Je me suis rattrapé. Et, n'attendez pas la 9è édition, s'il vous plaît .

Extraits : «Il est incontestable que la Révolution algérienne traîne derrière elle le cadavre de Abane Ramdane» (21), «Abane Ramdane est entré dans la révolution algérienne comme on entre en religion. En laissant tout derrière lui et en s'y consacrant totalement, avec beaucoup de ténacité et de rigueur dans ses idées et au niveau de son action «(p 115), «Quand on est dans une impasse, poursuivi par le bourreau, il ne reste, à moins de vouloir mourir la face au mur, qu'une seule issue : se retourner contre son poursuivant et, ne comptant plus que sur l'énergie du désespoir, tenter de l'abattre ou de s'en sortir «(p 171), «Si un titre de gloire peut bien être décerné à Abane Ramdane, c'est à coup sûr celui d'avoir réussi en moins d'un an à unifier dans le combat toutes les forces nationales «(p 214), « Où allons-nous ? La question dépasse aujourd'hui la personne de Abane. Voilà une direction du Fln constituée de neuf personnes désignées par le Cnra. Cinq se réunissent et décident de se débarasser de l'un d'entre-eux. En avaient-ils le droit ? En agissant ainsi, ils ont créé un précédent dangereux. C'est le retour pur et simple au Moyen-Age. Si vous continuez à agir ainsi, vous finirez par créer non pas une Algérie libre, mais autant d'Algéries qu'il y a de colonels» (Citant Ferhat Abbas, p 371)

LA GUERRE ET L'APRES GUERRE. Recueils de textes de Hocine Aït Ahmed. Editions Scolie, 281 pages, 650 dinars, Alger 2013 (Edité pour la première fois en 1963 aux Editions de Minuit, Paris)

Il n'avait que 16 ans quand il a commencé son combat pour la libération du pays du colonialisme. Aujourd'hui encore, à l'âge de près de 88 ans, bien que retiré de la vie politique active depuis quelques années, bien qu'absent-présent de la scène, il continue sa lutte pour la liberté et l'émancipation politique de l'Algérien.

On peut penser tout ce que l'on veut de l'idéologie générale d'un homme qui n'a pas changé de position d'un iota jusqu'à en devenir (pour les détracteurs, de moins en moins nombreux au fil du temps et des réalités, envieux et admiratifs en même temps), obsessionnelle, mais on ne peut que saluer sa fidélité (juqu'à l'entêtement) à son engagement « (r-) évolutionnaire» inchangé.

 Tout ceci transparaît à travers ses écrits de prison durant la guerre (écrits adressés à ceux qui continuaient le combat sur le terrain) et juste après l'Indépendance : Etudes, propositions, conseils, interventions au niveau de l'Assemblée nationale (constituante), interview... Certains ne sont pas parvenus aux destinataires (???), d'autres n'ont été ni lus (certainement), ni entendus? On sait comment cela a fini pour lui et comment il avait (ré-) agi. Des textes qui nous replongent dans un passé-présent et qui nous permettent de mieux comprendre les causes premières de tous nos problèmes durant les cinquante années d'Indépendance. Avec Ben M'hidi, Abane, Abbas et Ait Ahmed, entre autres, vivants et/ou libres après 62, la face politique de l'Algérie aurait pu être toute autre?et, certainement, nous ne serions pas en train de nous «étriper» autour de concepts dévoyés dès le départ. Tous les quatre (et il y a en avait d'autres), pour emprunter à l'auteur, ont parié sur la démocratie comme valeur et méthode à la fois, comme but doctrinal et moyen politique... «une option de cœur et de raison» qui n'a rien à voir avec l'orgueil national, le messianisme d'exhibition et la spéculation philosophique abstraite.

Avis : Avec «Mémoires d'un combattant : l'esprit d'indépendance (1942-1952)», un ouvrage disponible en arabe,c'est là un document à étudier en sciences et stratégie politiques . Bien sûr le temps des luttes révolutionnaires est passé de mode, mais celui des luttes d'émancipation démocratique dure encore. Içi, bien plus qu'ailleurs.

Extraits : «La résistance algérienne a été l'œuvre de l'ensemble des Algériens, de la nation authentique» (32), «Au lieu de processus : fin de la guerre d'abord, restauration complète de la nation algérienne ensuite, il convient de procéder à la restauration d'abord, à la paix ensuite. La restauration, dépend uniquement des Algériens ; la paix dépend en grande partie des Français. L'une est à la portée des Algériens, l'autre est à à la merçi des Français» (p 47), «L'histoire est souvent faite d'occasions. L'essentiel pour une révolution créatrice d'histoire est de ne pas laisser «la nature des choses» se faire d'elle-même, au hasard et lentement, c'est-à-dire en dehors de nous» (p 101), «Les slogans étaient la caractéristique de l'état de crise» (p 156), «Le gage le plus sûr, le plus important, pour l'édification solide de notre pays, c'est l'élargissement de la base du pouvoir, car le pouvoir personnel ou oligarchique conduit à la paresse, au laisser aller et à la passivité» (p 210), « Il y a eu des falsifications de l'histoire, il y a des vérités à rétablir, notamment au sujet des «épopées» individuelles. Mais ce sera l'affaire des historiens» (p 221), «On met la charrue avant les bœufs, on sème du vent et on s'étonne de ne rien récolter ; alors on change d'attelage,et on recommnce» (p 241).