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Passés re (dé-) composés

par Belkacem Ahcene-Djaballah

MON FRERE ENNEMI. Roman de Djilali Bencheikh. Editions Barzakh, Alger 2013 (Séguier, Paris 1999). 226 pages, 700 dinars

L'histoire d'un gosse qui raconte sa vie de tous les jours, au début des années 50. Dans une famille rurale figée dans le sous-emploi et l'analphabétisme, versée dans l'agriculture, pas très aisée mais nullement dans la misère. Un père et des frères machos, une mère soumise mais pilier incontournable de la maison, une sœur aimante mais qui doit se marier? en ville, la chaleur de l'été, le grand froid de l'hiver, l'école, pas encore? et, surtout, les premières pulsions sexuelles et la découverte de la «femelle» (on commence par la chèvre du coin, sous la haute autorité du berger du coin) , avec des apprentissages à la va-vite avec la «garçouna», une orpheline exploitée par (presque) tous. Enfin, l'école qui ouvre d'autres horizons et fait se rencontrer d'autres personnes d'un «autre monde». Comme l'instituteur, un «Arabe» qui lit, en cachette, un journal... Alger Républicain. Aux côtés de filles? arabes aussi ! Et, de nouvelles inquiétudes et de nouveaux tourments aussi. Enfin, vient la si attendue et si redoutée circoncisons. Racontée avec force détails. Le passage de l'enfance à l'âge adulte. Ou, plutôt d'enfant, ignoré par les grands et même par les parents, malmené par les grands frères, à l'état d' «homme». Et, qui découvre la violence? pour se défendre (contre le grand frère, un «haggar», comme tous les grands frères). Cela ne tenait donc qu'à un petit bout de chair !

Une Algérie, celle de l'intérieur, encore peu racontée alors que beaucoup vécue? Pourtant, c'est celle-ci, la vie quotidienne du peuple, qui a fait, vraiment, le lit de notre Histoire.

Avis : Se lit d'un trait tant l'écriture «s'y déploie à un rythme débridé et jubilatoire». De l'humour et de l'autodérision. De la sincérité, aussi. Comme si vous y étiez. Car, c'est un peu, beaucoup ou complètement, cela dépend, le déroulement de la vie quotidienne, de la naissance à la circoncision, de bien d'entre les sexagénaires et plus d?aujourd'hui. Souvenirs, souvenirs !

Extraits : «Toujours, la pudeur étouffe le désir» (p26), «Chez nous, tous les plaisirs doivent d'abord apparaître comme une contrainte. Même devant les mets les plus succulents» (p84), «L'école, c'est vraiment le monde à l'envers. C'est le seul endroit où les femelles sont plus courageuses que les mâles» (p 127), «Pourquoi chez nous toutes les fêtes, naissance, mariage, Aid ou circoncision, exigent une obole sanguine versée par une victime, une seule ?» (p200),

LE PETIT CAFE DE MON PERE.

Récits du passé. Oeuvre mémorielle de Kaddour M'Hamsadji. Office des Publications universitaires, Alger2011 (2è édition). 309 pages, 455 dinars  

Voilà un livre, sorte de recueil de souvenirs d'enfance et de prime jeunesse (une «pseudo-autobiographie», selon l'auteur, modeste? ou prudent) d'un homme de lettres aujourd'hui connu (et, aussi, journaliste spécialisé dans la critique littéraire), qui nous (les septuagénaires et bien plus) replonge dans une atmosphère que l'on croyait oubliée. «Une époque disparue» ! Ici, la famille, le quartier, les copains de classe ou de la rue, la ville, sont décrits avec simplicité, avec une grande pudeur qui ne nous présente que ce qui paraît, que ce qui est admis, que ce qui est vécu en surface. On sent de la nostalgie, de la mélancolie, comme si tout, mis à part la colonisation dont on ne perçoit pas bien complètement la présence, tend vers une recherche d'un temps «perdu» bien que loin d'être regretté.

L'auteur fait œuvre, surtout, de reporter doublé de pédagogue, enseignant qu'il fut, pour décrire, pour expliquer. Ainsi, certaines pages sont assez rétro (et émouvantes) : Quand il décrit «les jeux et le groupe» (p 157 à p 170), des jeux «qui apprennent, dit-il à penser». Quand il dresse sa galerie de portraits de personnages aujourd'hui presque tous disparus : le savetier, le poissonnier ambulant, le barbier? l'ancien de la «coloniale»?

Avis : Se lit plus que facilement? l'écriture n'étant pas compliquée, comme celle de la nouvelle littérature. Peut-être trop de détails qui alourdissent le texte.

Extraits : «La coutume serait-elle guide de la vie humaine peu encline à croire à sa liberté qu'à la malédiction suprême annoncée en prêches terrifiants par l'ignorance et l'orgueil du mâle ?» (p 106), «Si la camaraderie s'exerce tous les jours dans la vie d'un groupe, l'amitié se manifeste dans un fort désir d'absolue confidence, et elle dit ou écoute en toute confiance» (pp 137-138).

JE NE PARDONNE PAS AUX ASSASSINS DE MON FRERE.

Récit de vie de Asma Guenifi. Editions Dalimen, Alger 2013. 243 pages

L'auteure est psychologue, ardente militante féministe, ayant pris la suite, en France, de Fadela Amara à la tête de l'Association Npns (Ni putes, ni soumises). C'est, aussi, la fille du très engagé cinéaste algérien Guenifi.

Née à Constantine, vivant sa prime jeunesse à Bachdjarah (Alger), ayant eu une enfance «normale» dans une Algérie «normale», elle rêvait d'une vie d'adulte «normale» dans un pays «normal».

1994 : Asma avait 19 ans. Son frère, Hichem 20. Il est assassiné par ceux qui, alors, n'admettaient rien qui pouvait ne pas leur convenir en matière d'idées, de comportement, de tenue vestimentaire, ?

Le terrorisme islamiste oblige ses parents à plier bagages dans la précipitation et à s'exiler. Le déchirement.

Avis : De l'émotion plein les pages. Pour ne pas oublier.

Extraits : «Qui étaient ces monstres et d'où venaient-ils? Pourquoi avaient-ils déclaré le djihad (guerre sainte) à des Algériens pourtant musulmans ? Quel en était l'enjeu politique, sociétal et économique ?» (Avant-propos, p 13), «Mon vœu le plus cher est que mon témoignage contribue à lutter contre l'oubli, officiellement programmé, du sacrifice de mon frère et celui de tant d'autres victimes de la barbarie islamiste (p 17), «Et quand la nostalgie m'envahit, j'écoute Cheb Hasni, mon chanteur préféré, assassiné par les ennemis des chants d'amour...» (p 237)