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De la démocratie en quelques mots

par Ali Derbala *

« On peut inférer qu'il existe à proximité du soleil d'innombrables corps obscurs que nous ne verrons jamais». (Nietzsche [1])

Dans tous les pays, l'aspiration démocratique est très ancienne. Elle date depuis Socrate, Platon ou la Grèce antique, 400 à 500 ans avant l'ère chrétienne, soit depuis 2500 ans. Selon Socrate : s'il y a deux manières de parler au peuple, l'une des deux n'est apparemment qu'une flatterie, une laide et basse déclamation ; mais l'autre est noble et belle : c'est celle qui travaille à rendre meilleures les âmes des citoyens, et s'applique en toute rencontre à dire ce qui est le meilleur, que cela doive être ou plus ou moins agréable à ceux qui écoutent [2].

Comment s'exprimer pour se faire écouter et non plus entendre ? Telle semble-être la difficulté quotidienne de tous les Algériens. Le gouvernement refuse d'écouter les cris de souffrance de la population tant que tracasseries, bureaucratie, corruption pourront engendrer la misère. Ce sont ces exactions qui exaspèrent le citoyen. Pour Nietzsche comme pour Spinoza, deux philosophes, la joie est essentielle et pour l'un et l'autre il n'existe pas de but ultime fixé, de fin objectivement établie. Aussi selon Aristote : « Nous sommes donc fondés à n'attribuer le bonheur ni à un boeuf, ni à un cheval, ni à aucun animal ».

Le peuple algérien n'est pas heureux ! En 2014, l'histoire retiendra que les responsables de cette situation ne sont pas les impérialistes occidentaux mais bel et bien le régime du grand parti dont le Président est issu, ce régime qui a fait les trois révolutions, agraire, industrielle et culturelle, un capitalisme d ?Etat, qui s'est transmuté en libéralisme sauvage ou économie de Bazar jusqu'à ce jour. Dans l'esprit du citoyen anonyme, une grande confusion règne entre l'Etat, le Pouvoir, le Régime et le Gouvernement. Cet amalgame a été entretenu depuis notre indépendance.

1. Qu'est-ce que l'Etat ?

L'Etat est un ensemble d'institutions qui régule la vie sociale sur un territoire par des prérogatives de puissance publique. Il est constitué par des organes politiques, les collectivités locales et les organismes de la sécurité sociale. Il est de son devoir de maintenir l'ordre public et la défense du territoire. Il doit intervenir économiquement et socialement. Sur le territoire, la nation, l'Etat doit jouir de la souveraineté. Aucun pouvoir ne doit lui être supérieur. Il doit jouir de la légitimité qui signifie l'acceptation de son existence par la majorité de la population. Toute atteinte à ces deux attributs l'affaiblit. Il a le monopole de la réglementation, des prélèvements des impôts et les cotisations sociales [3]. Malgré les luttes intestines les démagogues savent, quand il le faut, se serrer les coudes pour piller l'Etat.

Le pain volé est plus merveilleux pour notre palais que celui qui est gagné par notre sueur.

L'ordre républicain quand nous ne le comprenons pas est appelé « Confusion ». Le pouvoir voit par tous les yeux ; il entend de toutes ses oreilles, il peut frapper de tous ses bras. La lutte est trop inégale et le citoyen s'abstient, s'isole et se résigne à la corruption [4].

2. Le Pouvoir démocratique

L'Etat ou le pouvoir souverain ne peut venir que des citoyens, dont les intérêts, collectifs sont ainsi servis, et dont les droits fondamentaux doivent être respectés. La démocratie est définie comme la recherche de l'intérêt collectif par les décisions des citoyens eux-mêmes, dans le respect des libertés individuelles [3]. Elle est de dimension deux.

- L'égalité de chacun devant la loi, la décision collective étant souveraine, les choix de la majorité s'imposent à la minorité.

- La liberté de chaque personne, jouissant de droits inaliénables.

La constitution doit être stable, les libertés publiques et les lois doivent échapper à l'arbitraire du moment. Un Etat doit être un « Etat de droit » respectant l'autonomie de la « société civile ». La démocratie ou l'aspiration à l'égalité est la caractéristique des pays civilisés, des sociétés modernes selon Tocqueville (1805-1859) un magistrat français, grand voyageur, membre de l'Académie qui a participé à la rédaction de la Constitution Républicaine de 1848.

Dans cet article et pour ce politique [5], démocratie ou dictature, la fin demeure la même: la conquête et la possession du pouvoir par tous les moyens, aussi longtemps que possible.

Quelle différence y a-t-il entre commander par la contrainte de la force ou par la libre adhésion du peuple? Une différence ténue. Le jeu des démocraties est sans doute plus subtil, plus retenu, que celui des tyrannies. Les tyrannies maintiennent leur domination en faisant régner la peur, tous les moyens leur étaient bons : duperies, massacres, violations de la foi jurée; c'était un jeu qui se jouait entre initiés, les peuples restant spectateurs ou appelés en renfort pour soutenir les rivaux avant d'être renvoyés à leur servitude naturelle. La privation des libertés publiques empêche toute contestation. Les libertés donnent un sens à la démocratie. Quand la démocratie règne, le politique ne cherche plus à faire peur, mais à plaire, à entraîner en utilisant toutes les armes de la séduction et du raisonnement. Les libertés tiennent le politique en respect, le contraigne à être discuté, contredit, observé, mis en cause.

