Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Et si on importait des malades ?

par Bouchen Hadj-Chikh

Le défunt militant Si M'hamed Yazid, nommé ambassadeur à Beyrouth, organisa, dès son arrivée, une réunion de tous les diplomates pour un premier échange de vues. Et pour partager avec eux, les buts de sa mission.

Salle de conférence, personnel concentré. Il les observe un moment puis engagea son introduction avant de donner la parole à chaque chef de département. Ses propos, après les courtoises salutations, furent, en substance, les suivants, selon un témoin : « Comme vous le savez sans doute, le Président a engagé une politique au long court en matière d'arabisation dans le pays ». Qu'il développa. Puis, vint la conclusion : « remarquez bien mes chers collègues, qu'il s'agit d'arabiser la société algérienne et non pas de l'orientaliser ».

Discrètement, les sebhate, chapelets - que les jeunes et moins jeunes diplomates se plaisaient à exhiber pour montrer au nouveau venu leur dévotion - disparurent sous la table de conférence. Ainsi l'ambassade, les jours, les mois et les années qui suivirent, se reprit et la voix de l'Algérie regagna sa place et sa singularité dans la région.

Faudra se remémorer cette période faite de singularité, de créativité ? M. Belaid Abdeslam, qui ne pesait que 50 millions de tonnes de production de pétrole aux cotés de Zaki Yamani, poids lourd parmi les rares poids, et ses 450 millions de tonnes de pétrole produit chaque année - investis par leurs pairs pour défendre, de concert, la politique de l'OPEP. Et nous interroger.

Nous demander comment en sommes nous arrivés à singer plutôt qu'à créer ? Comment s'est opéré ce glissement vers l'orientatlisation de notre politique pure et de notre politique économique ? Pourquoi avions fait l'insulte aux martyrs en élevant Maqam Ech Chahid par la compagnie canadienne Lavallin pour les honorer ? Pourquoi ? ce qui suit :

C'était le lundi 18 Mars 2014.

Je lis : « Le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Abdelmalek Boudiaf, présente, à la résidence El-Mithak, les entreprises ETRANGERES retenues pour la construction des centres hospitalo-universitaires (CHU) en Algérie dont les travaux devront démarrer dès la fin du mois prochain. Italie, Corée du Sud, France, Autriche et Grande Bretagne vont réaliser 4 hôpitaux sur les 10 projets programmés. Les villes bénéficiaires sont les suivantes : Alger, avec 700 lits, Tizi Ouzou, avec 500 lits, Constantine, encore avec 500 lits et Tlemcen, 500 lits également. Selon la presse, « le ministre a beaucoup insisté auprès des entreprises sélectionnées sur le sérieux et le respect des délais de réalisation fixés préalablement à deux ans, et à 3 ans au plus tard » et précisé « que l'enveloppe financière pour la réalisation de ces quatre projets est de 40 milliards de dinars, mais qu'elle est toujours ouverte ». « Ce n'est pas une enveloppe financière définitive», a-t-il mentionné, toujours selon mon confrère.

Remarque :

Nous avons connu le pourcentage du budget national parmi les plus élevé dans le monde, soit 25 pour cent, consacré à l'éducation nationale, entre autres, pour former des architectes, des ingénieurs en bâtiment. Entre autres. Où sont-ils passés donc ? Les avions nous formé pour leur faire passer le temps et, au terme de leurs études, les exporter comme le pétrole. Pourquoi ne seraient-ils pas les bâtisseurs d'hôpitaux ?

Une seule explication ? l'autre se devine - comme nous sommes de sacrés fainéants, indisciplinés, sans égards pour les malades et leurs familles, il a été décidé ainsi. Mieux encore : le ministre « a également expliqué que la gestion sera à la charge de ces groupements et, s'ils ne sont pas spécialisés, ils feront appel à des spécialistes internationaux dans la gestion déléguée des hôpitaux ». Pas moins.

Pour un peu, nous importerions même les malades.

