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Défiance réciproque et démocratie

par Arezki Derguini

Participer, boycotter, manifester, se concerter, proposer une alternative au système politique, tels sont en gros les slogans des manifestants contre les élections. Quel sens donner à toute cette opposition, quelle issue lui proposer ?

La première question à laquelle il faudrait pouvoir répondre et à laquelle il n'existe pas encore de réponse unique est la suivante: une opposition politique existe-t-elle ?

Bien que le multipartisme ait une réalité en Algérie, il est une réalité que le système a du concéder à son corps défendant. Il ne lui a permis d'exister que pour mieux la disqualifier. Exister ne signifie donc pas possibilité de gouverner. Les partis et les personnalités politiques qui n'appartiennent pas au pouvoir consomment leur crédit après l'avoir acquis. Aussi certains se sont-ils rendus armes et bagages, alors que d'autres résistent et s'expriment comme ils peuvent.

A l'heure des élections, face à un pouvoir qui ne leur concède pas le droit de gouverner, ils peuvent dénoncer ces élections, manifester contre leur tenue, les boycotter.

Se pose alors une deuxième question : quel sens donner à de telles actions, à un tel boycott ?

Dans un système démocratique, le rejet des élections invaliderait le scrutin. Ceux qui sortiraient de ces élections seraient considérés illégitimes. Dans notre système cela n'a pas été le cas en 1999 quand tous les candidats, hormis le candidat du système, ont rejetés les élections. Quand le rejet des élections conduit à une faible participation il y a recours à la fraude pour pallier à une telle déficience et à la manipulation de la faible participation en faveur d'un candidat comme cela a été le cas pour d'autres élections. La « république des décideurs » ne tient pas à ce que les élections donnent au peuple des représentants. Qui ne le sait pas encore, qu'il participe ou boycotte ? Veut-on s'en prendre à l'indifférence de la société ?

Se pose alors une troisième question : Pourquoi les décideurs ne croient pas aux élections dont ils fabriquent les résultats ?

Pourquoi les décideurs se défient toujours de la société et de ses choix ? Les « citoyens » eux-mêmes ne participent-ils pas d'une telle défiance ? Si les citoyens dans leur majeure partie savent ce qu'ils ne veulent pas, savent-ils ce qu'ils veulent ? Sont-ils prêts à se soumettre à une loi qu'ils se donneraient ? Une loi qu'ils pourraient réviser avec le changement de leur volonté collective et de leur gouvernement ?

Je crois que la réponse est négative. Tous manifestent une défiance contre la société, les uns contre la société globale, les autres contre leurs semblables. Tous refusent de faire société, chacun dénie le droit à l'autre de faire société. Dans cette défiance généralisée que peuvent signifier des élections dont on n'acceptera pas de toute façon les résultats ?

La bonne démarche consiste donc à commencer par répondre à la dernière question : pourquoi nous défions nous de la société et des élections ?

A quelles conditions sommes-nous prêts à nous soumettre à la loi de la société ? Société dont il faut se prémunir des dépassements, sans laquelle nous ne pouvons nous défendre. Après avoir répondu à ces questions les élections ne seront pas une porte ouverte sur l'inconnu et ses résultats ne seront pas contestés. Car à quoi sert une élection honnête et transparente si l'on peut contester ses résultats ?

Pour aller à une Constituante, qui nous donnerait les règles pour nous gouverner, il faut que nous ayons d'abord la volonté de « faire société ». Autrement elle n'offrirait que les scènes de nos discordes et dissensions.

Avant de nous donner ces règles, il nous faut donc changer de disposition. Il faut rétablir la confiance et ses conditions. Une fois que les prémisses d'une telle volonté pourront s'exprimer des consensus pourraient prendre forme. Dans le climat de défiance quasi-généralisée existant, une période de transition est nécessaire pour qu'émerge de telles dispositions, de tels consensus. Et les élections actuelles qui ne peuvent traduire que le consensus au sein de la « république des décideurs », il n'est pas certain qu'elles puissent accoucher du bon consensus, il n'est pas sûr que cela ne soit pas un consensus pour mieux affronter le monde et la société. Mais de la réponse on ne pourra être certain qu'une fois apparue une large volonté de faire société. Une volonté largement partagée, tant au sein des gouvernants que des gouvernés. Avant cela la défiance des décideurs vis-à-vis de la société sera justifiée par cette même défiance de la société vis-à-vis d'elle-même. Pour le moment il semblerait que les profits de cette défiance soient plus importants que les coûts pour une bonne part de la société.