Il se voit retirer le pouvoir par la décision du peuple et non plus la force brute aux mains d'un petit nombre. Dans l'utilisation du mensonge, guère de différence entre l'une et l'autre, si ce n'est que celui-ci est plus efficace dans une démocratie puisqu'il permet de capter les suffrages du plus grand nombre; alors qu'il suffit par la force, de dominer plutôt que de convaincre.

Pour triompher, il faut ne pas tromper seulement quelques-uns, mais tous. Pourquoi souhaiter le pouvoir si sa conquête, son exercice requièrent des moyens que la morale réprouve ? Pourquoi baigner sa vie durant dans un univers où il est tant d'hommes avides, uniquement occupés d'eux mêmes, prêts à toutes les compromissions? La vie politique est-elle une sorte de sacerdoce au service des autres, ou le prétexte nécessaire pour assouvir des épanouissements personnels ? C'est de ce qui n'appartient ni à toi ni à tes sujets que tu peux être plus généreux donateur.

3. Système politique

Dans les pays développés, l'état normal est la démocratie et l'état d'exception est la dictature; mais dans les pays en voie de développement, c'est l'inverse. Sommes-nous condamnés à cette fatalité ? Dans les pays en voie de développement, l'Etat intervient essentiellement dans le secteur industriel, alors qu'il devait intervenir dans la reproduction de la force de travail.

Pour le commun des algériens, le système entier est si pourri, si inhumain, si dégueulasse, si désespérément corrompu et compliqué qu'il faut un génie pour y mettre de l'ordre et de sens, sans parler de bonté ni de respect humain. Le pouvoir, comme l'amour, est à double tranchant : plus on l'exerce et plus on en souffre. Tous les pouvoirs souverains ont eu la force pour origine, ou ce qui est la même chose, la négation du droit. Ce mot de droit lui même, d'ailleurs, ne voyez-vous pas qu'il est d'un vague infini ? Où commence-t-il, où finit-il ? Quand le droit existera-t-il, et quand n'existera-t-il pas ? [6]. Qu'on mette l'honnêteté dans l'administration et le sens commun dans nos institutions, les citoyens sont bien forcés d'être pareils aux autres. Un gouvernement ou ministère ou administration est une hiérarchie qui ferme les yeux et où parfois une impunité est organisée. Ce sont des instances qui refusent parfois de voir la réalité en face. C'est vrai qu'une nation se mène comme un cheval, avec l'éperon et la bride. Tocqueville a vu que la « souveraineté populaire » peut se transformer en un « despotisme doux », celui de la majorité, ne supportant aucune différence et accepté par une population repliée sur ses intérêts individuels.

4. Le Gouvernement

On ne milite pas dans un parti politique uniquement pour rencontrer d'autres gens. L'ambition principale d'un parti politique est normalement la conduite éventuelle d'un gouvernement formé de ses ministres. Les activités politiques créent des liens, d'autant plus solides qu'ils se sont tissés précocement. Les ministres ne sont pas des députés. Ils appliquent à la lettre le programme établi par le Premier ministre ou le Président de la république. Par contre, les députés proposent, votent des lois pour le bien-être du peuple et du pays. Par le truchement des commissions parlementaires, les députés inspectent le gouvernement.

Conclusion

Les algériens ont besoin de travail, de toits, de santé, d'éducation, d'administration, de sécurité ? Le pays a besoin de pain, de lait, de pommes de terre, de l'huile de table, de sucre... Pouvez-vous en produire en plus ? Voilà ce que le pays réclame. Moralité selon Saul Alynski, agitateur hippie et figure majeure du mouvement étudiant américain en 1970 : « si on obtient la victoire, il faut être capable de l'assumer et d'occuper le terrain. Si l'on n'a rien à proposer de nouveau, il ne sert à rien de renverser le pouvoir en place. Beaucoup revendiquent leur statut d'esclave et sont prêts à se battre bec et ongle pour qu'on ne leur enlève pas leurs chaînes ».

* Universitaire

Références

1. Nietzsche. Par-delà le bien et le mal. Traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis.

Union Générale d'Editions. ParisVI, 1988. Titre original : Jenseits von Gut und Bose, p153.

2. Platon. Le Gorgias. Traduction française de GROU avec Introduction, Analyse et Notes par Paul Lemaire, Librairie A. Hatier, Paris, N°367, p.71.

3. Dominique Fontaine. Les fichiers Vuibert. Sciences économiques et sociales. Tout le programme en fichiers pratiques, Terminale ES, 1997.

4. Cicéron. L'Amitié. Traduit par François Combès. Introduction et notes de François Prost. Les Belles Lettres, 1998.

5. Le nouvel Observateur, hors série, N°66- Juillet- Août 2007, Edward Balladur, pp. 6-8.

6. Nicolas Machiavel (1469-1527). Le prince. Maxi-Poche, Classiques étrangers. 1996, p.16.