J'étais noyé dans mon désespoir à parcourir le Quotidien quand je tombai, sur une autre page, où il était rapporté, plutôt précisé qu'au niveau régional, sur le même sujet, je vous le livre tel quel, les mots imprimés « selon le DSP (lire donc la Direction de la Santé Publique) de Tlemcen » « l'importante infrastructure hospitalière », de Chetouane l'Agence nationale de réalisation des équipements de santé. Ajoutant : « pour les équipements et accélérateurs de particules de radiothérapie du CAC dont les contrats ont été signés avec deux fournisseurs américains et suédois, Electra et Varian, spécialisés dans les fluides médicaux ».

Ça devient franchement anxiogène de lire la presse.

Nous allons tous finir avec une dépression de force 6 sur l'échelle algérienne qui, pourtant, n'en comporte que 4 gradations. Si nous sommes sortis du seuil de pauvreté, nous voici plongés sous la ligne de flottaison du seuil de pauvreté psychologique.

Et là, j'ai pensé contamination. A Burj Khalifa, à Dubai, la tour la plus haut élevée dans le monde avec ses 829, 8 mètres de haut, construite en 5 ans. J'ai immédiatement plongé dans la documentation pour apprendre que cette tour, elle aussi, fut dessinée par les architectes et les ingénieurs de Skidmore, Owings et Merrill, de Chicago dirigé par l'ingénieur Bill Baker. Un contrat arraché à Samsung C&T de Corée du Sud.

Ils n'ont pas de quoi pavoiser. Comme nous.

Nous y sommes.

Donc, il suffit de signer un chèque. Et dire ses fantasmes. Il y aura toujours quelqu'un pour les réaliser même si la modernité d'une tour se paie sur l'exploitation des milliers de Bengladeshi, de Pakistanais qui tombent comme des mouches pour un salaire de misère, en vivant dans des conditions de vie abominables que les chèques, déjà signés et encaissés ? en attendant, ceux qui suivront, couvrent le malheur des uns qu'aucune institution internationale ne condamne pour esclavagismes. Les initiateurs, comme les compagnies de construction d'un tel projet relèveraient encore de la Cour Pénale Internationale. Car ce sont des crimes contre l'humanité.

Nous, non !

Nous traitons par le mépris ces conduites.

Nous traitons bien les Chinois ? du planton, au directeur général en passant par les services de sécurité ? qui traitent avec nous, chez nous. Qui font ce que nous savons et pouvons faire. Et puis, plus rien. Parce que, au cours des dernières décennies, nous avons formé des cadres. Ils sont 66.000 en Europe. Les chefs de départements de nombreux hôpitaux français sont nés et ont étudié en Algérie. J'en connais quelques uns. De jeunes ingénieurs et architectes algériens, il fut un temps, ont secondé Oscar Nemeyer, le fabuleux architecte brésilien. Ils ont appris de lui. Pour mettre en pratique tout ce savoir. Ailleurs. Car ils n'ont pas mis longtemps à le suivre.

Quittant la Somalie, en fin de mission, après plus de trois années et demi passées là-bas, témoin du débarquement américain type « Apocalypse Now » sur les plages de Mogadicio, témoin également de l'opération « Le vol du Faucon », en direct, - ça ne s'est pas du tout passé comme le raconte le film, je vous l'assure - je bavardais, dans le petit avion des Nations Unies avec Jim Clancy, le présentateur vedette de CNN, curieux, qui me demandait ce que je pensais des opérations humanitaires qui avaient couté plus d'un milliard de dollars deux cents millions de dollars en cette année de présence US. Il devait le dire aux « tax payers », ceux qui paient leurs imports, ce que l'état a fait de leur argent.

Ma réponse fut : « si on avait embarqué ce plus d'un milliard, en coupures de 20 dollars, dans une soute d'un C-130 que l'on aurait balancé au-dessus du pays en le survolant du Nord au Sud, l'effet aurait été plus efficace ». Il m'a regardé et dit : « pouvez vous me redire ça devant les caméras » ?

Mon devoir de réserve me fit échapper à son insistance.

Pour revenir à nous : qu'aurons nous appris des Chinois, des Européens, des Nord américains que nous ne sachions faire ? Qu'est-ce qui justifie de telles dépenses ? Où va l'argent ?

J'ai entendu un humoriste dire un jour : « s'il faut jeter l'argent par les fenêtres, autant que cela soit à l'intérieur de la maison ».

Faudra le rappeler à certains.