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Quand l'Algérie rit jaune

par Abed Charef

La mauvaise blague de M. Abdelmalek Sellal n'est pas plus dangereuse que le quatrième mandat.

L'Algérie innove. Elle crée des situations politiques totalement inédites. Et elle se fabrique de nouvelles stars ; les stars qu'elle peut, évidemment. Des stars à son image, pour illustrer l'incroyable déclin politique et moral du pays, réussissant, en une génération, à réaliser le grand écart, entre des hommes qui ont tout sacrifié pour la libération du pays, et d'autres qui donnent l'impression d'être prêts à tout sacrifier pour arriver à leurs fins.

En cette année 2014, l'Algérie va accomplir une grande première, jamais vue dans l'histoire moderne. Elle va élire à la présidence de la république un homme à la santé plus que précaire, qui ne peut ni se déplacer, ni faire sa propre campagne, un président qui a déjà accompli trois mandats, mais qui peut à peine s'exprimer.

Ce projet est devenu possible et plausible parce que l'Algérie n'a plus d'institutions dignes de ce nom. Elle n'a plus de parlement, mais de simples chambres d'enregistrement ; pas de partis, mais des organisations de masse ; plus de conseil des ministres, mas un simple conclave qui se réunit formellement quand il n'est pas possible de faire autrement. Elle a un gouvernement dont les membres ne sont responsables devant aucune institution formelle, pas même devant le président de la république, qui n'a visiblement plus la force physique pour suivre le travail de l'exécutif.

Pour accompagner cette interminable dégradation politique, le pays perd aussi ses repères éthiques et moraux. Corruption et mensonge deviennent les « marqueurs » d'une période, dont les stars sont Khalifa et Chakib Khelil. Ce pays qui, en d'autres temps, a transformé des truands, des hommes du « milieu », comme Ali La Pointe, pour en faire des symboles du sacrifice pour la liberté, ce pays accomplit aujourd'hui le chemin inverse. Il mène de grands militants, passés par la lutte armée, la prison et la clandestinité, vers le chemin de l'argent, de la corruption et de la compromission morale et politique. Mêmes les austères hommes de religion, symbolisées par les zaouïas, n'ont pas résisté. Ils ont été entrainés dans la tourmente de la politique d'allégeance, pour soutenir un candidat au détriment d'un autre.

Ce tableau semblait destiné à durer, au moins jusqu'à la présidentielle du 17 avril. Mais une nouvelle star est née cette semaine, pour changer la donne, et entrainer le pays plus loin, vers des horizons insoupçonnés. Abdelmalek Sellal, passé du poste de premier ministre à celui de directeur de campagne, après avoir dirigé la commission électorale, a sensiblement accéléré la marche du pays vers l'inconnu. Il a montré qu'en Algérie, un premier ministre peut non seulement être incompétent et inefficace dans la gestion, mais qu'il peut devenir dangereux.On attendait de lui qu'il éteigne le brasier de Ghardaïa. Non seulement il n'a pas réussi à le faire, mais il a en allumé un autre.

Sa dernière vanne sur les chaouias a révélé au pays une nouvelle donne. On croyait que M. Sellal utilisait un langage populaire, avec de l'humour et des formules qui feraient rire le petit peuple ; on découvre qu'il est vulgaire, sans consistance, et dépourvu de sens politique. On le disait pragmatique ; il s'avère superficiel, et il sonne creux. Son langage d'homme simple cachait une indigence politique incroyable.

L'ascension de M. Sellal ne constitue pas pour autant une surprise. Elle est parfaitement dans l'air du temps. Elle est en cohérence avec l'évolution du pays. Tout comme une période de guerre met en avant des hommes violents, une période de régression impose des hommes ayant un profil adéquat ; des hommes politiquement indigents,peu regardants sur les principes, n'ayant aucun projet, prêts à faire allégeance au pouvoir en place, quelle que soit sa couleur. Pour ces hommes, les arguments se valent. Les plus loufoques comme les plus dangereux. N'a-t-on pas entendu un ministre en poste affirmer que le président Bouteflika a le meilleur cerveau du pays ? N'a-t-on pas vu un autre partisan du chef de l'Etat affirmer, sur une télévision publique, que Dieu a donné le pouvoir à M. Bouteflika, et que le lui contester équivaut à remettre en cause la volonté divine ?

Dans cette dérive, il devient difficile de trancher. Y compris quand il s'agit d'humour. Après tout, la blague de M. Sellal est-elle plus mauvaise que celle du quatrième mandat, une idée précisément qualifiée de « blague », il y a deux ans, par l'actuel président du conseil constitutionnel, M. Mourad Medelci ? Est-elle plus mauvaise que celle de M. Ouyahia qui regarde les algériens à travers une caméra de télévision pour leur dire que l'armée est neutre, que les élections seront libres, que ne ni le DRS ni le général Toufik ne font de politique ?